Une fine équipe

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L’être la regarda, stupéfait.

Ben quoi ? C’est logique non ? Embaucher quelqu’un qui se sent mal dans son job et lui en donner un plus excitant avec des compagnons qui sauront le soutenir, c’est bien ça qu’il faut faire ? Non ?

« Elvire, ça t’arrive de demander leur avis aux gens avant de les lancer dans des aventures où ils risquent leur vie ? »

Le soupir d’Ilphas veut tout dire. J’ai encore fait une bêtise… Peut-être que penser aux autres peut être utile, effectivement… J’essaierai d’y penser la prochaine fois que je me retrouverai dans cette situation.

Quelle prochaine fois… ? Enfin, heureusement pour elle, la solution qu’elle avait trouvée n’avait pas échappée à celui qui allait justement la leur proposer. Avec un peu de chance, cet éclair aurait pu la faire passer pour une intelligence supérieure, mais le regard désespéré du nain acheva de rassurer l’être. Après tout, certains disent que l’intelligence est la chose la mieux partagée au monde, se retrouver avec deux imbéciles dans un groupe, ç’aurait vraiment été pas de chance…

« C’est en fait ce que j’allais vous proposer, sourit l’être, dévoilant des dents tellement blanches qu’elles semblaient luire dans la presque obscurité. Il est spécifiquement énoncé que vous aurez besoin de quelqu’un sachant déchiffrer les arcanes obscurs du destin, donc il me paraissait inévitable que je vous accompagne. À moins que ça ne vous dérange, finalement ?

— Pas du tout !

— Vous avez entendu Elvire, soupira le nain. Une fois que madame a pris sa décision, je préférerais essayer de discuter avec un Elfe que de tenter de la faire changer d’avis. Une vraie mule, celle-là. Elle tiendrait tête à un Dieu sans y voir aucun problème. Des fois, je me demande si elle a ne serait-ce qu’une once de logique en elle.

— Au moins, elle est toujours sincère... »

Je vois bien qu’ils échangent un sourire désabusé et qu’ils se moquent de moi. Et je sais bien que je devrais m’offusquer de leur réaction, mais j’ai l’habitude.

Et puis, ce n’est pas comme s’ils avaient tort…

Oui, oh, hein. Chut. Je ne suis peut-être pas une lumière mais au moins je suis gentille, moi. Alors tais-toi et laisse-moi vivre, tu veux ? Parce que j’ai pas que ça à faire, moi. J’ai une quête à mener à bien, moi. Et des questions à poser, aussi. Des questions de la plus haute importance.

« Dis, tu t’appelles comment ? Tu es quoi comme espèce ? C’est quoi tes pouvoirs ? Dis, dis ! »

Elvire devint rapidement hors de contrôle. Hormis son flux de questions à peu près ininterrompu, les sifflements qu’elle émettait à chaque fois avaient le don d’agacer prodigieusement à peu près quiconque les entendait. Après plusieurs appels au calme et une quasi-exclusion du Bureau par des prophètes excédés qui ne parvenaient plus à travailler et qui, en plus, les accusait d’avoir menacé leur chef, de lui avoir cassé le nez et de l’avoir assommé pour mieux kidnapper leurs employés et les documents ultraconfidentiels qu’ils gardaient, ils essayèrent de tirer des informations compréhensibles de l’être avec lequel ils venaient de s’allier, mais ils ne parvenaient pas à s’accorder sur ce qu’ils entendaient.

« Bob ?

— Marcel ?

— Jean-Pierre ?

— Patrick ?

— Parle plus fort !

— J’entends vraiment rien…

— Qu’est-ce que tu dis ? Paul ?

— Mais tu es bouchée Elvire ou quoi ? C’était Max !

— C’est toi le sourd ! À ton âge, sans boucles amplificatrices, c’est normal que tu comprennes rien !

— Je ne te permets pas !

— Moi non plus ! »

L’être, une main tentant de diminuer le volume sonore et l’autre cherchant à frapper l’un des deux belligérants, leur criait de s’arrêter, de l’écouter, leur criait son nom, les leurs, mélangeait tout, finit par chasser les mouches entre les deux sans en effleurer aucun en hurlant à plein poumon des choses qui ne voulaient rien dire. C’était peut-être la meilleure décision, mais de l’extérieur, disons que n’importe qui les aurait pris pour des fous. Ce que firent les Prophètes, déjà excédés par la présence d’Elvire et ses sifflements horripilants.

Avec tout ce boucan, ils furent donc mis à la porte sans autre forme de procès. Un procès qu’ils avaient mérité et qu’ils avaient perdu en beauté. Et avec tout ça, ils ne savaient même pas comment ce pauvre Ateus s’appelait…

Oups.

« Je m’appelle Bob...arcel, bafouilla-t-il, Ateus… Ateus Bobarcel, voilà. Je suis... »

Il le reste de sa phrase fut noyé dans le brouhaha ambiant. Ils étaient littéralement au beau milieu d’une rue en plein festival, les cotillons volaient, les gens hurlaient, marchandaient à plein poumons, essayaient de s’entendre au milieu des cris, de la musique, des rires et des hennissements des animaux effrayés par tant de mouvements, de bruits et de couleurs, du moins pour ceux qui n’étaient ni sourds ni incapables de distinguer le bleu du vert. Sans doute pouvait-on également y ajouter quelques membres de l’espèce humaine, dont un qui se tenait devant l’échoppe d’un teinturier et arguait qu’un tissu bleu ne pouvait pas être plus cher qu’un vert et que de toute façon, ce n’était pas du bleu turquoise mais du vert, que c’étaient des mensonges pour lui vendre plus cher…

C’est bon, on a compris, les hommes sont stupides. Merci. Revenons-en à Ateus. Parce que je ne comprends rien à ce qu’il nous raconte, il y a trop de bruit, trop de gens…

Donc c’est à moi de faire la traduction ?

