Cherry Blossom (4/4)

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La tête contre la poitrine de son amant, Alec se laisse bercer par une respiration lourde et saccadée, par une étreinte chaude et de courte durée. Il doit lui dire au revoir, il le sait. Ce petit aparté va prendre fin, l'envoyant tout droit au fond d'un gouffre qu'il désire quitter depuis une année.

— Je n'aime que toi, halète Évan en laissant ses doigts parcourir le bras de son amant. Je n'ai toujours aimé que toi, et tu seras celui que j'aimerai même lorsque je mourrai.

— Tu t'es marié, suffoque-t-il, mais pas avec moi. Tu as piétiné nos rêves et enterré nos promesses.

La rancœur enserre la gorge d'Alexander, comme si, autour de son cou se trouvaient les doigts de la cruauté. La douleur l'assaille, la tristesse aussi, puis la colère et la rage se fraient un chemin en rongeant son cœur mal-aimé.

— Je n'ai pas eu d'autre choix.

La souffrance s'entend dans la voix soudainement brisée d'Évan. C'est avec Alec qu'il aurait pris le large si les circonstances avaient été moins compliquées.

Ses doigts remontent lentement vers l'épaule de son aimé, jusqu'à exercer une pression sous son menton pour forcer le contact visuel. C'est un regard rempli de larmes et de détresse que lui offre Alexander qui, les mâchoires serrées, songe à la fuite imminente de celui qu'il ne souhaite jamais quitter. Au creux de son ventre, une chaleur désagréable se propage. Loin du désir, la rage s'emballe et crépite dans les veines d'Alec. Ses sanglots subitement taris, il se redresse afin de s'installer sur le bassin d'Évan. Les mains à plat contre le torse musclé, il l'empêche de bouger.

— Tu mens, peste-t-il furieux. On a toujours le choix, tu as simplement opté pour la facilité.

Les sourcils sombres et broussailleux du chirurgien se froncent en une grimace d'incompréhension. Si pendant des années il a fait face à un homme empli de douceur et de timidité, cette nuit, c'est un être véhément qu'il contemple avec étonnement. Ses dents mordent brusquement l'intérieur de sa joue lorsqu'il s'aperçoit que ce changement de personnalité n'est dû qu'à leur éloignement. Avec lenteur, il tente d'effleurer la joue au teint pâle d'Alec, qui, dans un élan de colère repousse son bras avec violence.

— Alexander, je suis...

— Je ne veux pas de tes excuses, le coupe-t-il durement. Tu vas de nouveau m'abandonner, et je refuse de te pardonner.

Le corps tremblant, la colère s'étend dans ses veines à la vitesse de l'éclair. La douceur et la tendresse envolées, il se fait dominer par la rage qu'il a tenté d'annihiler durant l'année passée loin de lui. Le cœur en arrêt momentané, il se laisse envahir par l'obscurité de ses sentiments. S'il ne veut pas lui pardonner, il refuse également que celui qui détient son âme retourne se prélasser dans des draps qui ne sont pas les siens. Les traits défigurés par la noirceur de son amour, il observe les alentours. Le silence s'élève, si on omet, bien sûr, les fortes respirations qui s'élèvent des deux êtres dévêtus. Les environs sont déserts, plongés dans le néant de la nuit et font dérailler Alec qui halète telle une bête enragée. Dans une impulsion sanglante, il referme ses doigts sur la crinière ébène d'Évan. Un sourire malsain aux bout des lèvres, il lève le bras puis le laisse retomber lourdement. Un grognement de douleur quitte les lèvres du médecin lorsque son crâne rencontre la surface plane. Les yeux écarquillés, il supplie muettement Alexander de reprendre ses esprits. Il n'a guère le temps de réagir avant qu'un nouveau coup brutal lui soit administré. Une froideur étrange s'étale le long de sa nuque, puis serpente sa colonne vertébrale quand le sang s'épanche de la plaie qui s'élargit à l'arrière de sa tête. Dans un élan de courage, il enserre les hanches de son ravisseur, l'amour de sa vie qui semble être possédé par les ténèbres. D'un coup de bassin, il tente d'inverser les rôles, d'échanger leurs places mais Alec ne l'entend pas de cette oreille. Son cri de rage vient mourir contre les lèvres d'Évan lorsque ses doigts se referment sur sa gorge marquée par leur étreinte brûlante. D'une poigne calculée, il serre, et serre encore, les yeux brillants d'une lueur revancharde et déchaînée.

— A... lec, souffle Évan en essayant de déglutir, je t'en... prie, pardonne... moi.

Révolté, l'assaillant perd totalement pied. Les sourcils froncés, il appuie davantage sur la trachée abîmée de celui qui prie silencieusement pour que ce calvaire cesse.

Comment est-ce possible ? pense Évan en laissant perler ses sanglots. Où t'es-tu égaré, mon bel amour ?

