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Une grande lumière blanche, éblouissante. Tout est blanc autour d’elle. Aucun son. Ni dans sa tête ni alentour. La lumière est tellement vive qu’il lui est impossible de distinguer le sol, les murs, le plafond. Si ce n’était le lit sur lequel elle est allongée, elle jurerait être morte. Cela dit, qui est vraiment capable de dire à quoi ressemble la mort ? Si ça se trouve on est accueilli dans un lit dans une salle blanche.

  - Dans ce cas, le Paradis est un hôpital. Dit-elle à haute voix. Ce qui la surprend le plus est le fait que même sa voix est assourdie, comme si aucun son ne devait sortir.

  Elle se redresse péniblement. Ses membres sont engourdis et elle a des courbatures partout. Un mal de crâne lui fait l’effet d’un étau et vraisemblablement elle a faim. Elle en déduit qu’il y a donc plusieurs heures qu’elle est endormie. Et en poursuivant son raisonnement, elle essaye de savoir comment elle a pu arriver là.


  Elle se souvient être montée dans la voiture avec Clarks. S’être installée à l’arrière et avoir attaché sa ceinture et… Et rien… Si une légère piqûre dans le cou. Machinalement, elle passe sa main sur sa nuque et sent une petite plaie. Une piqûre d’insecte ? Non. Plutôt, une griffure. Quelle bestiole aurait bien pu l’avoir griffée ? Une bestiole ? Non plutôt une traîtresse. Clarks n’était sans doute pas ce qu’elle paraissait être, c’était elle qui l’avait griffée ou piquée. Elle lui avait injecté un truc. Elle se souvient que peu de temps après la tête lui avait tourné et qu’elle s’était endormie. Et puis… Et puis là. Le lit, la pièce blanche, la chemise de nuit sexy en plastique blanc, le mal de crâne, la faim.

  Elle essaye de descendre du lit. Ses pieds nus pendent au bord du lit. Le lit est haut ? Le sol est bas ? Elle est trop petite ? Comment peut-elle le savoir elle ne distingue pas le sol.

  En se laissant glisser lentement, prudemment, elle finit par reposer sur quelque chose. Quelque chose, c’est le terme exact. Ce n’est ni dur, ni mou, ni moquette, ni carrelage, ni lino, ni parquet, c’est juste… Quelque chose. Alors elle se lève et commence à marcher doucement. Elle a l’impression de marcher sur du coton, sur un nuage. Même le sol est imperceptible. Décidément ce lieu est étrange. Et si elle est vraiment morte, alors elle a découvert où résidait l’âme dans l’être humain. En tout cas pour elle, c’est dans son estomac. Elle finit par en avoir des crampes tellement la faim la tiraille. Et soudainement, comme par magie, comme si quelqu’un avait lu dans son esprit, elle découvre non loin d’elle une petite table sur laquelle se trouve un petit déjeuner complet. Mais d’où sort cette table ? Et d’où sort toute cette nourriture ? Un chocolat chaud, des croissants, des œufs au plat, un bol de porridge, de la confiture de mûres, des fruits, des toast grillés et de la brioche… Elle est convaincue qu’il n’y avait rien à cette même place quelques secondes avant.

  - Alors, là je vais fermer les yeux et la prochaine fois que je les rouvrirai il y aura un yacht à cette même place.

  Elle ferme les yeux… Attend… Les rouvre…

  - Bon. Eh bien va pour porridge et croissants.


  Elle s’attable et se met à déjeuner sans se précipiter mais de bon appétit.

  Elle en est à son troisième croissant et sa deuxième tasse de chocolat quand soudain le blanc disparaît. Ou plus précisément, une ouverture rectangulaire apparaît dans le blanc environnant et révèle la femme avec qui elle avait fait route jusque là. C’est à une Rachel avec la bouche ouverte, et un peu de chocolat dégoulinant au coin des lèvres qu’elle s’adresse avec le plus profond mépris.

  - Suivez-moi, il vous attend.

  - Madame Clarks je présume ou est-ce plutôt Madame Bobards, Madame Kidnapping. En temps normal vous ne paraissez déjà pas avenante mais là vous faîtes carrément peur…

  - Je ne suis pas autorisée à vous parler. Suivez-moi, il vous attend.

  - Vous n’êtes pas autorisée à me parler ? Ca n’a aucun sens. Et qui m’attend ?

  - Suivez-moi, il vous attend.

  En attrapant un morceau de brioche et un dernier croissant, Rachel suit Clarks sans poser de question.


  La bonne nouvelle est qu’elle n’est pas morte. L’autre bonne nouvelle est que manifestement ses ravisseurs veulent la garder en vie. Si ce n’avait pas été le cas, ils ne lui auraient pas donné à manger et vu la remarque qu’elle avait faite à Clarks ou quel que soit son nom, elle aurait certainement pris un coup. Non. Elle doit être en sécurité, d’une certaine manière. A elle d’essayer d’en savoir plus.