Ben, j’y comprends rien, donc soit tu fais la traduction, soit on bouge, mais arrête avec ton histoire de teinturier, vraiment, on s’en fiche.

Très bien.

Non mais… Bon, tant pis. On s’est vexé à ce que je vois. Je secoue la tête, colle le nain sur le cheval, refile les rênes à monsieur Bobarcel et nous nous dirigeons… Je ne sais pas où, mais vers un endroit calme, où on pourra s’entendre. Tiens, la sortie de la ville. Allez, par là.

Nous nous faufilons tant bien que mal à travers les rues bondées, les gens ne s’écartant que pour laisser passer les montures, se fichant complètement d’écraser des pieds, de mettre des coups de coude à droite à gauche ou de vous ensevelir sous leur épaisse chevelure ou la toile de jute qui fait office de jupes. Je commence à m’énerver et, imitant l’exemple des autochtones, trace mon chemin à grands coups d’épaules, bousculant une cinquantaine de passants sur la route, chacun avec un nom d’oiseau différent pour moi. Non pas que ça me dérange, mais si au moins, ça pouvait me faire pousser des ailes… Quoi ? Tu veux reprendre la main ? Mais arrête de soupirer, bon sang !

Ils arrivèrent donc hors de la ville, petit groupe de trois personnes…

Quatre !

Petit groupe de trois personnes et un cheval, donc, déjà poursuivis par les imprécations des marchands, des acheteurs et de la moitié de la population de la ville, sans oublier celles d’Anadaele, déesse de la Lumière et du feu qu’on célébrait ce jour-là et à laquelle aucun de ces voyageurs n’avaient fait d’offrande ou de prière depuis le lever du soleil.

Cependant, celui-ci éclairait de toute sa force la route sur laquelle les avait menés Elvire, ce qui avait au moins le mérite d’avoir fait fuir la plupart des gens. Ils pouvaient enfin se comprendre. Enfin, s’entendre serait plus correct. Il est des gens et des choses qu’on préfère parfois ignorer et des informations qui ne passeront jamais la barrière des lèvres. Des informations qui, peu importe les efforts, resteront toujours incompréhensibles aux esprits les plus gélatineux.

Ils s’installèrent sur le bord de la route, à l’ombre d’un grand saule solitaire.

« Récapitulons, reprend Ilphas. Tu es Ateus Bobarcel, orphelin humain avec un don de clairvoyance presque tout-puissant et tu nous proposes de nous lancer dans la Quête des Elfes Noirs ? D’aller tuer le Grand Dragon qui a fait de la Forêt Funéraire son nid ?

— C’est à peu près ça oui, fit-il en hochant la tête. »

Je ne peux pas m’empêcher de le dévisager. Il y a quelque chose…d’inhumain chez cet humain. Sans doute à cause de l’étrange arrangement de ses cheveux blonds tellement emmêlés qu’à moins de les couper, il faudrait y passer des heures pour leur rendre leur forme d’origine. J’ai beau savoir que c’est une coiffure traditionnelle des terres du sud, j’ai un peu de mal à comprendre ce qu’un prophète des Sept Tribus, humains qui plus est, viendrait faire dans le nord. Si ça colle avec sa couleur de peau… Quoique, quelqu’un d’aussi noir, c’est normal ? Je veux dire, j’ai rien contre eux, mais là, on dirait plus de l’obsidienne que du bois d’ébène, il est presque… Brillant. Un peu plus et il reflète les rayons du soleil, en fait. Et puis, je n’ai jamais entendu parler de gens avec des épaules aussi carrées et le corps d’un poireau qui a manqué d’eau, mais… Et puis ces pieds… C’est pas possible, comment il peut trouver des chaussures à sa taille avec des pieds aussi longs ? Surtout que ses mains sont calleuses et de la taille de celles d’un enfant. Et puis, c’est sans parler de son nez d’escogriffe…

« Euh, Elvire ? Elvire ? Le ton sec de l’homme la prit par surprise. Tu peux regarder autre chose s’il-te-plaît ? Qu’est-ce qu’il a, mon nez ?

— Rien, rien, rien du tout ! Il est très bien ton nez !

— Tu nous a écoutés au moins ?

— Oui oui !

— Et ? Tu es prête à prendre le risque ?

— Ben oui ?

— C’est bien toi qui m’as dit que tu avais peur de tout ce qui était déjà mort ? grogna le nain en secouant la tête.

— Euh… Oui ?

— La Forêt Funéraire, ça te dit quelque chose ? Des cadavres de morts-vivants, des araignées énormes, des squelettes de dragon, des gobelins en pleine putréfaction ? Le tout dans une forêt à moitié brûlée et pleine de fantômes ? »

Ah. Ah oui, effectivement. Non, finalement, heu… Si, si si si c’est mon destin alors on ne se plaint pas et on y va. Dépasser ses limites, affronter ses peurs, c’est ça que je veux ! Bon, si on peut éviter les araignées… Mais j’imagine que ça va avec… Brrr… J’en frissonne déjà…

« Elvire ?

— On y va, je reprends en insufflant à ma voix toute l’énergie possible. C’est par où ?

— D’abord il y a l’entraînement, tu t’en souviens ?

— Ben oui, je suis pas complètement stupide, non plus.

— Et… Il est où, cet entraînement ? »

Nous nous tournons tous les deux vers un Ateus qui détourne le regard.

« Disons que… C’est là que ça se corse. Il faut trouver l’école du Chevalier Rubis.

— Et ?

— Je n’ai pas la moindre idée d’où elle est. »

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