Un poids de moins

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Le reste des vacances a été long. J’ai beaucoup pleuré, beaucoup réfléchi, et envoyé beaucoup de messages à Ange. Je suis resté enfermé quasiment tout le temps, les trois quarts de la journée assis dans ma chambre, tout seul ou avec ma sœur.

C’est assez triste vu comme ça, mais je crois que j’avais besoin de cette distance. Je ne savais pas ce que j’allais faire. Parce que je veux absolument me faire pardonner par Ange, mais j’ai toujours extrêmement peur de tout le reste. Ma sœur m’a rassuré, c’est sûr, mais elle m’a aussi fait me rendre compte que prendre mon temps, ce n’était pas repousser le grand jour au plus tard, mais simplement y aller étape par étape.
La rencontre avec Ange. Le baiser. La révélation. L’acceptation. Le coming-out à ma sœur.
J’ai réussi à faire ça doucement, alors je peux suivre le même processus pour l’annoncer à tout le monde. Pas à pas, à mon rythme, tout en faisant plus d’efforts pour Ange. C’est ça un couple. Cinquante-cinquante.
Mais il semblerait que j’ai encore beaucoup à apprendre.

Je n’ai donc pas encore tout dit à Baptiste et Lucas, ni à mes parents. Pas vraiment par peur, cette fois, mais plus par choix. C’est réconfortant et moins stressant d’envisager les choses sous cet angle. Je sais que je vais le faire, mais je veux d’abord me concentrer sur le principal : Ange. Je dois lui dire ce que je ressens. Je dois lui faire comprendre que ce n’est pas lui que je cache, mais moi, et que je veux arrêter d’être comme ça, mais pas sans lui.

Mais il ne répond à aucun de mes messages. Ce qui n’est pas vraiment bon signe.

Malgré tout, j’ai décidé d’aller lui parler dès le retour au lycée. Aujourd’hui, donc. Quitte à lui sauter dessus par surprise dans un couloir.
Cependant, je ne pense pas que ce sera nécessaire, parce que j’ai un plan parfait. Stressant, angoissant et à mille kilomètres de mon comportement habituel, mais parfait. Il mérite tous mes efforts, je le sais.

Je mets mon manteau, stressé à l’idée de ressortir de ma tanière protectrice après deux semaines, et quitte ma chambre. La porte de celle d’Emma est entrouverte, et je la pousse pour voir si elle est prête.

- T’énerves paaas ! J’ai bientôt fini, promis !

Elle me lance un grand sourire, la brosse de son mascara toujours aussi proche de son œil, comme si elle ne pouvait pas se le crever à tout moment. Je lève les yeux au ciel, et m’assois sur son lit alors qu’elle peaufine son maquillage.

- Peut-être qu’il n’a vraiment plus envie de me parler. Peut-être qu’il va super mal réagir. Peut-être que tout ça est vraiment idiot.

Ma sœur soupire lourdement en posant le petit miroir qu’elle tenait devant elle. Elle se tourne vers moi pour me regarder, blasée :

- Jules, je t’adore, mais tu es carrément chiant. On en a discuté mille fois : tu connais Ange, et tu me l’as bien dit : même s’il ne voulait plus jamais te parler, il ne t’ignorerait pas en face à face. Tu n’as rien à perdre.

Je déteste qu’elle ait toujours réponse à tout, mais d’un autre côté, je suis heureux qu’elle sache comment me motiver à me bouger. Je serais encore en train de déprimer, sans elle. Je ne serais probablement même pas allé en cours.

Arrivés au lycée, nous nous séparons. Emma m’adresse un sourire rassurant avant de partir et je le grave dans ma mémoire pour tenir toute la journée. J’avance dans le hall, sortant mon téléphone de ma poche pour demander à Baptiste et Lucas où ils sont. J’aperçois alors la tonne de messages non-lus sur le groupe, et me rappelle à quel point je les ai ghostés pendant les vacances. Je stressais déjà pour Ange, voilà que je stresse pour eux.

