Une lueur d'espoir

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Nouvelle primée lors d’un concours

Je faillis glisser, mais me rattrapai de justesse. Mon échelle, ma partenaire de toujours, se ballottait sous l’effet du vent d’hiver qui attaquait avec entrain ma peau sèche et mes mains rugueuses. Mes yeux plissés par la puissance des rafales, je ne craignais pas de tomber ni de me blesser. Des années d’expérience me précédaient et mon corps, habitué à tous les supplices, supportait ces ascensions quotidiennes, agrémentées de secousses plus ou moins violentes. Dix ans de labeur à grimper les centaines de barreaux, à dompter la tempête et à participer au bien-être de la communauté.

Un sourire se dessina sur mes fines lèvres. Ma fougue habituelle retomba vite quand des images de la veille me revinrent en mémoire. Je m’efforçai de me ressaisir et de profiter de l’instant présent, comme si cette ascension constituait la dernière de ma vie.

Mon travail importait et, plus incroyable encore, il me procurait du plaisir. Me lever le matin ne me paraissait jamais difficile, je n’avais pas perdu l’enthousiasme des premiers instants, même après toutes ces années. Chaque jour se ressemblait et chaque jour ne pouvait être plus différent qu’un autre. Parfois accompagné de collègues, je partageais mes outils ou mes techniques ; nous mangions ensemble, sur le toit du monde, à admirer les fourmis qui s’activaient à nos pieds. Parmi les plus âgés, je me savais respecté, voire admiré ; cela me dérangeait. Tel un simple humain, je m’acharnais à ma tâche et aspirais au bonheur simple. Je ne pouvais prétendre à une quelconque supériorité.

En plus de me passionner pour mon poste, j’adorais le titre qu’il portait, ainsi que les insignes qui ornementaient ma tenue. Grâce à eux, chaque individu nous reconnaissait. « Lumineur par-ci, Lumineur par-là… ». Nos prénoms n’avaient pas la moindre importance pour les passants que nous croisions.

L’heure avançait, je me permis une pause. Les étoiles brillaient de mille feux et le ciel, d’un noir d’encre, me tendait les bras. Les astres ne quittaient jamais mes pensées ni mes rêves ; ils me guidaient tous les soirs. Bien qu’artificiels, comme le vent, ils resplendissaient sur le dôme de verre que je me devais de nettoyer tous les jours. Quand leur image dépérissait, je gravais les étoiles à nouveau, alors abîmées par le passage du temps et la pollution environnante.

Je terminais toujours par le nettoyage de la constellation de la Petite Ourse et de son Étoile Polaire. Armé d’un chiffon de qualité badigeonné d’un produit miraculeux, je fis avancer mon échelle pour me poster sous la casserole fuyante.

Marcher sur d’immenses échasses me comblait. J’avais développé des mouvements singuliers pour accélérer mes déplacements sans que cela en devînt risqué. Pour ne pas percuter d’habitants ou entrer malencontreusement dans les maisons, les échelles se déplaçaient au sein d’une structure métallique particulière, qui naviguait dans toute la ville et définissait les chemins des Lumineurs. Je commençais à les connaître par cœur, ce qui m’avait notamment sauvé la vie le jour où la communauté avait testé la mise en place des nuages ; ces derniers m’avaient aveuglé.

Le ciel ne contenait aucun défaut mousseux ce soir-là, je parvenais à distinguer les passants d’en haut. Des enfants, entourés de leurs parents, m’envoyaient des signes chaleureux. Je leur répondis avec un grand sourire avant de reprendre mon travail. J’astiquai avec énergie l’Étoile Polaire afin qu’elle brillât de mille feux, qu’elle fît apparaître d’autres étoiles dans les yeux des humains obligés de vivre sous ce dôme. Je me prenais pour un faiseur de rêves et cela me rendait heureux. Du moins, en partie.

Le vent commençait enfin à faiblir, je n’en fus pas mécontent. Mes accessoires en main, je me préparai à descendre. Habile, j’entrepris de déplacer mon échelle de sorte à l’accoler à l’une des plateformes de sortie.

Ma mère m’avait surnommé « enfant du ciel », elle n’avait pas eu tort. Je me sentais bien mieux en hauteur, dans les airs, qu’avachi sur le sol. Retrouver la terre ferme alourdit mes pensées. Mon estomac se noua.

Des enfants accoururent et vinrent m’accueillir en héros.

— Moi aussi je veux être Lumineur quand je serai grand ! cria un petit à la chevelure blonde et aux iris verts.

— Tu dois réussir les tests d’abord ! le taquina son camarade, tout guilleret.

— Moi, ma mère a échoué, dit une fillette à la natte brune qui cherchait à me prendre la main.

— Il paraît que c’est très difficile, argumenta le premier bonhomme en essayant de lui voler la place.

Ils m’amusaient. Je profitai de leur présence pour me détendre et apprécier la stabilité nouvellement retrouvée de mes pieds. La main d’un enfant au bout de chaque bras, je leur racontai comment le vent avait failli me déstabiliser. Leurs cris d’effroi me firent sourire. Je continuai à leur narrer toutes sortes d’aventures, notamment celle qui m’avait vu coincé, seul, dans le noir, quand l’électricité du ciel avait été coupée et que les plateformes ne me guidaient plus dans les ténèbres. Je savais qu’ils la connaissaient déjà, mais ils l’adoraient et ne s’en lassaient jamais.

— Les enfants, nous allons finir par être en retard !

Leurs parents les appelaient au loin. J’intimai aux enfants de vite rejoindre leurs familles. Ils me promirent de venir me revoir avant de courir jusqu’à l’autre bout du trottoir. Les mains à présent vides et sans chaleur, je les rangeai dans les poches et levai la tête. Les concepteurs du dôme avaient triché. Nous voyions bien plus d’étoiles que lorsque nous vivions, il y avait une éternité, sous un véritable ciel. Le regard fuyant vers les faux cieux, je me mis à réfléchir à notre place dans l’univers et à notre futur incertain.

Reverrons-nous, un jour, la beauté d’un coucher de soleil ou la magnificence de la Voie lactée telles que dépeintes dans les livres d’Histoire ? Né sous le dôme, je n’avais pas connu la joie de courir sans craindre de me frotter aux parois de verre, ou la sensation de liberté que l’on devait ressentir face à la mer, une autre étendue bleue sur laquelle je rêvais de poser mes yeux. Le gouvernement semblait ravi de guider nos vies, de nous imposer ses choix.

Un petit garçon m’observait encore. Je le reconnus. Il me contemplait chaque matin et chaque soir, caché dans les buissons. Abandonné par ses camarades, il s’était assis sur le rebord du trottoir et attendait patiemment que je vienne vers lui. Son abord solitaire m’interpellait, il me faisait penser à moi. Je m’installai à ses côtés.

— Tu sais où sont tes parents ? demandai-je prudemment.

Il acquiesça et ne dit pas un mot. Le rouge sur ses joues témoignait d’une timidité difficile à gérer. Il leva sa main droite et s’approcha de moi. Son index vint percuter mon insigne de Lumineur : un cercle d’étoiles entourant la devise « Faites briller les cieux ». Je le détachai et le lui déposai dans le creux de sa main.

— Tiens, prends-le.

Il me regarda avec des yeux ronds, surpris par ma démarche.

— Ne t’en fais pas, je dirai qu’il est tombé et on m’en donnera un autre.

À suivre...

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