Dans un soupir résigné, il abdique, laissant ses membres se ramollir lorsqu'il perd toute résistance. Il sait que c'est sa faute, qu'Alec est meurtri et qu'il souffre lui aussi. Le cœur en peine, il laisse son amant le maltraiter pour effacer sa lâcheté. Dans les brumes de son agonie, il entrevoit la porte de sortie. Celle qui le mènera dans une éternité paisible, sans peur, sans détresse d'être loin de celui qu'il désire. Ses larmes gouttent le long de ses tempes alors qu'il admire Alexander, un faible sourire ourlant ses lèvres esquintées. Il souffre, suffoque, se meurt, mais accepte ce triste sort. Si c'est ce que souhaite Alec, alors il approuve et se résigne, courbant l'échine pour réclamer un pardon qu'il n'aura probablement jamais la chance de mériter. Dans un dernier râle, il rappelle en une voix brisée, les sentiments qu'il ressent pour son bourreau. Ses paupières se font lourdes alors que la douleur de la plaie sur son crâne s'efface lentement. Les doigts d'Alexander se serrent davantage, puis lorsque le corps d'Évan se relâche complètement, un sanglot amer le secoue. Hébété, il se laisse tomber, les fesses contre la plateforme du pick-up. Sa colère visiblement amoindrit, ses esprits reviennent peu à peu. Hagard, il observe le corps gisant de son aimé, les yeux exorbités par l'horreur de ses actes inconscients. Il hurle à s'en déchirer les cordes vocales, souffrant comme un martyr après avoir commis l'irréparable. Le visage dans la marre d'hémoglobine, il tente d'absorber chaque larme de sang, dans l'espoir d'effacer l'atrocité de son geste, de faire disparaître la moindre preuve de son acharnement. Le cœur battant à tout rompre, il prie le ciel pour que ces dernières minutes disparaissent, s'évaporent, afin que les beaux yeux d'Évan le contemplent à nouveau. De ses mains tremblantes, il étale l'éther en espérant l'effacer. Il pleure, cri, et s'insurge en secouant vivement la tête. Après un moment incertain, il se laisse tomber contre le corps inanimé, l'enveloppant dans une étreinte puissante. Le nez contre la joue d'Évan, il le supplie de se réveiller. En sanglotant, il récupère le bras lourd de son aimé, passant son index ensanglanté sur le tatouage gravé sur le creux de son poignet.

— Qu'ai-je fait ? se lamente-t-il. C'est impossible, tu ne m'as pas quitté. Allez, regarde-moi !

Les paumes désormais sur les joues blêmes du médecin, il dépose des baisers humides et douloureux sur sa bouche encore chaude. Les secondes passent, défilent et filent alors que le cœur d'Alec se brise tel du verre heurtant le sol. Il sent chaque fragment acéré s'écraser dans sa poitrine, le blessant inlassablement jusqu'à ce que la douleur soit telle que ses sanglots s'assèchent. Il souffre au point de ne plus parvenir à pleurer. Lorsque les premiers rayons du soleil se dessinent à l'horizon, il se vêt à la hâte, prend place à l'avant du véhicule et démarre en faisant crisser les pneus. Les mains crispées sur le volant, il conduit sans savoir où aller, sans savoir quand s'arrêter.

C'est dans son lit qu'il ouvre les yeux, le cœur en embardée et le corps tremblant. Sa poitrine se gonfle frénétiquement, presque douloureusement alors qu'il passe une main lasse sur son visage. Déboussolé, il observe les murs ternes de sa chambre, l'âme en peine et avec l'envie d'hurler. Ce rêve, il le fait chaque nuit. Ce songe qui l'envoie directement dans les bras de son aimé, il le connait sur le bout des doigts, seulement, c'est la première fois qu'il finit si tragiquement. Après avoir calmé les battements acharnés de son palpitant, il se lève, rejoint la petite cuisine pour faire couler le café. D'un pas traînant, il quitte l'appartement pour récupérer le journal glissé dans sa boite aux lettres. C'est en bâillant qu'il s'installe dans sur son canapé, une tasse fumante dans la main droite, le quotidien dans la seconde. Il avale une longue gorgée du breuvage brûlant, puis délaisse le récipient. Les pieds sur la table basse, il soupire en repensant à son rêve étrange. L'envie d'appeler son ex-compagnon lui brûle les doigts. Il a besoin de se rassurer, ou juste d'entendre sa voix pour affronter la journée. Les paupières closes, Alexander chasse cette idée absurde en songeant qu'il est probablement attablé avec sa petite famille, prêt à aller sauver des vies et changer le monde. Avec peu d'entrain, il ouvre le journal, survole les gros titres puis lâche un cri d'agonie en plaquant une main contre sa bouche. Son cœur s'enrage brusquement, ses yeux s'embuent, son âme se déchire et ses membres se crispent douloureusement. Il bat des cils, puis relit encore et encore les quelques phrases imprimées sur le papier, priant pour que tout ceci ne soit que le fruit d'une hallucination malsaine.

" Un corps dévêtu et mutilé déterré dans les sous-bois tôt ce matin. D'après nos sources, il s'agirait d'un homme de type caucasien d'une trentaine d'années. L'enquête est ouverte, la police lance un appel à témoin. "

Le sang glacé, Alexander attrape son téléphone, compose le numéro de son amant, puis patiente en se rongeant les ongles. La messagerie l'accueille, une fois puis deux, jusqu'à ce qu'il tente la ligne fixe du domicile.

Ça ne peut pas être lui, j'ai simplement besoin de l'entendre. Non, ce n'est pas lui.

Les sonneries s'élèvent mais le même silence s'installe. Une éternité semble s'écouler avant qu'une voix féminine et brisée résonne dans l'appareil. Apeuré, il raccroche, puis relâche le portable comme si ce dernier l'avait brûlé.

Ça ne peut pas être lui. Non, ça ne peut pas être moi.

Perdu entre les réminiscences de son cauchemar et cette tragique réalité, Alec suffoque. Le cœur brisé, il effleure le dessin tatoué sur l'intérieur de son poignet. Cette fleur de cerisier qu'ils se sont gravés Évan et lui, semblant être devenue l'unique vestige de leur amour meurtri.

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