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Satanas jeta un regard par la fenêtre de la cuisine sans bouger les rideaux. La Plymouth à l’angle de la rue, les deux clochards dans la ruelle en face, l’épicier sous le porche de l’immeuble et les deux snipers sur le toît de l’immeuble d’en face, tout le monde était à son poste. S’Ils avaient prévu d’envoyer n’importe qui, il lui suffirait d’appuyer sur le bouton de sa montre géolocalisée pour que tout le dispositif de protection s’active. Hormis les clochards qui étaient les plus loin sur le trottoir d’en face, il suffirait de trois minutes pour que tout ce petit monde envahisse son appartement. Karen et lui étaient en sécurité. Ce dispositif durerait jusques à ce que Cheval de Troyes soit terminé. C’était tout ce qui comptait pour Eux. Cheval de Troyes mené à bien, la cible récupérée d’une manière ou d’une autre, et ils passeraient à autre chose.

  Sa femme fit irruption dans la pièce vêtue de son top en satin violet et du boxer, satiné lui aussi, pour dormir. Elle semblait avoir négligemment jeté un tissu sur ses épaules nues mais Satanas savait qu’il n’en était rien et qu’elle avait fait très attention au tombé du vêtement. Ses cheveux noirs ondulés tombaient en cascade sur les épaules, et dans l’encadrement de la porte, avec la lumière dans le dos qui faisait briller sa chevelure, on aurait pu croire à l’apparition d’Elizabeth Taylor dans Chatte Sur Un Toît Brûlant.

  - Chéri ? Que se passe-t-il tu as l’air soucieux. Tout va bien ?

  - Oui… J’ai… J’ai cru avoir entendu un bruit. Mais ce devait être un chat. J’ai regardé mais je n’ai rien vu.

  - Et ton travail ? Ca se passe bien ?

  - Ca va. On est sur un dossier important mais ça devrait se terminer. Il faut encore que je négocie avec un ou deux clients mais tout se passe bien. Je vais finir de cuisiner.

  - Je t’attends dans la chambre.

  Elle repartit sans un bruit, comme si elle flottait dans l’air. Satanas la regarda s’éloigner et ne put s’empêcher de penser à un ange.

  Ils s’étaient rencontrés par hasard dans une librairie. Ils avaient discuté littérature et de fil en aiguille ils avaient passé la soirée ensemble. Et quelques mois plus tard ils avaient partagé leurs vies. Satanas avait su tout de suite qu’ils étaient faits pour être ensemble, Karen avait été plus réticente mais il avait su gagner son coeur.

  Satanas savait qu’il mettrait tout en œuvre pour la protéger, il ne pouvait pas envisager sa vie sans elle. Et s’Ils avaient décidé de s’en prendre à elle, il ferait tout son possible pour la protéger, quitte à les traquer et les éliminer un par un si cela permettait de la mettre en sûreté.

  Il se remit à la cuisine. Le haché au tofu cuisait dans le four pendant qu’il préparait la sauce des lasagnes.

  Il était végétarien par conviction. Mais bien sûr il lui arrivait de manger de la viande ou du poisson lors de repas d’affaire. Personne à l’Agence ne savait qu’il était végétarien. Personne ne savait grand-chose sur personne. C’était le minimum vital pour se sécuriser dans son métier. Par exemple personne ne savait qu’il était végétarien, comme personne ne savait qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfants.

  C’était Karen. Un stupide accident de la route qui avait abîmé sa rate. Pendant l’opération le chirurgien avait éraflé l’utérus et elle ne pourrait plus jamais porter d’enfant. Ils s’étaient orientés vers une PMA et même une GPA mais les procédures étaient tellement complexes qu’ils avaient abandonné. Paradoxalement, le fait de ne pas avoir d’enfant avait renforcé les motivations de Satanas pour défendre le monde des créatures des Ténèbres. Puisque son hypothétique enfant n’avait pu voir le jour, il protégerait les enfants des autres de cet univers démoniaque.

  Karen attendait dans le lit en lisant une ouvre d’une épaisseur déconcertante. Ils aimaient bien se faire des soirées plateau télé dans la chambre. Satanas entra avec un plateau à pied sur lequel trônaient deux plats de lasagnes, des verres, de l’eau et une rose dans un soliflore.

  - Bonne soirée mon ange.

  - Merci. C’est adorable ! Bonne soirée. J’espère que l’on va pouvoir en profiter, dit-elle en se frottant les mains et en allumant la télé avec la télécommande.