J’aperçois la tête bouclée de Baptiste au loin et marche rapidement jusque lui et Lucas :

- Hey !

Les deux lèvent la tête vers moi, l’air bizarre. Je sens tout de suite que ça ne sera pas une bonne journée.

- Ca va ? je demande d’une petite voix.

- C’est à toi qu’on devrait demander ça, Jules, dit Baptiste.

- Tu nous as pas parlé des vacances, pas un message, rien, enchaîne Lucas.

- Je suis désolé, les gars.

- Tu dis tout le temps ça, et tu nous sers tout le temps des excuses bidon. Un coup chez tes grands-parents, un coup tu te sens pas bien… On te suit plus, là. Si y a un problème dis-le. Si tu veux plus traîner avec nous ne nous ignore pas comme ça.

- Quoi ? Mais non, carrément pas !

- Pourtant c’est l’impression que ça donne, continue Lucas. Tu nous as lâché comme des cons à la soirée d’Halloween, on n’a pas compris, c’est Emma qui a dû venir nous servir une nouvelle excuse de merde pour pas qu’on s’inquiète.

- C’était pas une excuse, j’étais vraiment pas en état de…

- Non, sérieux, Jules. C’est normal d’avoir des coups de mou ou je sais pas quoi, mais quand on est dans un groupe de potes, on se cache pas des trucs comme ça. Surtout si ça influe sur le groupe.

- Si c’est l’histoire avec ta copine, là ça prend trop de proportions, lance Baptiste. T’étais pas comme ça avant. Toujours à t’éclipser sans rien dire. T’es plus toi-même.

- J’ai pas de copine.

Mes deux potes me regardent comme si j’étais un étranger.

- Elle t’a quitté ? demande Bapt.

- J’ai jamais eu de copine.

Leurs sourcils se froncent, et je commence à paniquer. Je n’avais pas prévu de parler de tout ça maintenant, mais j’en ai marre de mentir.

- Quoi, ça aussi, c’était un mensonge ? me demande Lucas.

- Ecoute, c’est vraiment compliqué. Je comptais vous en parler, je compte toujours le faire, mais je dois d’abord régler des trucs et…

- Mais qu’est-ce qui peut y avoir de si grave pour que t’arrêtes pas de nous mentir, Jules ? réplique Baptiste, l’air blessé.

- Je ne vous ai pas menti, je plaide. J’ai juste… pas tout dit.

- Je comprends rien, bordel. Tu viens clairement de nous avouer que t’as jamais eu de petite-amie !

- Non ! J’ai jamais dit que j’avais une petite amie. J’ai juste dit que j’avais… quelqu’un.

Je marque une toute petite pause, durant laquelle je baisse la tête pour inspirer le plus d’air possible et souffler :

- J’ai un petit-ami. Je suis gay.

Ce n’est absolument pas comme ça que j’avais prévu de faire mon coming-out. Dans le hall du lycée, au milieu de dizaines de gens à qui je n’ai jamais parlé, en pleine engueulade avec mes meilleurs amis. D’ailleurs, je pensais d’abord le dire à mes parents. Mais je suis quand-même soulagé de le faire.

Je relève la tête pour voir leurs expressions. Pas choqués, simplement étonnés. Les sourcils levés, la bouche dans une moue dubitative, comme s’ils analysaient si ma phrase était une blague ou non. Lancé dans mon élan de courage inhabituel, je tente une blague :

- Vous pouvez dire quelque chose, hein. Je suis juste gay, pas en phase terminale.

Baptiste fronce les sourcils, avant de lancer en souriant d’un air soulagé :

- Attends… C’est juste ça ?

J’en ris presque, tellement le mois passé me semble maintenant idiot. J’ai vraiment passé un mois entier à paniquer alors qu’ils allaient le prendre si… normalement ?

- Bah… oui.

- Mais t’avais peur de quoi, en nous le disant ?

