Château de sable

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L'océan l'entoure presque sur cette petite péninsule du Mont Maunganui. A marée haute, il ne pourra plus revenir sur ses pas.

Il emprunte le chemin qui se dessine au milieu de cette mince avancée de terre. La montée est abrupte, un vestige de volcan si commun par ici. Une demi-heure de marche et il atteint enfin le bout de la pointe rocheuse à l'aplomb du ressac. Il entame la descente sur les blocs escarpés pour rejoindre les vagues, elles meurent avec fracas sur les pierres de lave.

Il a choisi le coin le plus reculé. Le soleil est haut, les touristes se massent sur la plage de sable fin qui s'étend à présent loin derrière lui.

La beauté du paysage le rend mélancolique, il n'avait pas besoin de ça.

Il a l'air malin maintenant seul sur son bout de caillou lui qui a tout quitté : son travail, sa famille, ses amis et surtout elle. Il ouvre son sac et tâtonne à l'intérieur pour attrapper son paquet de cigarettes. Il ne trouve que son carnet de notes. Vide. Des années qu'il n'a plus écrit une ligne. Pourtant.... L'instant, le lieu, sa tristesse l'inspirent. Il se saisit machinalement du crayon prisonnier des spires de métal. Captifs depuis trop longtemps, les mots jaillissent de la fine mine de graphite sans même qu'il y réfléchisse . Il lui écrit.

Suis-je devenu trop vieux pour encore t'aimer ?

Aimerais-tu pour deux si je revenais ?

Car je t'entends pleurer à l'autre bout du monde.

Suis-je vraiment cet être égoïste et immonde,

Qui te promet la lune et te vole ton âme,

Tous les actes d'amour sont-ils pacte du diable ?

Jadis entre tes bras ton amour qui m'inonde,

Je sens la bête en moi, elle suffoque, elle gronde.

Avide de grands espaces et pleine liberté,

Cette chimère là n'est jamais rassasiée.

Créature ammorale nichée dans mon esprit,

Que cherche-t-elle au juste et que lui a-t-on pris ?

J'attends que le temps passe pour effacer enfin,

Les maux que je te cause, insondable chagrin,

Qu'une vague immense, fait du sel de tes larmes,

Vienne engloutir enfin son noir château de sable.

Il se relit, il trouve ça beau. Il se relit, il trouve ça mièvre. De toute façon, il ne lui enverra jamais.

A ses pieds les vagues jouent avec une bouteille en plastique, il la saisit, car elles la lui donnent. Il va suivre ce signe. Il déchire la page du carnet et glisse son écrit dans cette boîte à lettres improvisée. Il voudrait envoyer sa missive au plus loin mais elle est trop légère. Il leste la bouteille de trois grossiers cailloux. Trois, que c'est banal. Pourquoi pas douze petits cailloux, la symbolique est plus forte : les douzes syllabes d'un alexandrin, les douzes apôtres, les douzes signes du zodiaque, les douzes travaux d'Hercule, les douzes mois de l'année, l'Aveyron.....

Il choisit donc les douze plus belles pierres se trouvant à sa portée, des rouges, des vertes, des bleues, des blanches, des noires, son coin de grève est une vraie malle au trésor. Enfin suffisamment plombé, il expédie au large son flacon postal.

Ils étaient pourtant si beaux ses douze petits cailloux, pourquoi les avoirs jetés dans ce caveau synthétique ?

Ils coulent. Il plonge.

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