  Machinalement, Satanas tourna la tête vers son réveil. L’écran de son téléphone s’alluma. Un message apparut : « Contact phase 2 »


******


  Summers regarda autour de lui et se prit à penser que finalement il n’était pas si mal fait ce quartier. Si on ne faisait pas attention aux détails, l’illusion passait correctement.

  Charlyne ne cessait de le dévorer des yeux. Enfin, elle était, enfin, à un café avec James Summers, le plus bel agent de toute la section spéciale.

  - Tu sais je suis vraiment contente que l’on ait eu le temps de prendre ce café. On le dit souvent et on le fait jamais.

  - Oui tu as raison. Tu sais, je ne te le dis pas souvent mais j’aime beaucoup tes yeux.

  - Pas souvent ? C’est parce que tu accroches sur « jamais » ? Répondit-elle en souriant et en rosissant un peu.

  - On pourrait se voir plus souvent en dehors du boulot. C’est sympa. Je suis content de prendre un café avec toi. Tu aimes quoi comme films ?

  - Oh… Euh… Un peu de tout… Comme toi en fait.

  - Comme… Moi ? Mais tu ne sais pas ce que j’aime !

  - Non en effet, mais tu as forcément bon goût, répondit-elle complètement sous le charme.

  Summers se mit à rire spontanément et ne sut trop quoi répondre.

  - Okay… Euh c’est gentil… Je suppose que cela signifie que ce sera moi qui choisirai et que ce sera un pari. Il rit de nouveau gentiment.

  - Parle-moi de toi. Parle-moi de ta famille.

  - Ah ! Ma famille… Ce n’est pas un peu une sorte d’accord tacite dans notre métier de ne pas parler de notre famille ?

  - Jim, ça fait combien de temps que nous travaillons ensemble ? Cinq ? Six ans maintenant ? Je pense qu’à ce rythme-là, nous devons être l’équipe qui a le plus fonctionné ensemble dans cette Agence. Cela reviendrait à dire que nous avons passé un tiers de notre vie ensemble. C’est plus que certaines personnes. Et je sais ce que tu prends au déjeuner alors… Parle-moi de ta famille.

  - Qu’est-ce que je prends au déjeuner ? Demanda-t-il avec un air moqueur.

  - Deux croissants et un café noir passé dans une cafetière italienne, avant tu prenais du jus d’orange mais plus maintenant. Tu essayes de réduire le sucre. Et ne change pas de sujet…

  Elle tendit une main vers lui pour saisir la sienne qui reposait à côté de la tasse. Il la retira doucement. Une ombre passa sur le visage de Charlyne.

  - Désolé non. Pas la famille. Plus tard peut-être mais là non. Je suis un peu farouche vois-tu et méfiant. Ne le prends pas pour toi mais ce n’est pas évident pour moi. Commençons par un ciné.

  Charlyne plongea son regard dans le sien. Qu’avait bien pu vivre Summers pour se fermer autant ? Elle acquiesça d’un hochement de tête. Pourquoi pas après tout y aller doucement.

  Summers sourit d’un air gêné. Il savait qu’il avait blessé Charlyne. Il était suffisamment fin psychologue et surtout, elle avait de tellement gros sabots qu’il n’ignorait pas les sentiments qu’elle avait pour lui. Mais il ne se sentait pas encore prêt pour ça. Il avait toujours été solitaire, c’était entre autres une des raisons qui l’avait fait remarqué par l’Agence, et il ne voulait pas faire de mal à Charlyne. Il aimait bien Charlyne. Sincèrement. En tout cas plus que Sandra qui n’était qu’une occupation intellectuelle pour se changer les idées. C’est pour cela qu’il voulait protéger la rouquine. La protéger de lui-même.

  Lorsqu’ils se décidèrent à rentrer après avoir encore discuté un bon moment, il plongea la main dans la poche de sa veste et sentit son téléphone vibrer. Il saisit l’appareil. Sur l’écran un message apparut : « Contact phase 2 »


******


  La sonnette de la porte d’entrée résonna dans le silence de la maison. Jimmy descendit nonchalamment ouvrir. Elle retentit une nouvelle fois. Deux coups brefs, un long, un bref. Jimmy s’arrêta au milieu de l’escalier. Cette sonnerie ne pouvait signifier qu’une chose. Son contact venait lui rendre visite. Il lui avait déjà porté un certain nombre de cadeaux, que pouvait-il lui vouloir ?

  Jimmy ouvrit la porte et se trouva nez à nez avec un homme grand et imposant.

  Dans ses bras, deux cartons. Et vue la taille, ils ne contenaient pas des chocolats.

  - C’est pour bientôt. Entraînez-vous avec d’abord. C’est un peu susceptible.

  Une fois la porte refermée, Jimmy déballa ses cadeaux.

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