  Tout autour d’elle des couloirs sombres, des portes en métal, un éclairage assez… Moche… Tout ressemble à un bunker allemand à l’abandon. La seule différence est la longueur des couloirs. Incroyablement longs. Cela dit, Rachel n’a jamais visité de bunker allemand. Elle n’a aucune idée de la taille réelle de leurs couloirs. En fait, ce qui ressemblerait le plus à ce qu’elle a sous les yeux est la base de Cheyenne Mountain, dans Stargate, la géniale série géniale Richard Dean Anderson, pas le film de bourrins avec Kurt Russel.

  - Vous aimez Richard Dean Anderson ? Celui de Stargate, pas celui des années 80’s…

  Pas de réponse. La femme devant elle l’ignore magnifiquement.

  De temps à autre, elle tente de lire les pensées de son guide mais en vain. Pas une fuite de pensée, pas une ritournelle de protection, pas un son à capter.

  - Vous ne parviendrez pas à pénétrer mes pensées, je suis entraînée pour ce genre de choses.

  Rachel est surprise quelques secondes, comment la femme devant elle peut-elle savoir qu’elle est en train de sonder son esprit ? Une hypothèse lui vient alors immédiatement.

  - Ce genre de choses ? Il y a dans la voix de Rachel une forme d’espoir. Vous voulez dire que je ne suis pas la seule ? Nous sommes combien ? Ce sont toutes des filles ? Je les rencontrerai un jour ? Comment vous êtes-vous entraînée ? Vous lisez les pensées, vous-même ?

  - Je ne suis pas autorisée à vous parler. Nous y sommes presque.


  Pendant qu’elle suivait la femme, elle tenta par trois fois de se projeter astralement dans son corps mais peine perdue, la guide était vraiment entraînée à toutes les éventualités.

  Elles arrivent finalement devant une porte coulissante. Un capteur de présence en haut de la porte et un digicode en bloque l’accès.

  - Quoi c’est ça votre protection ? Et il faut que je regarde ailleurs c’est ça ? A moins que je ne doive vous arracher un doigt pour la reconnaissance palmaire !

  Sa guide lui jette un regard méprisant et se retourne vers le digicode. Elle tape un code d’ouverture si long que Rachel ne retient que les cinq premiers chiffres, il lui semble qu’il y en a au moins une vingtaine encore après.

  - J’espère pour vous qu’en cas d’incendie vous avez une autre sortie, parce qu’avec un code comme ça, vous devez vous attendre à perdre au moins la moitié de votre personnel le temps que la porte ne s’ouvre.

  Un léger signe de crispation dans les doigts est l’unique manifestation de son interlocutrice sur l’agacement qui la submerge. Rien d’autre ne se manifesta. Et cela ne dura que quelques instants. Quand les filles passent la porte, Clarks est passée à autre chose.

  …rontée et impertinente ! Rachel se fige et regarde la femme qui la précède. Elle en est sûr, elle vient de capter un bout de ses pensées. Elle vient de relâcher ses barrières mentales sous le coup de la colère et Rachel a pu s’infiltrer un peu. Peut-être que si elle pousse sa gardienne à bout…

  - Dites-moi, ce n’est pas un peu vexant de faire le travail de sous-fifre ? Je veux dire que vous vous êtes donnée tout ce mal pour m’amener jusques ici mais on ne vous laisse pas aller plus loin ? On ne vous fait donc pas confiance à ce point ?

  - Nous sommes presque arrivées. Répond Clarks imperturbable.

  - Oui je sais, ça fait à peu près quinze fois que vous me le dîtes… Reconnaissez-le, vous êtes paumée… En plus de ne vous donner que des boulots sans intérêt, ils ne vous donnent pas les plans de la base… Franchement… Je trouverais ça vexant à votre place…

  Léger mouvement de crispation dans les épaules. Une nouvelle barrière vient de tomber. Rachel en profite. Elle se projette mentalement dans l’esprit de la femme pour prendre possession de son corps et l’obliger à donner l’ordre que l’on libère Rachel. Mais elle ne s’attend pas à cela. Une bataille mentale s’engage. La femme résiste. Rachel sent une force s’opposer à son esprit. Le plus souvent lorsqu'elle prenait possession d’un corps, le propriétaire était comme endormi. D’une certaine manière, elle avait compris qu’un corps ne peut accepter qu’un seul esprit. Et comme l’invasion d’un autre esprit est choquant, le propriétaire n’a aucune réaction mentale, juste le temps qu’il faut pour qu’elle prenne le contrôle. Mais à cet instant, la propriétaire ne cède pas et cherche à récupérer son bien.

