Chapitre n°4 : Le Café

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Félicitations ! Je suis heureuse pour toi ! est le dernier message que j’ai envoyé à Lucie. Je suis vraiment heureuse pour elle, mais je me demande pourquoi j’ai un tel pincement au cœur. Monsieur Manzi, mon prof d’anglais et de littérature anglaise nous parle du roman de Dickens, Oliver Twist en illustrant ses propos par des illustrations et des photos d’enfants couverts de suie rentrant de leur travaille de ramoneur. Quelle dure vie. J’aurais eu plus à m’en faire si je vivais à l’époque où les femmes étaient encore en position d’auto-insuffisance et que seul le mariage pouvait leur offrir un t’en soit peu de liberté. Je peux m’occuper de moi-même, faisons honneur à ses femmes qui se sont battues pour nous. Le problème "Lucie et Eliott" n’avait pas lieu d’être. Lucie était ma meilleure amie et rien ne devait changer ça. Alors que je marche pour rejoindre mon bus de retour, maintenant que les cours sont finis pour la journée, je croise Lucie.

« Salut, comment tu vas ? me dit-elle, laissant forcément entendre l’état de ma cheville et de ma tête.

-Tout va bien c’est gentil, j’ai une attelle pour ma cheville mais rien à signaler dans mon crâne. Ouf ! Je voulais te demander si tu voulais qu’on aille boire un truc au Café, comme avant.

Le visage de la brune s’illumina d’un sourire radieux.

-Evidemment ! »

J’envoie un message à ma mère, disant qu’on prendrait le prochain bus, elle n’y voyait pas d’objection alors nous sommes parties en direction du café que l’on a l’habitude de fréquenter. L’enseigne « Le Café » clignotant de néon bleu offrait un panel incroyablement restreint de café, mais la vieille gérante était tellement gentille et avait décoré l’endroit avec tellement de goût que nous nous y plaisions. Au passage de la porte, une clochette tinta et la septuagénaire aux cheveux entièrement blancs déboula avec une dextérité étonnante pour son âge.

« Oh bonjour les filles. Ça fait longtemps que vous n’êtes pas venues !

-Bonjour Madame Rebecca. Comment allez-vous ? s’enjoue Lucie qui adore la vieille dame.

-Oh bien, mon dos me fait mal mais c’est dû à mon âge ! Allons bon, je vous prépare du café !

-Avec du lait Madame Rebecca s’il vous plaît !

-Diane, voyons, je sais comment tu prends ton café ! Je ne suis pas sénile ! »

La doyenne disparaît derrière son comptoir trop grand pour elle, alors que Lucie et moi, nous nous installons à notre table fétiche. On discute de la pluie et du beau temps, des cours et de nos parents avant qu’elle ne dirige la conversation vers Eliott.

« Il est adorable, on se parle tous les soirs par message ! En plus, il est tellement curieux et passif. Il est toujours d’accord avec moi, c’est un bonheur d’être sur la même longueur d’onde !

-Je suis heureuse pour toi. Ça s’est fait quand ? Ou plutôt comment ?

-À la fête chez Tess. Tu te souviens ? Là où tu n'es pas allée avec moi, elle me dirigea un regard accusateur. On s’est embrassés et c’était incroyable. J’aurais jamais cru qu’il s’intéresserait à moi mais faut dire que j’étais pas discrète sur mes intentions. »

Elle me lance un clin d’œil auquel je fais l’effort de répondre. J’ai des réponses à certaines de mes questions mais d’autres sont encore floues.

***

La bibliothèque grouille de monde aujourd’hui et c’est passablement énervant. D’autant plus que mon cerveau refuse de mémoriser mes leçons de physique alors que j’ai un examen important la semaine prochaine. Je comprends pas ça ! Pourquoi je comprends pas ? Mon agacement monte à son paroxysme alors que la chaise à côté de moi fait un bruit d’enfer. La table est entourée de sièges et une personne vient s’assoir juste à côté de moi. Quelle plaie. Je tourne la tête pour voir la personne en question, surprise est de constater qu'il s’agit d’Arthur.

