Teenage Autumn Quest

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« Non ! Si vous voulez jouer, vous sortez d’abord ! »
Putain… c’est fou comme un plan si parfait peut être démantelé en si peu de temps. Okay, on va sortir. Il est 9 h du mat, la brume ne s’est pas encore levée dans la vallée de la Dordogne. Nous sommes en Corrèze pour les vacances. Sérandon, vous connaissez pas ? C’est normal. J’enfile mes Vans, ferme mon hoodie, bonnet, capuche. Seb est prêt aussi, on sort.
On descend le long escalier de pierre nous amenant dans le jardin. On rejoint la route en le traversant. On marche au milieu. Il n’y a jamais personne. L’air est frais, le soleil caché, l’air est rempli des odeurs de cheminées des maisons alentours. J’aime cette odeur. On reste sur le goudron quelques kilomètres. Mais très vite, Seb m’annonce :
— Mec ! On doit trouver des champignons !
De vrais champignons, pas ceux qui font danser les punks à chien. Non, on a 12 ou 13 ans, peut-être 14, c’est pas le délire… Il m’indique un passage étroit entre deux arbres dans l’épaisse forêt qui borde la route :
— On essaie par là ?
Je ne réfléchis même pas :
— Ouais.
On s’y engouffre en dégageant quelques branches. La brume n’y a pas pénétré, de toute manière, elle commence à se lever. Ça sent l’herbe et la terre humide, les feuilles qui pourrissent, le bois moisi. On s’enfonce encore à la recherche d’encore un peu plus de moisissure, parce que le champignon, c’est du pourri !
Le temps passe sans laisser de trace sur nous. Dix minutes, une heure ou plus, on ne sait pas depuis combien de temps on crapahute. L’automne en forêt, surtout le matin, c’est hypnotisant. Hors des sentiers comme nous le sommes, ce territoire n’est pas le nôtre. On y est tolérés, épiés par les animaux que nous pensons nous-mêmes observer en cachette. Heureusement, pour cette fois, aucun sanglier.
Le soleil commence à percer notre cocon vert, faisant sortir de nouvelles teintes. Fauves, cuivre, or, la saison se dévoile à nous. L’air qui nous entoure se réchauffe. L’odeur de bois prend le dessus sur les autres et nous, nous arrivons dans une clairière.
On peine à le croire, aurait-on trouvé le coin ultime ? Au milieu de ce champ, un autre : des morilles, des dizaines, peut-être plus encore, juste là sous nos yeux. On le traverse avec admiration et prudence. Les parents ne vont pas en revenir. Mais quand même, je demande à Seb :
— C’est pas un peu gros pour des morilles ?
— Je crois, oui…
« Je crois » parce qu’au fond, on n’y connaît rien. Alors, par précaution, nous n’y touchons pas. De toute manière, au loin, des chiens de chasse aboient. La chasse, c’est vraiment pour ceux qui ne peuvent pas aller à la guerre… Pas le temps de réfléchir plus, on traverse le pré en courant, l’herbe est trempée. Mes Vans, pas étanches… En un rien de temps, nous sommes de nouveau à l’abri des arbres et entourés du silence tout relatif d’une forêt vivante.
La brume n’est plus qu’un souvenir, le soleil sèche la terre et réchauffe l’air. J’ai retiré mon bonnet et Seb a besoin de pisser. Il s’éloigne légèrement, se prépare et m’appelle :
— Kev ! Viens voir.
J’ai cru qu’il voudrait me montrer sa teube, et malgré cette certitude, j’y suis quand même allé. En réalité, il n’avait même pas défait sa ceinture. Un lit de pieds de mouton s’étalait devant nous. Leurs chapeaux irréguliers aux teintes dorées, les picots qui les caractérisent si bien… Cette fois, nous étions sûrs de nous. On avait trouvé ce qu’on cherchait. En vagabondant sans chemins, la forêt nous y avait amenés et on a pris tout ce qu’on pouvait. Presque deux sacs, c’était impensable.
On s’est dit qu’avec ça, on allait nous laisser tranquilles un moment.
Notre trésor dans nos sacs plastiques, nous avons fini par retrouver une route menant à la maison. Pas de montre, pas de téléphone, on n’avait aucune idée de l’heure qu’il était. La liberté totale.
En passant vers les fermes avant d’arriver à la maison, ça sentait ce mélange de bouse et de lisier. J’ai beau savoir que c’est de la merde… J’aime ça, c’est l’odeur de l’extérieur, l’odeur de l’automne…
On était surpris quand on est arrivés que personne n’ait semblé trop inquiet de notre absence prolongée. La chaleur douce du salon nous a aussitôt enveloppés. Les parents prenaient l’apéro en cuisinant. Il était midi. J’adore cette maison, c’est une vieille bâtisse de pierre dont les cendres restantes dans la cheminée donnent ce parfum si particulier. Les émanations venant de la cuisine, l’odeur des lames de nos Kapla étalées sur le sol… c’est simplement parfait.
En tout cas, c’était bon. On avait été dehors, on avait accompli notre mission au-delà des espérances. Maintenant, on pouvait jouer.
Chaussures enlevées à la va-vite, on se jette dans les vieux fauteuils de cuir. Seb allume l’écran cathodique, j’allume la PS2. L’harmonie lorsqu’on allume une PlayStation… ce son qui s’est imprimé dans le cerveau d’une génération d’ados… quelle merveille. On avait une heure avant le repas. Largement de quoi terminer notre Grand Prix dans Burnout 2 Point of Impact. J’agrippe la manette, je ferai la première course. Cette manette, rouge translucide, le plastique lisse, la prise en main parfaite. Plus forte que la madeleine de Proust. Mes pouces viennent effleurer le caoutchouc légèrement texturé des joysticks. Je suis prêt. On mangera nos champignons après.
C’était il y a longtemps. Pourtant, le souvenir de cette matinée d’octobre reste solidement ancré dans mes souvenirs, les couleurs et les odeurs. Je sais, certains diront « tout ça pour finir sur une console… il valait mieux rester dehors... ». Ce serait tellement idiot de penser ça. Parce que de cette matinée, je ne changerais rien. De notre recherche de champignons au toucher de cette manette, ce sont toutes ces infimes choses, naturelles ou artificielles, qui m’ont construit, et tant d’autre. Je ne jetterais rien.

L’automne… c’est ouf.

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