Un nain-cident

5 minutes de lecture

« Ilphas ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? C’est eux qui… Maman !

— Un guérisseur, c’est toujours plus prudent qu’une tornade, sourit-elle en hochant la tête, surtout quand elle s’appelle Elvire. Comme ça on est sûrs qu’il ne t’arrivera rien.

— Et tu as dit oui ? je réplique en me tournant vers mon ami.

— Parce que j’avais le choix ? De toute façon tu serais partie, avec ou sans moi, non ?

— Bien sûr que oui ! Mais tes patients ? Ta clientèle ?

— J’ai trouvé un remplaçant. »

Je lâche un grand soupir et secoue la tête. Vraiment, qu’est-ce que j’ai fait aux Dieux pour avoir ces parents… Et si même mes amis s’y mettent, je suis pas rendue. Je jette un regard à l’extérieur et fronce les sourcils. C’est moi ou il y a une lueur rougeâtre à la lisière de la forêt… ? Et à cet endroit, la seule chose qui peut avoir déclenché un incendie, c’est…

« Ilphas, tu es bien sûr d’avoir éteint ton foyer en partant ?

— Hmm ? Quoi, ça brûle ?

— On dirait.

— Ah ? Bon bah, tant pis. On y va ? »

J’échange un regard avec mes parents, qui le détournent et se mettent au nettoyage. Ilphas lui-même reste appuyé contre la porte, sûrement pour éviter qu’elle se referme, auquel cas il serait obligé de sauter pour s’accrocher à la poignée, chose qu’il considère comme suffisamment humiliante pour s’interdire de le faire en public. Surtout qu’avec ses quatre-vingt-dix centimètres de haut sur une bonne trentaine de large, il n’est pas vraiment ce qu’on considérait un poids-plume. Le voir sauter relevait du miracle et lui valait généralement le surnom de Nilphas, une espèce de limace sauteuse rectangulaire, dont beaucoup soupçonnent qu’elle est à l’origine de son nom. Et herbivore, ce qui sonne comme une insulte aux oreilles d’un herboriste carnivore.

Ce nain en particulier est aux elfes ce que l’homme est aux Dieux : un inférieur dont la ressemblance frappante ne peut qu’être offensante. Si dans son cas elle n’est pas physique, avec sa taille réglementaire et sa pilosité impressionnante, n’importe qui conversant avec lui pour la première fois repartait avec l’étrange impression d’avoir rencontré un arbre millénaire. Inflexible, sérieux et hautain, très feuillu mais trop vieux pour donner ne serait-ce qu’un aperçu de l’entièreté de ses capacités. Son esprit est aussi obscur que les forêts où se terrent les soldats des bois. Certains disent même que ses capacités et ses connaissances viendraient d’un mélange contre-nature entre deux espèces qui se haïssent depuis des temps immémoriaux…

Comme une certaine personne que je ne nommerai pas, n’est-ce pas ?

Les relations entre lézards et humains ne sont pas si mauvaises, elles tendent à s’améliorer depuis plusieurs décennies. De plus, leur mélange a été approuvé par la Convention des Mages, qui refuse toujours celle des elfes et des nains tant que ceux-ci ne l’auront pas sollicitée.

Mais on se fait toujours la guerre pour avoir la propriété des zones aqueuses, pourtant ?

Certes, mais…

Pas de mais qui tienne ! Reste à ta place et laisse-moi décrire puisque tu ne peux pas le faire sans ramener ta science !

C’est toi qui fais des commentaires !

Je m’éclaircis la gorge. Ilphas Sangboue est un nain et un guérisseur. Voilà. Et un ami. On s’est rencontrés…

« Bon, Elvire, je t’attends dehors. Quand tu auras fini de préparer tes affaires, je serai probablement déjà arrivé au village le plus proche. Ah et, voyager de nuit n’était pas une très bonne idée, donc je serais toi, je me dépêcherais avant que la nuit s’installe vraiment. Autant je ne suis pas inquiet pour moi, autant toi… »

Et il part, laissant retomber la porte. Je jette un regard vers l’extérieur, où de vraies flammes se dessinent à l’horizon. Pourtant, sa silhouette passe devant la fenêtre opposée, comme si de rien n’était.