  Les deux femmes semblent comme figées dans le temps. Les yeux ne cillent pas. Les visages sont de marbre, on les aurait dit coulés dans la cire. Même leur respiration est inexistante. Si quelqu’un était arrivé à l’instant, il aurait sans doute cru à deux statues particulièrement réussies.

  Cela dit, à l’intérieur de l’esprit de l’une d’elle c’est le chaos. Jusqu’à ce que l’une des deux gagne.

  Clarks empoigne le talkie-walkie qui était accroché à sa ceinture.

  - Envoyez une équipe de sécurité. J’ai besoin d’aide pour la traîner dans la salle.

  A ses pieds, Rachel est inconsciente.


  Pour la seconde fois en quelques heures, Rachel se réveille avec un nouveau mal de crâne.

  Le combat mental a été épuisant. Clarks était vraiment bien entraînée. Elle avait été repoussée sans pouvoir rien faire. Clarks n’avait pas été surprise de son intrusion. Immédiatement, elle avait érigé ses défenses mentales et Rachel avait été projetée avec tellement de force qu’elle en avait été assommée.

  Et maintenant, voilà qu’elle se réveille dans une nouvelle salle. Sauf que cette fois, elle est assise à une table bien réelle, sur une chaise bien réelle avec… Des menottes bien réelles ! Elle est avachie sur la table, la tête dans les bras. Et pour donner le change et gagner un peu de temps, pour l’instant, elle ne bouge pas d’un cil. Au travers de ses cheveux qui la masquent et sans remuer elle essaye de repérer les lieux.

  En face d’elle un homme en costume de couleur grise, plutôt jeune et bien coiffé, la regarde en lui souriant.

  Elle redresse la tête avec sur le visage la même expression que si elle venait de sortir d’une nuit de beuverie.

  Sur la table devant lui, un dossier assez épais. Rachel lit à l’envers sur le dossier deux mots qu’elle connaît bien. Ce sont ceux qui désignaient la femme qui pendant seize ans avait été sa mère.

  Ses cheveux glissent le long de son visage comme une vague silencieuse. Son visage est doux. Ses yeux pétillent de malice malgré la situation oppressante qu’elle est en train de vivre. Cela dit elle ne peut s’empêcher de penser que vêtue de sa chemise d’hôpital, et avec ses longs cheveux en vrac qui recouvrent presque tout son visage, si quelqu’un avait passé cette porte à ce moment-même, il lui trouverait certainement des airs de gamine de The Ring… Si quelqu’un avait passé cette porte… Une salle d’interrogatoire… Un homme en costume avec une fille aux cheveux longs… Elle tourne la tête lentement vers la porte… Rachel est prête à parier qu’une jeune fille fantôme lui ressemblant étrangement vient de l’observer.

  Derrière l’homme, dans un coin, Clarks attend les mains croisées devant sa taille.

  Rachel se prend la tête dans les mains. Comme si la situation n’était pas assez tordue, elle va devoir vivre avec ce chien de garde constamment collé à elle.

  - Ca y est elle se réveille. Je vous l’avais dit. Elle est d’une nature fragile. Je ne suis pas convaincue de la pertinence de ce recrutement. De plus elle est mal élevée et particulièrement effrontée. Elle n’a pas cessé de me houspiller pour me faire sortir de mes gonds.

  - Oui Anna et ça a marché, elle a réussi à vous faire baisser vos barrières. Donc c’est une bonne recrue. Je vous remercie pour tout, laissez-nous maintenant.

  - Oui laissez-nous Carter… Mais vous, vous ne ressemblez pas à O’Neil, poursuit-elle en se tournant vers l’homme… Puis elle laisse sa tête retomber dans ses bras.

  L’homme sourit gentiment. Il ne s’attendait pas à ce que Rachel ait la force de lancer une pique.

  - Vous avez de la répartie, c’est bien. Surtout quand on sait que vous êtes totalement à notre merci, avec les poignets menottés et que deux gardes sont derrière vous, prêts à toute éventualité. Mais je préfère cela, vous avez un moral solide, c’est important.

  La femme prénommée Anna quitte la pièce en faisant claquer ses talons plus que de raison pour manifester sa vexation.

  - Veuillez excuser l’agent 359, elle n’est pas toujours affable mais elle est vraiment efficace sur le terrain. Je lui ai déjà dit d’être plus compréhensive avec des gens comme vous, mais c’est dans son caractère. Mademoiselle Bernstein, je me présente, Agent Spécial James Summers. C’est moi qui suis chargé de veiller sur vous et de vous former.

  Rachel relève la tête brusquement, elle est parfaitement réveillée.

  - Me former ? Me former à quoi ? Qu’est-ce que je fais ici ? D’ailleurs c’est où ici ? C’est quoi des gens comme moi ?

  - Calmez-vous. Tout va bien. Vous êtes en sécurité. Prenez votre temps, je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions…

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