Chapitre 6 - Soirée chez Stefan (2)

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Jeudi 6 août 1964, Zweilütschinen

Réactions diverses autour de la table : Stefan avait l’air catastrophé, Frédéric secoua la tête, Klaus et Dagmar sourirent. Le père éteignit son cigare. La mère ne perdit pas contenance :

— Vous savez, Monsieur Grotelul, nous sommes au courant de ces choses même dans un petit village, j’ai récemment lu un article à ce sujet dans Annabelle et j’en ai discuté avec mon mari. D’un côté, cela m’arrangerait qu’un de mes fils sorte avec un garçon, j’ai toujours eu peur qu’ils engrossent une fille à la sortie d’un bal, sur un coup de tête.

— Nous prendrons nos précautions, dit Klaus.

— Et la date du mariage est fixée au printemps prochain, ajouta Dagmar, ce ne serait pas si grave que ça.

— Il y a toujours des gens dans le village qui comptent le nombre de mois depuis le mariage jusqu’à la naissance d’un bébé, dit la mère.

— Il peut y avoir des prématurés, fit Koen.

— Oui, mais pas trois mois après l’union. Quelqu’un m’a déjà dit que j’avais un fils homosexuel.

— Moi ? fit Stefan, étonné.

— Non, elle pensait à Klaus parce qu’il apprend le métier de coiffeur.

— C’est certainement la mère Stirnimann, dit l’intéressé, quelle pipelette ! Elle ferait mieux de balayer devant sa porte.

— Pourquoi ?

— Son fils est homosexuel.

— Le Küse ? Comment le sais-tu ?

— Les salons de coiffure sont le lieu idéal pour les ragots, mais je n’ai pas contrôlé si c’est vrai.

— Dommage, dit Dagmar, il est mignon le Küse, il était dans ma classe et toutes les filles étaient folles de lui.

Il y eut un moment de silence, tous attendaient que Stefan dît quelque chose. Peter lui prit la main sous la table, la serra, ils échangèrent un regard.

— Ben oui, je le suis, finit par dire Stefan très doucement, les larmes aux yeux. Et Peter est mon ami.

— Tu vois, Trudi, j’avais raison, pour une fois, dit le père en se levant.

— Je suis content pour toi, dit la mère, mon seul souhait est que tu sois heureux, que vous soyez heureux plutôt, il me semblait bien qu’il y avait quelque chose qui te tracassait ces derniers temps, je pensais que c’était le stress de l’apprentissage. Tu as eu raison de nous le dire.

— J’ai presque été forcé… dit Stefan en regardant Koen.

Le père sortit une bouteille de vin mousseux du frigo.

— J’ai bien fait de la mettre au frais, elle vient du Val-de-Travers, de chez Mauler, la dernière excursion avec les contemporains.

La mère rinça les verres dans l’évier en s’excusant car ils n’avaient pas de cüpli, le père ouvrit la bouteille et les remplit. Ils se levèrent pour trinquer à la santé des deux amoureux. (NDA Cüpli : mot suisse alémanique pour petite coupe, on l'utilise pour le champagne)

— On se tutoie tous, dit le père, je suis le Fredy.

Stefan était soulagé, il rayonnait. Peter lui fit la bise, imité par Dagmar. Sa mère le serra dans ses bras.

Ils ne restèrent pas longtemps à table car ils devraient se lever tôt le lendemain. Les jeunes insistèrent pour aider la mère à laver la vaisselle. Ils sortirent ensuite prendre l’air.

— Tu es soulagé ? demanda Peter à son ami.

— Oui, et tout ça à cause de Koen.

— Ou plutôt grâce à lui. Tu as fait exprès de demander ça à sa mère ?

— Oui, je pensais qu’il y aurait 80% de chances que cela se passe bien.

— Je me demande comment je pourrais te remercier, dit Stefan.

Koen chuchota quelque chose à l’oreille de Stefan qui rit.

— Que désire-t-il ? demanda Klaus.

Stefan le lui dit en chuchotant également.

— Je me serais attendu à n’importe quoi d’autre que ça. On verra demain matin. Dagmar et moi avons d’autres projets pour ce soir. Euh, j’ai dit à maman qu’on prendrait des précautions mais je n’ai pas pensé…

— Ne t’en fais pas, je vais t’en filer une boîte. Dans ma table de nuit.

— Tu n’en auras pas besoin ?

— Je suis sûr que Koen en a une réserve pour un bataillon.

Stefan et son frère dormaient d’habitude dans la même chambre, il avait laissé son lit à Dagmar, les fiancés prirent congé. La nuit était tombée. Koen demanda où étaient les toilettes.

— Tu peux pisser dehors, les porcs le font sans nous demander notre avis.

Les quatre amis se soulagèrent dans l’herbe en faisant de nouveau un concours de celui qui pissait le plus loin. Koen gagna.

— On se lavera dans la fontaine demain matin, dit Stefan, il fait trop froid et il se fait tard.

— Et l’eau froide ratatine les bites, ajouta Koen.

Stefan avait une lampe de poche, il conduisit ses amis dans la grange où ils avaient déposé leurs affaires et installé les sacs de couchage sur la paille avant le souper.

— On dort à poil dans les sacs ? demanda Koen.

— Je ne pense pas qu’ils les lavent chaque fois, dit Frédéric, tu feras attention de ne pas mettre du foutre partout.

— Je ferai attention, t’inquiète. Je peux voir quand vous vous branlez ?

— Qui t’a dit qu’on se branlerait ? demanda Peter. On peut aussi faire autre chose.

— Pas de problème, cela ne me choque pas.

— Passe-moi plutôt les préservatifs au lieu de barjaquer. (NDA Helvétisme pour bavarder)

Koen dut prendre la lampe de poche pour les chercher dans son sac. Il dirigea ensuite le faisceau vers les bites de ses amis et constata avec plaisir qu’elles étaient déjà dressées.

— Ton frère est d’accord ? questionna Koen.

— Il a dit demain matin, j’espère que cela ne va pas t’empêcher de dormir.

Koen et Frédéric se contentèrent de quelques câlins et d’une branlette mutuelle tandis que Stefan et Peter firent des figures plus acrobatiques. Koen ne les vit pas puisque la pile de la lampe de poche avait rendu l’âme.

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