Chapitre 12 - La rentrée (5)

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Dimanche 30 août 1964, Interlaken

— Il a lu ton nom sur l’étiquette du sac, fit Frédéric en riant.

— Non, dit le garçon d’étage, je suis le cousin de l’apprenti cuisinier de votre école, Stefan. Il m’a parlé de vous, ce n’était pas difficile de vous reconnaître.

— En bien, j’espère, dit Koen.

— Il m’a dit que vous étiez chez lui lorsqu’il a annoncé à ses parents qu’il était homosexuel.

— C’est exact. Vous l’êtes aussi ?

— Koen, fit Frédéric, ne sois pas toujours si indiscret.

— Je peux vous le dire, fit Lukas, je ne le suis pas, mais j’avais envie de découvrir si les hommes sucent mieux que les femmes.

— Il n’y a pas de honte à avoir, expliqua Koen, seules de rares personnes sont entièrement homosexuelles ou entièrement hétérosexuelles. Je suce mieux que votre fiancée ?

Frédéric désespéra, il n’arriverait jamais à discipliner son ami.

— Je ne sais pas, répondit Lukas, elle ne désire pas de relations sexuelles avant le mariage. Vous me reposerez la question dans quelques mois. Je vous laisse, merci pour la pipe et bonne année… scolaire.

— Pourriez-vous dire au bagagiste de venir chercher ma valise ? demanda Frédéric. Dans cinq minutes, le temps que nous nous rhabillions.

— Il est aussi mignon que vous, le bagagiste ? s’inquiéta Koen.

— Nous n’avons plus le temps, sinon nous raterons le train. Pas de bagagiste, ni de liftier, ni de femme de chambre, ni de concierge, ni de réceptionniste et encore moins de cocher.

— Je plaisantais. Et la femme de chambre ne m’intéresse pas, à moins qu’elle ait une bite, comme Dominique.

— Je me méfie de tes plaisanteries.

Les étudiants quittèrent l’hôtel en calèche, découvrant la ville comme le faisaient les touristes depuis des générations. Ils prirent ensuite le train à voie étroite et à crémaillère jusqu’à Grindelwald, en première classe, Frédéric paya les surclassements au contrôleur.

Dimanche 30 août 1964, école de Hinterhoden, Grindelwald

Une fois arrivés dans la station, les jeunes gens passèrent au guichet des bagages pour retirer leurs valises qu’ils chargèrent dans le minibus de l’école qui les attendait. Ils montèrent, Franz était au volant.

— Déjà fait connaissance avec les jumeaux ? dit-il. Les nuits vont être chaudes cet hiver, on économisera sur le chauffage.

— Qui se ressemble s’assemble, fit Koen.

— Ouais, je vous rappelle que vous n’êtes plus en vacances, vous êtes là pour étudier. Pas plus d’une éjaculation par jour.

— Je croirais entendre mon père, dit Frédéric.

— Ne suis-je pas votre père à tous ?

— Vous êtes trop jeune.

— Votre grand frère, alors. La directrice vous attend dans son bureau après le dîner, 13h15 pour Frédéric et 13h30 pour Koen.

— Que nous veut-elle ? demanda le Néerlandais.

— Vous verrez bien.

Koen et Frédéric déposèrent leurs bagages dans leur chambre avant de se rendre à la cuisine. Stefan y était, seul devant ses casseroles.

— Salut Stefan ! fit Frédéric. Tu travailles le dimanche ?

— Salut les gars ! Oui, le cuistot a une réunion de famille et ses aides ne commencent que demain. Il n’y a qu’une dizaine d’élèves qui sont déjà arrivés.

— Tu as passé de bonnes vacances ? demanda Koen.

— Très bonnes, j’étais avec Peter au chalet d’alpage et il m’a appris a fabriquer du fromage.

— Il ne t’a rien appris d’autre ?

— On t’a déjà dit que tu es un petit cochon ? Et vous, vous avez passé de bonnes vacances ?

Ils parlèrent rapidement de leur séjour aux Pays-Bas, sans omettre la visite au bordel.

— Tu as déjà vu la bite de ton cousin Lukas ? demanda ensuite Koen.

— Quand il était petit, mais pas depuis qu’il est… un grand garçon.

— Tu devrais lui demander de te la montrer, il aime bien se faire sucer.