- Je sais pas. Que vous me trouviez bizarre, tout à coup. Ou que vous m’en vouliez de n’avoir rien dit depuis si longtemps.

- Mais depuis combien de temps tu le sais ? me questionn-t-il.

- Je sais pas trop. Je me suis toujours un peu posé la question, mais je me le cachais plus ou moins à moi-même.

- Y a absolument zéro raison qu’on t’en veuille, mec. Je m’en veux plutôt que t’aies pas osé le dire avant.

Il s’approche pour me fait un câlin (comme souvent, sans qu’on demande jamais rien), et je me sens terriblement heureux d’avoir tout dit.
Jusqu’à ce que je vois la tête de Lucas. Le visage toujours neutre, comme s’il pesait le pour et le contre.
Certes, on est meilleurs potes depuis dix ans, mais est-ce que je peux rester ami avec une pédale ? Me traduit amèrement ma confiance.

Je la fais taire, la boule au ventre :

- Lucas ?

Il relève le regard vers moi, et semble se ressaisir alors que nous le regardons en silence.

- Va pas croire que ça me dérange ou quoi. C’est juste que… je sais pas. Ouais, ça change.

Je retiens mon souffle, attendant qu’il continue.

- Enfin, je m’en fous que t’aimes les mecs, je suis même carrément content que t’aies un copain mais… C’est pas bizarre d’être aussi proche de nous ? Bordel, ça sonne carrément homophobe.

Je rigole. Nerveusement, un peu. Je ne me suis jamais fait cette réflexion, et je ne veux pas qu’il ait peur que je tombe amoureux de lui au point de s’éloigner de moi.

- Non. Enfin, j’ai jamais ressenti un truc pour vous. Même si vous êtes beaux gosses.

Un sourire se dessine sur leurs lèvres.

- T’as raison, c’était une question conne, lance-t-il.

- Je suis désolé d’avoir caché ça. Et d’avoir été bizarre.

- Roh, c’es bon, j’ai déjà oublié, perso, répond Baptiste.

- Je suis content que tu nous l’aies dit, et il va falloir que tu nous parles de ton copain.

- Bientôt, promis. Il faut d’abord que moi, je lui parle. Je suis pas trop sûr qu’on soit encore ensemble.

Ils froncent les sourcils, confus, mais finissent par hocher la tête.

Je me rends alors compte que la Terre tourne toujours normalement. Que les discussions autour de nous ne se sont pas arrêtées, que je ne me suis pas transformé en alien. Tout va bien. Je suis le même, et le fait que je sois gay ne change rien, à part que le poids qui pesait dans ma poitrine est totalement libéré.
Alors que je sors à peine de mon stress post-coming-out, Baptiste se met soudain en marche active, s’agitant pour me lancer :

- Au fait, au fait, moi aussi j’ai un truc à annoncer !

Je vois Lucas lever les yeux au ciel, et je m’en veux de lui avoir laissé porter le poids de Baptiste-Le-Surexcité seul pendant une semaine.

- C'est-à-dire ?

- T’as sûrement remarqué que Sarah, là-bas, arrête pas de me mater.

Je tourne la tête vers cette dernière, complètement absorbée par son livre d’histoire, ignorant totalement Baptiste.

- On a passé la soirée d’Halloween ensemble, c’était incroyable. On s’est même fait un câlin.

- Rectification, l’interrompt Lucas. Elle s’est plaint de son ex pendant toute la soirée, et t’es le seul qui l’a écoutée aussi longtemps, si bien qu’elle a fini par pleurer dans tes bras.

- Détails, détails… Je sens qu’elle est en train de tomber amoureuse de moi.

- T’emballes pas trop Baptiste. Les filles qui pensent encore à leur ex ne sont pas le meilleur choix.

- Pouah ! Comme si j’allais écouter tes conseils, t’es gay et tu ne sais même pas si ton mec est encore ton mec.

J’éclate de rire, surpris, et Lucas fait pareil. J’adore mes potes.

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