Il a mis le feu à sa maison volontairement.

Je l’ai compris brusquement, sans en voir les raisons. Et tant qu’on a pas d’illumination, se monter la tête ne sert à rien. J’ai confiance en Ilphas.

Je récupère mon sac, les provisions cachées dans le jardin – enfin, cachées, c’est un bien grand mot, plutôt recouvertes d’un vieux drap en plein milieu du terrain – mais bref, je les récupère, ajuste la sangle de mon fourreau à ma taille, glisse mon bras dans mon petit bouclier de voyage, embrasse mes parents en leur promettant de lui envoyer une des nouvelles le plus souvent possible et c’est le départ.

Enfin, le départ. Ce moment que j’ai attendu si longtemps. J’aurais voulu ne pas partir simplement pour partir, mais partir pour quelque chose de plus grand. Mais bon, tant pis. Si les Dieux ne m’en jugent pas digne, ils peuvent aller se faire voir. J’en suis digne et je le leur prouverai.

Et dans la nuit qui commençait, dans l’obscurité, une paire d’yeux se détourna du spectacle fascinant des flammes qui dévorent l’œuvre d’une vie pour les tourner vers le chemin de terre à peine entretenu sur lequel avançait d’un bon pas un être où se concentraient le mystère, le courage et les malédictions. Derrière lui, un demi-reptile tentait de faire bonne mine en courant pour le rattraper, cachant son teint aux écailles verdâtres sous un capuchon qui lui dissimulait les étoiles.

« Quoi ? j’entends hurler alors que je ne suis qu’à quelques mètres de lui. Sortir la nuit du village ? Mais vous êtes tous fous ! Les bandits, les monstres, tout ça, ça vous parle ? Même cette imbécile d’Elvire a décidé de ne partir que demain !

— C’est une urgence ! Je dois être en ville demain matin au lever du jour !

— Eh bien il fallait partir avant que le soleil se couche, monsieur, rétorqua celui qui devait être le garde. Vous trouverez une auberge à quelques mètres d’ici, comme ça vous pourrez partir dès qu’on rouvrira les portes. Mais personne ne quitte les lieux tant que le soleil n’est pas levé, ce sont les ordres.

— Écoutez, je vous promets que si vous me laissez passer, vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Qu’est-ce que je peux vous donner... Vous voulez de l’argent ?

— Tentative de corruption ! C’est une honte, monsieur, une honte ! Allez à l’auberge immédiatement, sinon vous dormirez en prison !

— Mais puisque je vous dis que je ne risque rien !

— C’est ça, oui, bien sûr, répondit une autre voix. Allez, Marco, embarque-moi cet énergumène. Je reste là à monter la garde. »

Ilphas se figea, profitant de sa petite taille pour se cacher dans les ombres.

Moi, au contraire, je fais demi-tour le plus vite possible, juste à temps pour me glisser entre deux murs. Lorsque je suis sûre que le garde est passé, je me relève. Trop vite, toujours… Et me prend le coin de la fenêtre.

« Chérie ?

— Maman ?

— Tu n’étais pas partie ?

— Euh… Disons que je n’avais pas vraiment vu l’heure… Ça vous dérange si on reste dormir ici cette nuit, avec Ilphas ?

— Bien sûr que non ! Allez, rentrez. Vous devez avoir faim, en plus. »

Derrière moi, Ilphas grogne en secouant la tête. Pourtant, il rentre avec moi. Je ravale un sourire qu’il prendrait de travers, s’il le voyait. Je suis sûre que lui aussi est soulagé de ne pas avoir à affronter la garde…

Surtout pour sortir de nuit.

Oh, toi, chut !

C’est donc ainsi que commença la grande aventure de celle qu’on nommerait plus tard la Sans-Légende.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Renouveau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0