Chapitre 10 - Vacances aux Pays-Bas (14)

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Mercredi 19 août 1964, Amsterdam

Le capitaine éclata de rire puis répondit à Koen :

— Tu crois que ton père est gay ? Qu’est-ce qui te fait penser cela ?

— Pourquoi pas ? Celui de Frédéric l’est, ou plutôt bisexuel.

— Tu n’as qu’à lui demander : « Dis, papa, nous sommes allés sur la péniche des pédés et j’aimerais savoir si tu es aussi un habitué ».

— Je n’oserais pas.

— La discrétion s’applique également aux membres d’une même famille. Imagine le contraire, que je dise à ton père que tu es homosexuel. Cela pourrait provoquer un drame.

— Il le sait déjà et cela n’a pas provoqué de drame.

— Très bien, tu as un bon père, je voterai pour lui aux prochaines élections. Rhabillez-vous, on continuera à discuter en mangeant.

Ils remontèrent dans la cabine. Toutes les fenêtres étaient ouvertes et la température était plus agréable que dans la cale. Il y avait une longue table avec des couverts pour huit personnes. L’employé de banque ou fonctionnaire s’était éclipsé, pas contre Joop était aussi invité. C’était un repas froid : de la charcuterie, du fromage et des salades. Le barman ouvrit une bouteille de rosé d’Anjou. Ils mangèrent de bon appétit.

— Pourriez-vous m’en dire plus sur cette péniche ? demanda Frédéric au capitaine après le repas.

— L’eau m’a toujours fasciné. C’est pour cela que je me suis engagé comme mousse dans la marine marchande, juste après la guerre. C’est là que j’ai rencontré Joop, nous étions dans la même cabine.

Koen l’interrompit.

— Serait-ce indiscret de vous demander si vous pouviez baiser dans la cabine ?

— Très indiscret ! Je vais quand même te répondre. Nous étions quatre, si les deux autres avaient un quart, on pouvait, mais il fallait rester discrets. Nos chemins se sont ensuite séparés, puis nous nous sommes retrouvés, sur le Rhin cette fois, j’étais devenu capitaine et Joop était mon second. Je devine ta question : on pouvait aussi baiser, toujours discrètement, à cause des autres membres de l’équipage.

— Ils devaient avoir deviné, fit Joop.

— J’ai ensuite fait un gros héritage d’un oncle célibataire et j’ai décidé de prendre ma retraite de marin et de m’acheter cette péniche pour en faire un bordel. Joop est maintenant capitaine à ma place sur le Rhin et il préfère mes jeunes associés à mon vieux corps buriné lorsqu’il fait escale à Amsterdam.

— Reconnais que nous n’avons jamais formé un vrai couple, dit celui-ci, c’étaient plutôt les circonstances qui nous obligeaient à coucher ensemble.

— Je suis d’accord, c’est plus une vieille et longue amitié que de l’amour. C’est pour cela que tu peux venir t’encanailler gratuitement.

— Je laisse toujours de généreux pourboires.

Le capitaine se leva, chauffa de l’eau et prépara du café. Le barman apporta une bouteille d’eau-de-vie de genièvre.

— Et toi, Rembrandt, demanda Frédéric, pourrais-je te demander pourquoi tu as décidé de venir travailler sur cette péniche, si ce n’est pas trop indiscret ?

— C’est très indiscret ! Non, je plaisante. Les aléas de la vie. Je voulais devenir acteur, chanteur et danseur dans des comédies musicales. J’ai eu un accident, une rupture du tendon d’Achille, qui a interrompu ma carrière. J’ai cherché une alternative et j’ai entendu dire que le capitaine voulait engager des artistes.

— Tu as dû passer une audition à poil ? demanda Koen. Avoir une grosse queue doit être un avantage.

— Ce n’est pas sûr, je n’ai pas dû coucher avec lui pour être choisi.

— Et cela ne te dérange pas de te prostituer ? demanda Frédéric.

— Non, j’ai choisi librement de le faire et je gagne plus que dans une troupe de comédiens. Pas de tournées non plus avec de longues absences du domicile.

— Désolé de vous interrompre, fit le capitaine, mais on attend du monde dans dix minutes. Vous pourrez revenir un autre jour, vous serez toujours les bienvenus.

— Merci à vous tous, dit Frédéric. Nous avons passé un très bon moment en votre compagnie et merci pour le repas.

Il déposa un pourboire généreux dans la tirelire des artistes et celle du capitaine. Koen et lui quittèrent la péniche.

— Je serais bien resté plus longtemps avec eux, fit Frédéric.

— On peut peut-être louer la péniche pour des partouzes privées. Que fait-on à présent ?

— On rentre ? Je suis fatigué.

— Et que raconterons-nous à ma grand-mère si elle nous demande ce que nous avons fait ?

— Que nous avons rencontré par hasard un homme au musée, fait connaissance et qu’il nous a invités sur sa péniche pour nous montrer sa collection de livres d’art. C’était un grand amateur de nus masculins. Inutile de préciser que les nus étaient vivants.

— Ni de parler de leurs bites. Très bonne idée, tu devrais écrire des romans.

Lorsque Koen et Frédéric arrivèrent à Gouda, la mère et la grand-mère, ainsi que Piet et son amie, regardaient un film à la télévision. Pour ne pas les déranger, ils convinrent de remettre au lendemain le récit de la journée à Amsterdam et montèrent se coucher. Ils étaient fatigués et renoncèrent à un dernier orgasme.

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