« Salut, je venais m’excuser de t’avoir laissé seule dans la forêt, explique-t-il.

-C’est bon, ne t’en fais pas, je ne t’en veux pas du tout.

Il semble vraiment peiné, il baisse les yeux vers mon cours d’un air interrogateur.

-C’est de la physique ? Tu as un contrôle ?

-Oui, et j’avoue que j’arrive pas trop.

-Je peux t’aider tu sais. Je suis un STL. C’est plutôt facile quand tu as la technique.

-Oui absolument ! J’accepte ton aide ! »

Ce qui me fit plaisir, c’est qu’il mit du cœur à l’ouvrage. Il m’expliquait chaque phrase dont je ne saisissais pas le sens, tous les schémas et exercices qu’il put avant la fin de la journée. Nous avions prévu de nous revoir pour qu’il m’aide à réviser dans deux jours au cafe et j’avais cruellement besoin de comprendre ce chapitre, et de me vider la tête.

Le jour J est arrivé. Je m’en veux un peu de lui prendre son samedi après-midi alors qu’il pourrait aller voir ses amis ou je ne sais quoi mais bon. Je ne compte pas lui poser un lapin. J’enfile donc ma veste kaki préférée, quoiqu’un peu légère pour l’automne, qui fait ressortir mes longues boucles blondes que je laisse lâcher. J’ai l’impression d’aller à un rendez-vous. Après avoir ajouté des bottines noires à ma tenue, je prends le bus pour aller jusqu’à Rossinante, la ville où le café et où le lycée se situe. Le bus est ma principale locomotion dans cette ville plutôt bien desservie. J’arrive dans le café, dit « bonjour » à Madame Rebecca qui me prépare mon café au lait en même temps qu’elle discute avec moi de son chat et installe mes affaires sur la table. Je suis en avance de dix minutes mais peu importe. Je commence à me plonger dans mon manuel de physique en buvant à petite gorgée de café chaud de la vieille dame. Après un certain temps, la clochette de l’entrée tinta, laissant entrer un garçon avec une veste en cuir et des cheveux bruns en bataille. Il est tourné vers Madame Rebecca au comptoir et je ne vois pas son visage mais il me semble familier. La doyenne lui donne un sac avec sa commande et il part aussi vite qu’il est arrivé sans que je n’aie pu voir son visage. C’est frustrant, je le connaissais j’en suis sûre. Je regarde l’heure. Ce qui est encore plus frustrant, c’est le retard d’Arthur. Je suis idiote de ne pas lui avoir demandé un numéro ou un réseau social pour pouvoir le contacter. Je fixe mon crayon de papier posé sur ma feuille puis explore les environs du regard. La devanture en verre donnait une impression d’espace à la pièce, la luminosité entrante couvrait les meubles de bois de lumière et faisait ressortir le côté vintage du café. Une grande bibliothèque tapissait le fond de la salle sur l’entièreté du mur ce qui donnait le contraste entre le bois des étagères et le blanc cassé des murs. Je viens ici tellement souvent que j’en avais oublié le cachet et la beauté de l’endroit. La porte s’ouvre de nouveau, laissant entrer Arthur avec une heure de retard. Il me cherche du regard puis s’avance vers moi, comme un prédateur ayant localisé sa proie.

« Je suis désolée du retard j’étais occupé.

-Salut à toi aussi. La prochaine fois, préviens.

Je lui écris mon numéro de téléphone sur une partie d’une feuille de papier que je déchire et lui donne.

-Tu n’as plus d’excuse pour ne pas prévenir, renchéris-je.

-Tu ne comptes pas me demander où j’étais ?

-Non, tu fais ce que tu veux. On peut s’y mettre ? »

Certes, je suis un agacée par son retard mais au moins il est venu. C’est mieux que rien.