— Lui ? Il a une fiancée, à ma connaissance. Et comment le sais-tu ?

Frédéric raconta qu’ils l’avaient rencontré à l’hôtel Victoria et que Koen l’avait sucé.

— Il y travaille pendant ses vacances pour gagner un peu d’argent, expliqua le cuisinier, il fera ensuite l’école hôtelière à Lausanne.

— Pas un mot à sa fiancée, dit Koen.

— Je sais tenir ma langue, moi. Bon, laissez-moi terminer si vous voulez manger à l’heure.

Stefan leur servit du rôti de porc, du gratin dauphinois et des épinards en branche, ainsi qu’une tarte aux pommes, son dessert vedette.

Frédéric se rendit au bureau de la directrice après le repas. Celle-ci avait l’air d’excellente humeur et n’avait pas encore pris son aspect revêche habituel. Elle l’accueillit en lui parlant en français pour la première fois :

— Bonjour Monsieur de Goumoëns, avez-vous passé de bonnes vacances ?

— Excellentes, Madame la directrice, je suis allé aux Pays-Bas avec mon ami. Et vous ?

— Appelez-moi tous simplement Madame von Känel, nos relations seront un peu différentes qu’avec les autres élèves, comme vous allez aussi représenter votre père. Oui, j’ai passé de bonnes vacances, une croisière sur le Danube avec mon… une amie.

Un homme était aussi présent dans le bureau, il s’était levé. Il avait une soixantaine d’années, de longs cheveux déjà blancs, il était vêtu d’un costume trois-pièces impeccable, avec une pochette jaune assortie à sa cravate. La directrice le présenta à Frédéric :

— Mr Rich, notre tailleur.

— Enchanté.

— Mr Rich ne parle pas allemand, seulement le français et l’anglais.

— J’habite à Lausanne depuis des années, expliqua le tailleur en regardant Frédéric de la tête aux pieds. Je connais votre père, je lui taille des costumes sur mesure.

— Oui, il a souvent parlé de vous.

— Vous pourriez lui demander de devenir aussi mon client, je vous proposerais des vêtements plus élégants.

Frédéric avait mis ce jour-là une chemisette noire avec des fleurs multicolores et des jeans patte d’éph’.

— C’est la mode, Mr Rich.

— Je sais, hélas. Les traditions se perdent. Heureusement que cette école a gardé les uniformes.

La directrice leur dit de prendre place devant son bureau.

— Nous avons décidé d’acheter des nouveaux uniformes cette année, une nouvelle collection, en quelque sorte, surtout parce que les anciens sont usés.

— Ce ne sera pas révolutionnaire, expliqua le tailleur, seule la cravate changera et il y aura le nouveau logo de l’école, plus moderne.

— Les ferez-vous sur mesure ? demanda Frédéric.

— Cela dépasserait notre budget, dit la directrice, nous préférons investir dans l’enseignement. Mr Rich prendra cependant les mesures de chaque élève et fera des retouches si nécessaire.

— Merci de m’en avoir parlé, je transmettrai cette information à mon père.

— Il le sait déjà, dit Mr Rich, je le vois souvent et je suis aussi le tailleur d’une certaine confrérie…

La directrice continua :

— Lors de la rentrée, les anciens élèves sont chargés de diverses tâches pour accueillir les nouveaux élèves. Comme vous parlez français, j’ai pensé à vous comme assistant de Mr Rich, vous pourrez traduire ses propos du français à l'allemand si certains élèves ne parlent pas anglais. Vous êtes d’accord ?

— Bien sûr, Madame.

— Parfait. Attendez Mr Rich à l’extérieur, nous avons encore quelques détails administratifs à régler. Et plein succès dans vos études !

— Merci, Madame von Känel.

Frédéric sortit, Koen l’attendait impatiemment dans le couloir.

— Alors ? demanda-t-il.

— Je suis l’assistant du tailleur, il va prendre les mesures de tous les élèves.

— À poil ?

— Je ne sais pas. Probablement.

— Il va aussi mesurer la queue pour les caleçons ? Je pourrais être l’assistant de l’assistant.

— La directrice va sûrement te confier une autre tâche, tout aussi intéressante. Regarde l’homme qui arrive.

Le visage de Koen s’illumina.

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