Chapitre 3 - Week-end culturel et sensuel (17) 

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Samedi 25 juillet 1964, maison Graf & de Bruson, Kesswil

Hyacinthe se rhabilla sans remettre veste et cravate. Koen l’invita à s’asseoir à côté de lui pour le souper, Alexandre et Frédéric se mirent en face. Les invités allaient eux-mêmes se servir au buffet et au bar.

— Pourrais-tu me dire qui tu es, puisque Koen le sait ? demanda Frédéric à Hyacinthe. Il ne pourra pas tenir sa langue bien longtemps.

— C’est un secret de polichinelle, je suis le fils du souverain d’une principauté voisine, je te demande de ne pas le crier sur les toits.

— Je serai discret, je sais qu’il y a beaucoup d’homophobes. Ton père ne sait pas que tu es ici ?

— Si, il le sait, nous avons fait un accord : je ne m’afficherai pas aux bras d’un homme dans les rues de la principauté, je ferai semblant de m’intéresser aux jeunes duchesses, comtesses et autres princesses. Il m’a laissé venir à cette soirée en contrepartie.

— Et comment a-t-il deviné que tu es homosexuel ?

— Les services secrets lui ont signalé que je m’étais abonné au Ring. Je ne peux rien leur cacher, ils doivent même fouiller les poubelles pour voir si j’y laisse des mouchoirs avec des traces douteuses ou des capotes.

— C’est la première fois que tu viens ici ?

— Oui. Ma situation ouvre bien des portes, Graf & de Bruson sont toujours à la recherche de mécènes. J’ai apporté un chèque, j’ai un compte à numéro dans une banque suisse pour ce genre de dépenses.

Frédéric avait remarqué que des gardes de sécurité surveillaient les entrées de la propriété, ce n’était pas spécialement à cause de Hyacinthe, de Bruson lui avait dit que c’était pour se protéger des paparazzis qui auraient volontiers immortalisé une telle soirée « entre hommes ».

Ils retournèrent se servir avant de continuer leur conversation.

— Tu est toujours puceau ? demanda Koen. C’est pour mes statistiques.

— Tu es direct, toi, j’aurais dû m’y attendre depuis que je suis allé chez toi il y a trois ans. Oui, je le suis, et j’espère bien ne plus l’être demain soir.

— Au fait, dit Frédéric, qu’est-ce Koen t’avait montré chez lui ? Le micro était ouvert, j’ai entendu votre discussion.

— Son train électrique Märklin, tu pensais à quoi ?

— À rien, désolé d’être trop curieux. Je ne savais pas que Koen avait un train électrique, je croyais qu’il collectionnait les modèles réduits de bites.

— Je vous inviterai au château, j’ai une maquette de la ligne du Saint-Gothard.

— Tu n’as pas de modèles réduits de pénis ? s’étonna Koen.

— Qui sait ? Il y a beaucoup de bric-à-brac poussiéreux dans les caves du château. Il faudra que je me renseigne auprès du conservateur des collections princières. Je lui demanderai un inventaire de toutes les œuvres d’art en rapport avec le sexe masculin et je les ferai monter dans mes appartements.

— Ça troublera les jeunes duchesses, comtesses et autres princesses que tu inviteras pour y passer la nuit, fit Alexandre.

— Jamais de sexe avant le mariage, c’est interdit par la religion.

— Et après le mariage ?

— On verra. Je suis le cadet, ce n’est pas moi qui régnerai.

Avant le dessert, les invités retournèrent vers la scène. Martin avait aligné quelques chaises, on pouvait aussi s’asseoir dans des fauteuils et canapés autour de la pièce. Une fois que tout le monde fut installé, Martin ouvrit le rideau. Le piano se trouvait maintenant à l’arrière de la scène et il n’y avait plus de micro, Peter chanterait sans sonorisation et sans lutrin, il savait ses chants par cœur.

La porte s’ouvrit, Peter entra, suivi d’Alexandre, sous les applaudissements. Ils avaient mis des habits noirs avec nœuds papillon, contrastant avec les tenues décontractées des autres convives.

Peter commença par quelques chants populaires, les mêmes qu’à la ferme d’alpage deux semaines plus tôt. Il poursuivit avec Lascia ch'io pianga, de Georg Friedrich Haendel, qu’il entonna en voix de contre-ténor. Le plat de résistance fut In fernem Land, tiré de l’opéra Lohengrin, de Richard Wagner. À mesure que le concert avançait, les applaudissements étaient de plus en plus nourris. Le public réclama un bis.

Le chanteur et le pianiste sortirent pour se désaltérer, puis offrirent un premier bis : Erlkönig, de Franz Schubert, que Frédéric avait déjà entendu sur l’alpage. Peter demanda ensuite aux invités dix minutes de patience, ceux-ci en profitèrent pour remplir leurs verres ou fumer une cigarette à l’extérieur.

Peter revint accompagné de Stefan. Peter était habillé en pâtre grec : une culotte étriquée à la braguette proéminente et un gilet court laissant dénudée une bonne partie du torse et du ventre, les deux habits étaient recouverts de laine blanche. Il s’était également collé des poils supplémentaires sur la poitrine. Stefan avait une robe rouge décolletée et de faux seins, une perruque blonde et le visage fardé. Il tenait à la main une partition. Alexandre avait enlevé sa veste et son nœud papillon, sorti sa chemise blanche de ses pantalons.

Sous les rires des spectateurs, il entamèrent le duo Oui, c'est un rêve, un doux rêve d'amour ! entre Pâris et Hélène, tiré de La Belle Hélène, de Jacques Offenbach. Stefan chantait en voix de fausset en regardant son texte, mais il ne s’en sortait pas trop mal car il avait chanté dans un chœur d’enfants.

À la fin des couplets, Pâris décrocha les boutons dans le dos de la robe d’Hélène qui tomba sur le sol, dévoilant la fausse poitrine constituée de deux ballons et une culotte féminine rouge qui avait de la peine à cacher son contenu masculin. Pâris fit sauter les ballons avec une épingle. Hélène enleva le gilet de Pâris et lui baissa sa culotte, exposant son pénis encore caché par une imposante toison bouclée, aussi en laine blanche. On devinait le gland qui pointait.

Pâris se rapprocha d’Hélène et l’embrassa fougueusement, déchira la culotte, le public constata avec intérêt qu’Hélène bandait déjà. Elle arracha la toison de laine et la jeta dans le public. Ils s’embrassèrent à nouveau, leurs deux sexes tendus l’un contre l’autre, puis Pâris fit basculer Hélène sur le sol, mimant une copulation.

Alexandre, l’air outré, prit un bidon d’eau caché derrière le rideau et le versa sur les deux amants. Ceux-ci réagirent rapidement, ils se relevèrent et déshabillèrent entièrement le pianiste qui mit les mains devant son sexe. Martin ferma le rideau.

Applaudissements frénétiques dans le public. Le rideau se rouvrit, Alexandre avait toujours les mains devant son pénis, mais Stefan et Peter lui soulevèrent les bras pour saluer de nombreuses fois.

— Tu penses qu’ils vont se branler à présent ? demanda Koen à Frédéric.

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