La cabane

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J’attrape des canettes de soda dans le frigo quand la sonnerie de l’entrée retentit une énième fois, et je me précipite dans le couloir pour ouvrir.

- Enfin, tu es là, je compte sur toi pour les calmer, ils comptent transformer ma petite cabane en une villa.

- C’est qu’ils sont ambitieux, me répond Ange.

Il sourit et se penche doucement vers moi, m’embrasse tendrement.

- Salut.

- Salut.

- Ton père est là ? demande-t-il d’un air neutre, qui cache presque entièrement sa nervosité.

- Oui. Mais t’en fais pas, je crois qu’il s’en veut.

- J’espère que vous finirez par vous reparler.

- Ca ne dépend que de lui.

Je l’embrasse sur la joue pour qu’il arrête de s’inquiéter, et le tire par la main jusque dans la jardin, où les autres s’affairent déjà. Chacun est emmitouflé dans des habits d’hiver, armé d’outils variés qui ne nous servirons probablement pas. Je soupire à cette vision, et Ange me donne un petit coup d’épaule :

- Arrête de faire le rabat-joie, je sais que t’es content de remettre à neuf cette cabane.

Je hausse les épaules avec un petit sourire, il a raison. Notre conversation du lac, le jour où nous nous sommes embrassés pour la première fois, me revient en tête. Je lui avais parlé de cette cabane, et de la nostalgie qu’elle représentait pour moi et Emma.

- Bon, au travail.

Il me suit jusqu’aux autres, et je distribue les sodas.

- Oh, tu n’auras pas quelque chose sans bulles ? me demande Sarah.

- J’y vais ! intervient Baptiste, réactif au moindre geste de son âme-sœur (à sens unique).

Je lève les yeux au ciel, il ne baisse jamais les bras. Il revient cinq minutes plus tard chargé de tous les jus de fruits de mon frigo. Sarah le regarde d’un air étrange, mais le remercie. Lucas donne une tape dans le dos de notre pote, et lui murmure :

- Je t’apprendrai à bien draguer, un jour.

- Pfff, ta meuf t’as largué six fois, je n’écouterai jamais tes conseils.

Lucas se décompose, et c’est moi qui lui donne une petite tape dans le dos.

Emma et Axelle sont les plus concentrées sur le projet, elles ont dessiné des plans approximatifs (que je retoucherai quand elles auront le dos tourné), et discutent des aménagements et des outils nécessaires. Je les rejoins pour être plus informé, mais Emma s’arrête de parler après quelques secondes pour me désigner quelque chose d’un coup de tête. Je tourne la mienne pour apercevoir mon père qui s’avance vers nous, un air incertain sur la visage. Je hausse les sourcils dans sa direction, et il me regarde d’un air contrit.

- Salut les jeunes !

Tout le monde s’arrête, et Ange semble avoir un mouvement de recul. J’espère que mon père se rend compte que tout le monde est au courant de la réaction débile qu’il a eu au repas de la fois dernière.

- Vous avez besoin d’un coup de main ?

Je fronce les sourcils. Il compte vraiment faire comme si de rien n’était ? Emma remarque mon expression faciale et me glisse tout bas :

- Lui en veut pas. Il s’y prend pas très bien, mais il essaie.

Je hoche la tête et lance platement à l’intention de mon père :

- On va sûrement avoir besoin de planches de bois. On en a ?

Un sourire s’étale sur son visage, et je regrette presque de l’avoir ignoré pendant deux semaines. Cependant, je n’oublie pas qui est le fautif dans l’histoire.

- Bien sûr. Suis-moi, j’aurai besoin de tes bras pour tout ramener.

J’hésite un instant et adresse un petit coup d’œil à Ange qui hoche la tête pour m’inciter à accepter. J’avance de quelques pas, dépose un baiser sur ses lèvres (sous le regard de mon père), avant de suivre ce dernier. J’entends quelques rires derrière moi, mais le petit nœud dans mon ventre me rappelle que je ne suis pas si courageux que je le laisse paraître. J’ai peur de ce que pense mon père. J’ai peur d’avoir signé pour deux nouvelles semaines de froid polaire entre nous. Je voudrais simplement qu’il m’accepte comme je suis, ou simplement qu’il l’ignore sans prendre cet air étrange.

Nous arrivons dans le garage, où sont entassées quelques planches de bois. Mon père ne s’en saisit pas, il se retourne face à moi et pince ses lèvres, l’air de réfléchir. Je le regarde, les sourcils haussés, l’interrogeant du regard.

- Je suis désolé, Jules.

Cette phrase ne me soulage pas comme je pensais qu’elle le ferait. Je l’ai imaginé la dire des dizaines de fois ces derniers jours, et pourtant, elle ne semble pas suffisante.

- C’est à Ange que tu devrais dire ça.

- Je sais. Mais à toi aussi.

Il fait une petite pause, se racle la gorge. Mon père est du genre taciturne, il ne fait pas de longs discours et ne s’excuse que rarement, puisqu’il n’a quasiment jamais de raison de le faire. Il ne m’a jamais déçu, et c’est sûrement pour ça que je lui en veux autant maintenant. Je ne m’attendais pas à ça de sa part.

- J’ai beaucoup parlé avec ta mère, et je sais que j’ai très mal réagi. Je veux essayer de comprendre ce qui se passe dans ta vie, même si pour l’instant je suis dans le flou.

- Y a rien à comprendre, papa. C’est exactement la même chose que si Ange avait été une fille.

- Oui, sûrement… Je m’y attendais pas, alors… J’ai fait n’importe quoi. Tu es mon fils, je m’inquiète pour toi. Et tu sais à quel point j’ai besoin de comprendre les choses.

Je hausse les épaules, il s’avance d’un pas.

- Mais je vois bien que tu es beaucoup plus épanoui depuis quelques temps, et si c’est Ange qui a provoqué tout ça, alors je lui en suis reconnaissant. Te voir avec ces nouveaux amis, plus souriant, plus bavard, c’est super. Je veux juste que tu saches que je ne te reproche rien, j’ai juste besoin de temps pour me faire à l’idée.

C’est tellement vieux-jeu, mais je le comprends. Comme dit Emma, il essaie, et je suis sûr qu’il finira par s’y faire. Au final, il est comme moi, il a simplement peur de rompre la routine. Je devrais peut-être lui enseigner deux ou trois trucs. Cette pensée me fait sourire, et je finis par lui répondre :

- Ca va. Moi aussi j’en avais marre de t’ignorer.

Il rigole, et cette fois, je me sens vraiment soulagé. Sans trop savoir pourquoi je lui annonce :

- La pièce de théâtre a lieu la semaine prochaine. J’ai pris une place pour maman et Emma, je pensais pas que tu viendrais mais… je serais content que tu sois là.

- D’accord.

- J’ai le rôle principal. Avec Ange.

Un masque d’étonnement peint son visage :

- Wow, bravo.

Mon sourire est on ne peut plus sincère, cette fois. Nous ne savons tous les deux plus trop quoi dire, alors il soulève trois planches de bois et me les donne, et je repars dans le jardin, m’empressant de tout raconter à mon petit-ami, presque approuvé par mon père.

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