Ob-scène 3/
Au bord de l’orgasme, je décidai qu’il était ridicule de ne pas être contre elle, alors de ma main libre je pris mon téléphone pour lui faire une surprise et l’inviter moi-même dans une de ces fameuses chambres.
— Emeline. Je sais c’est idiot, mais je suis à la Forge et je voulais te voir…
—Monsieur Delmart, je …
— Pas Monsieur, la coupai-je, pas Delmart, Karl. Juste Karl.
Je la vis débouler sur le parvis de la bâtisse, et se poster aux aguets, scrutant de tout part, son mobile à l’oreille. Son visage parlait pour elle, mais j’y décelai une tension indéfinissable.
— Je peux venir à toi ? osai-je alors. On est seuls, pas besoin de jouer la comédie.
Elle sembla hésiter un court moment.
— Monsieur Delmart, il me semblait vous l’avoir déjà dit ! Ce n’est pas possible.
Sa réponse aurait pu être neutre si je n’avais pas surpris sa main pétrissant la naissance de son cou. Ce geste en dit long, vous ne croyez pas ?
C’était donc un jeu.
— Je sais, pas en public. Mais je suis prêt, un mot de toi et j’arrive.
— Si vous continuez comme ça, je vais devoir prendre mes distances et... trouver un autre prestataire.
Prestataire à plaisir ? Quelle douce menace !
— Oui, autoritaire ! m’amusai-je.
Elle raccrocha et je la vis rentrer dans le domaine avant de fermer la porte derrière elle.
Hébété, je ne comprenais pas grand-chose à ce drôle de scénario entre nous. Mais elle semblait savoir ce qu’elle faisait. Un poil dominatrice, tandis qu’elle m’imposait sa volonté et son rythme délirant, elle pouvait donc passer de la sirène polaire et implacable à l’ardente et enivrante catin. Une ambivalence dont je n’avais pas l’habitude. Pourtant, ça m’excitait autant que ça me frustrait, une sorte de cercle vertueux du sexe.
Après qu’elle eut raccroché, je restai donc planqué, littéralement au garde à vous, espérant qu’elle me rappelle pour me donner une directive plus claire.
Mais cela n’arriva pas.
Au bout d’une demie heure, elle rentra dans son véhicule sans un regard et partit. Je suis donc retourné au mien la queue basse, obligé d’escalader le haut mur à l’aide d’un arbre à côté, comme dans les mauvaises comédies romantiques que Line m’obligeait à regarder parfois.
— Et comment vous vous êtes senti, suite à ça ?
Dans un grand soupir, j’essaye de retrouver les pensées qui m’ont traversées ce soir-là.
— Frustré. Voici comment je me trouvais. Cette femme m’appartenait. Nous étions fait l’un pour l’autre, nous le savions tous deux et jouions à un jeu qui me rendait de plus en plus malade.
Si les premières fois je me sentais gêné et utilisais toute mon énergie à garder le contrôle, à ce stade, ma libido était sous son emprise : elle faisait de moi ce qu’elle voulait.
Je rentrai de la Forge, torturé par une érection douloureuse et un bouillon au fond du cœur.
Je ne pensais plus qu’à Emeline.
Un lion en cage, voila ce que j'étais, sauf que dans mon cas, la cage était dans ma tête. C’est difficile à expliquer comme ça, mais la première image qui me vient est celle-ci : Karl secouait des barreaux à l’intérieur de ma tête, prisonnier de quelque chose que je ne comprenais plus.
Et puisqu’il faut être le plus honnête possible, que je n’avais même plus envie de comprendre.
Je me laissais aller c’est tout.
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