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Cent soixante-quinze ans avant le calendrier du Saint de Jade, dans le centre de recrutement de la capitale eurasienne, seul continent encore partiellement intact après soixante-quinze ans de guerre contre les envahisseurs Arkols, deux jeunes hommes attendaient côte à côte que le recruteur les appelle. Quand enfin leurs noms furent donnés, ils se levèrent comme un seul homme et se rendirent au guichet en se retenant de courir, pour y firent face à un Sous-Officier qui leur accorda à peine un regard tout en sortant deux formulaires, avant de parler d’un ton monocorde propre aux gens désabusés par leur travail.

— Âges ?

Le jeune homme de droite répondit le premier.

— Dix-huit ans tous les deux.

— Lettre de convocation ?

Le ton enthousiaste du jeune homme se changea en un murmure gêné.

— Nous n’en avons pas…

Le militaire leva la tête de surprise, et le candidat ajouta, presque honteusement.

— Nous sommes… Nous sommes volontaires, Monsieur…

Malgré le bruit ambiant, les mots murmurés claquèrent comme la foudre, et tous se firent silence en les dévisageant. Depuis le temps que la Guerre Interstellaire contre l’envahisseur alien durait, les volontaires s’étaient faits de plus en plus rares, à tel point que depuis plus de vingt ans les gouvernements étaient obligés d’embrigader les hommes en âge de se battre, et ce malgré les progrès que le programme de Géno-Amélioration avait apportés au conflit. Aussi chaque volontaire était considéré comme un héros ou un fou. Et ces deux jeunes semblaient visiblement appartenir au second cas de figure. Se reprenant, le Sous-Officier reposa les deux dossiers pour sortir autant de nouvelles fiches qu’il commença à remplir et sur l’en-tête desquelles était écrit « Fiche de volontariat ». Inspirant un grand coup, il se saisit d’un stylo.

— Reprenons… Dix-huit ans tous les deux. Depuis combien de temps ?

— Aujourd’hui… Nous sommes nés le même jour…

Le militaire fixa celui qui parlait pour deux avant de se tourner vers le muet qu’il apostropha.

— Tu ne sais pas parler, toi ?

L’intéressé baissa la tête avant de répondre en se triturant les mains.

— Si Monsieur… Mais mon ami Andreìs… Il manie mieux les mots… Et puis… Il est moins impressionné…

— Et ton nom ?

Mal à l’aise, le candidat triturait le bas de son tee-shirt pour essayer de calmer ses mains et son malaise croissant.

— Armist, Monsieur.

— Je vois… Des talents spéciaux ?

Les deux amis échangèrent un regard étonné avant d’interroger le militaire.

— Quels talents ?

— Vous êtes télépathes ou télékinésistes ? Un truc qui vous sort du lot de la simple chair à canon.

Cette fois-ci, les deux jeunes se regardèrent avec d’immenses sourires sur le visage.

— Non ! Génétiquement parlant, nous n’avons pas de tares.

— Pas de diabète, rien ?

Le Sous-Officier porta une tasse de café fumant à ses lèvres alors qu’Andreìs répondait avec enthousiasme.

— Rien de rien ! On a même des reliques d’organes déchus.

L’homme du guichet manqua de recracher son café avant de répondre.

— Quels organes ?

— On a tous les deux nos deux poumons et nos petits orteils. Et pour ma part, j’ai deux testicules.

Andreìs avait lancé cette dernière affirmation avec une grande fierté. Avec l’évolution de l’espèce humaine, la Guerre Thermonucléaire Globale plus de deux mille cinq cents ans auparavant, l’excès de pollution et l’augmentation de la radioactivité naturelle de la planète, l’Homme avait perdu en fertilité, et son corps avait enlevé ce qui ne lui était plus utile. Les patrimoines dits « purs » étaient devenus très recherchés, en général pour servir de reproducteurs. L’homme en uniforme reposa alors son stylo d’une main tremblante qu’il dirigea ensuite vers un poste visiophonique pour l’activer. À l’image, un homme en blouse blanche d’une taille colossale apparut en marmonnant, visiblement contrarié d’être dérangé.

— Oui. Qu’est-ce que vous voulez, Dos Santos ?

— Monsieur… J’ai deux volontaires ici…

— Et alors, qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

Le militaire déglutit difficilement.

— Ils… Ce sont des Purs, Monsieur…

À l’écran, l’homme plissa les sourcils.

— Vous en êtes sûr ?

— Ils ont énoncé des éléments que seuls les Purs peuvent connaître… Y en a un qui a deux testicules…

La stupeur apparut sur le visage du géant tandis qu’il s’écriait.

— Bordel de merde ! J’arrive !

L’écran s’éteignit tandis qu’Andreìs et Armist échangeaient un regard inquiet, peu sûrs d’avoir compris ce qu’il venait de se passer. Au bout de quelques minutes, un homme de grande stature et vêtu d’une blouse blanche, dépassant vraisemblablement les deux mètres de haut, arriva en boitant dans le hall, visiblement en proie à une profonde excitation.

— Où sont-ils ? Où sont-ils ?

Les deux jeunes hommes, qui n’avaient pas bougé de là où ils étaient, levèrent la main lentement, raides de peur, tandis qu’Andreìs bégayait.

— On… On est là… Monsieur…

Le géant le dévisagea le sourire aux lèvres, comme un enfant recevant un gros cadeau.

— Venez là ! Suivez-moi !

Passant devant le bureau du Sous-Officier de l’accueil, il récupéra leurs dossiers sur lesquels il apposa un tampon, ajoutant en gros et en rouge, à côté de l’intitulé « Volontaire », l’appellation « Géno-modifiable ».

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