Après avoir fini nos révisions, Arthur me paya le café que j’avais bu et me proposa de me ramener chez moi. J’ai accepté et me voilà dans sa voiture blanche coupée, à faire un lien entre quatre informations. Arthur a une voiture, ce qui veut dire qu’il a dix-huit ans. Eliott a une voiture et a donc dix-huit ans aussi. Ils sont dans la même classe. Pourtant, en première, on a entre seize et dix-sept ans à part si on a redoublé. Est-ce qu’Arthur et Eliott se connaissaient déjà avant ?

« Dis Arthur. Tu connais Eliott ?

-Eliott Sanchez ? Celui dans ma classe ? demande-t-il les deux mains sur le volant et les yeux fixés sur la route.

-Oui, le grand brun qui est avec Lucie Massot.

-Bien sûr, je le connais. C’est mon demi-frère.

Si, je m’attendais à ça.

-Ton demi-frère ?

-Oui, sa mère sort avec mon père.

-Mais vous avez redoublé tous les deux ?

-Son père est mort l’année dernière, c’est pour ça qu’il a redoublé. Il était tellement dévasté. Ils étaient super proche. Ça fait pas longtemps que sa mère sort avec mon père.

-Pourquoi tu as redoublé toi ?

-Mes résultats n’étaient pas assez bons l’année dernière, ma mère s’est barrée et j’ai lâché les cours dès le début d’année.

-D’accord je comprends.

Je ne compte pas m’éterniser sur le sujet. Ça doit être assez pénible de raconter ça, je ne sais pas ce que je ferais si mes parents se séparaient et je ne veux pas y penser.

-Mais toi, tu as quel âge ? Seize ans ? continue-t-il.

-Oui, j’en aurais dix-sept le mois prochain. Le cinq novembre.

-Tu vas faire une fête ?

-Non, non. Je ne pense pas. Je suis pas très « fête ».

Il arrête la voiture après lui avoir indiqué là où j’habite. Ma maison couleur sable avait belle allure avec les buissons touffus sur les côtés et les dernières fleurs encore en vie. C’était une des maisons les plus fleuries des environs. Elle devenait encore plus belle lorsqu’on voyait l’état du jardin du voisin d’à côté.

-Bon, merci de m’avoir raccompagné.

Je descends de la voiture et vais jusqu’au perron où je suis surprise qu’Arthur me rejoigne.

-Merci de ne pas être parti alors que j’étais en retard. »

Il s’approche de moi et essaie de me voler un baiser. Son odeur rassurante et sa voix douce me laisse penser que ce ne serait pas si mal puis une image apparaît dans ma tête. Je tourne mon visage au dernier moment. La seule chose qu’Arthur embrassa fut ma joue. Gêné à souhait, il s’excusa avant de partir aussi sec.

***

Affalée dans le canapé, je regarde une émission de cuisine avec ma mère. C’est notre rituel lorsque mon père est de garde le soir. Et ce soir, ma mère voit bien que quelque chose me tracasse.

« Explique-moi ce qui ne va pas, dit-elle en baissant le son.

-Disons que… J’ai une amie, elle est pas super bien à cause d’un garçon et ça me met mal pour elle.

Ma mère haussa un sourcil, comprenant bien qu’il s’agit de moi mais elle ne dit rien à ce sujet.

-Et que lui arrive-t-il à cette amie ?

-En fait, elle a rencontré un garçon super gentil et il a essayé de l’embrasser mais elle l’a repoussé parce qu’elle a un autre garçon en tête qui sort déjà avec quelqu’un. Comment elle doit gérer la situation ?

Maman sourit. Elle a été jeune avant d’être mariée à mon père, je suis sûre qu’elle peut m’aider.

-Si l’autre garçon est pris, et que celui qui a tenté de l’embrasser elle l’aime bien, le trouve gentil, attentionné. Pourquoi n’accepte-t-elle pas de prendre simplement ce qui lui fait du bien ?

-En l’occurrence le garçon qui veut l’embrasser. »

Ma mère hoche la tête. Je sais où elle veut en venir. Choisir ce qui nous rend heureux est le plus logique que de s’attarder sur quelque chose voué à l’échec. Merci maman.

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