Alètheia

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J'aurai été un apostat ! Et mon corps se meurt. J'aurai été partout ! Et loin de tout. L'atopos aura été mon oikos, et ma perte... Homme est celui qui s'interroge sur lui-même – et ne vous ai-je, moi, pas suffisamment répété qu'une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue ? D'ailleurs, je vous le murmure au passage, si vous ne deviez garder qu'une phrase de moi, qu'une seule, gardez alors à tout jamais celle-ci : Chercher, c'est déjà trouver. Et c'est ainsi... ainsi... que mon espèce s'en va avec moi... Moi Socrate ! Moi l'homme à qui la postérité entière rendra bientôt hommage : apologies, statues, prières, tableaux, et jusqu'à me dédier même un drame symphonique par un certain Sati(r)e ! Le tragique n’est pas que je me meure, mais ces miroirs d'hommes – je veux dire ces Grecs ou barbares d'aujourd'hui ou de toute la légion d'autres à venir, à dépérir et à venir encore et à dépérir encore plus – le tragique, dis-je, le véritable cauchemar, c'est qu'ils établissent une causalité toujours impropre de ce qu'ils vivent avec les étants qui les environnent. Aussi, mes frères du Portique n'auront-ils pas tout à fait tort, quand ils professeront que la représentation en soi est un mal et que le signifiant, il faut s'en méfier.

Regardez : le soleil plonge dans la Méditerranée – comme Cléombrote d'Ambracie bientôt, et à raison ! Voyez la course d'Hélios sur ses beaux et grands chevaux ailés ! Et maintenant alors – dansons comme feu Empédocle au bord du terrible Etna avant qu'il n'y tombe en riant ! Allez ! chaloupons de toutes nos forces comme le précepteur de Dionysos et sa flûte désaccordée avant qu'il ne s'écroule dans la joie de l'ivresse ! Allez ! rions surtout de ce que la vie d'ici n'a aucun sens ! Rions jusqu'à ce que mort s'en suive je vous prie ! Ah ! Lumineux est votre visage : le gris y a disparu en même temps que vos larmes ! Fous rires et danses c'est ça Phédon ! Et voilà que même toi, barbu de l'ombre, tu t'y mets, en oubliant ainsi la vraie et seule maladie : la crainte. C'est ça oui ! poursuivez donc, et jusqu'à la fin des temps s'il le faut !

Les Athéniens sont fous. Certes. Voyez ô combien ma vue se brouille ! Oh ! Que je suis fatigué d'avoir tant dansé et ri ! d'avoir été si plein de joie ! Mais maintenant, je dois me coucher. Ils sont fous parce que la démocratie leur donne en réalité le vrai poison : la liberté, non à l'égard du tout, mais à l'égard de tout. Oh ! Maintenant que je me trouve au crépuscule de cette vie, je vous le confesse mes frères – que je regrette les Trente... Beau Critias... Enfin peu importe maintenant ! Le temps n'est plus aux digressions. Alors, toi Criton, toi qui m'as tant donné – dresse donc une dernière fois l'oreille pour moi, et que celle-ci puisse alors garder en écho mes dernières paroles : nous devons un coq à Asclépios ! Et quand tes enfants croiseront l'homme du « tonneau », dis-leur de lui répondre, à sa recherche d'Homme, qu'il est mort, et que le coq avec. Il comprendra. Adieux, adieux mes amis, mes chers et fidèles amis ; les seuls avec mes enfants que j'aurai véritablement aimés ! et que j'aime encore plus en cet ultime instant où vos larmes sont de joie et votre posture droite. Ah ! Ah... mais ça revient ! Orage, orage ! Il fait chaud, si chaud, encore, trop... Allons, résistons… résistons aux cris et aux chuchotements… Mais enfin taisons-nous pendant qu'il en est encore temps... Lorgnons de mes yeux fatigués une dernière fois la Vérité, la vérité éternelle !, que nous allons enfin retrouver... Et ce fut, ici, la fin de nous, moi, Socrate... !

Mais Socrate, attends, ne pars pas ! Hurle Critobule. Et ton serment, à nous misérables que nous sommes, qu'en fais-tu donc ?! Et si toi, ô dernier homme de ta race, ne tiens pas parole – que va-t-elle devenir la Philosophie ?! Auraient-ils dit vrai alors ! Nous aurais-tu trompé, abusé, corrompu, nous, jeunesse ?! Et tu prétendais nous aimer comme tu aimes tes enfants ?! Sophisme par Zeus ! Tu n’es qu’un… !

Pythagore, Anaxagore, Diotime... Avec de tels maîtres on aurait dû s’en douter ! Tu ne vaux finalement pas mieux qu'un Homère ou qu'un Hésiode – tu n'es qu'un poète Socrate, voilà ce que tu es ! Hubris hubris ! Mais Socrate ! En fait, non ! Reviens je t'en prie ! Reviens... Et c'est alors que les aînés qui m'entourent me font signe de les imiter : à eux de m'exhorter à lever la tête vers le ciel sans nuages – le soleil est à son zénith. Mais point de réponse de ta part. Je n'entends que le croassement des corbeaux et le gémissement du vent.

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