Kondo, Kamelia et le plus si petit Jari

4 minutes de lecture

Jari était dévasté à un point qu'il aurait été difficile d'imaginer par Xomi ou Xali. Jari lui-même fut étonné de son état face à la nouvelle de la mort de ses parents. Il sombra à nouveau dans un mutisme total, passant le plus clair de son temps immobile, assis au sommet de la pyramide, le regard perdu vers l'horizon.

Il finit néanmoins par descendre de son point d'observation quelques jours plus tard. N'était-il encore qu'à moitié conscient ? Nul ne le sait, mais toujours est-il qu'il descendit ainsi jusqu'au pied de l'édifice, sans s'arrêter, ni pour saluer ses récents amis, ni pour passer par ses quartiers. Cependant, une certaine volonté devait l'habiter, car, au lieu de poursuivre son chemin en ligne droite et de traverser la Grande Place, il bifurqua net vers la base militaire et le hangar où avait fini par être parqué son croiseur.

Quelques minutes plus tard, l'enfant prodige était parti, laissant derrière lui un vieil ami et une mère adoptive.

La trajectoire qu'il emprunta aurait dessiné une belle spirale d'un style cubique à travers toute la galaxie, comme le vol d'un insecte sur un plateau de jeu qui chercherait à éviter tout contact avec d'autres éléments que le vide. Ce long voyage l'amena, par un détour interminable qui aurait aussi pu être interprété comme le moyen le plus sûr d'éviter d'être suivi, jusqu'à Najol, dans le système 36.

Son arrivée sur cette planète s’avéra moins rocambolesque que celle improvisée deux ans plus tôt sur Xiril. Les systèmes de surveillance narweens, mis à jour par des ingénieurs rendus paranoïaques par les événements passés qui avaient coûté la vie à une grande partie de leurs concitoyens, l'avaient détecté bien avant son entrée dans l'atmosphère. Il put donc s'annoncer en bonne et due forme et bénéficier d'un guidage automatique vers le hangar prédestiné aux invités de marque.

Au contraire des Xiliains, la communauté Narween n'admettait pas de roi. Cependant, Kondo jouissait d'un statut tout particulier au sein de cette société centrée sur les progrès scientifiques et techniques. Il ne faisait pourtant pas preuve d'une intelligence hors du commun, mais avait su, lors d'événements majeurs de l'Histoire, montrer sa sagacité et jouer un rôle central dans la survie du peuple Narween et de la galaxie en général.

L'orphelin de seize ans se vit ainsi offrir le confort d'une nouvelle famille, et de nouvelles occupations à même de lui faire oublier son chagrin. La première fut d'apprendre les mathématiques, auprès de Kamelia, qui les maîtrisait en réalité bien mieux que Kondo. Les mathématiques narweens se sont développées à partir de la numérotation tétradécimale (en base quatorze), mais cela ne changeait pas fondamentalement les règles sous-jacentes. Jari fit preuve d'une grande capacité à appréhender les nombreux concepts avancés et à les manipuler pour en redécouvrir d'autres par lui-même. Kamelia était fière de son élève, et prétendait même qu'il aurait pu faire un bon Narween.

Jari s'essaya aussi aux autres sciences : la physique bien sûr, sous toutes ses formes, mais aussi la chimie, l'astronomie, l'informatique, la biologie, et même la socio-politique et le génie civile, après quelques détours par la cosmocine (qui tentait de soigner le corps par les flux cosmiques) ou l'ingénealogie (qui cherchait à construire des arbres généalogiques avec un certain souci d’esthétisme). En revanche, il laissa de côté la biologie et ce qui relevait des sciences sociales, comme la psychologie qui était si différente selon les espèces. Il développa une passion pour tout ce qui touchait aux passages secrets et la construction d'édifices cachés dans le sous-sol. Mais cela n'était rien comparé à son goût pour la téléportation par conduit. Il dévorait tout ce qu'il trouvait sur le sujet : les discours de Kondo, les écrits du regretté Cipos, les traces des multiples tentatives infructueuses laissées par les autres scientifiques de moindre envergure, etc. Mais il ne s'arrêta pas à quelques lectures ennuyeuses, au contraire, il expérimenta la téléportation par lui-même à mainte reprises, jusqu'à devenir un familier de ces petits picotements que certains ressentent lors du passage d'une extrémité à l'autre de l'invisible conduit.

Ainsi passèrent quelques années, car, aussi alléchante et excitante que peut être la science, elle requiert son dû de labeur et de temps à qui veut se l'approprier. Un temps malheureusement incompressible pour Jari, dont la patience commençait à trouver ses limites : les dix-huit ans du petit homme. À cet âge-là, la patience n'est plus une vertu, mais la caractéristique enviée par les mystiques dont l'âge a ravagé le cerveau aussi bien que la possibilité de se presser.

Il se laissa donc emporté par la fougue de la jeunesse et décida de lever l'ancre (excusez cet anachronisme peu académique, il y a belle lurette que les vaisseaux ne jettent plus l'ancre dans les ports, mais, voyez-vous, certaines expressions totalement désuètes me font encore frémir au point de ne pouvoir leur refuser de s’immiscer ici et là). Fidèle à son habitude, la destination resta inconnue aux yeux du monde, hormis, peut-être, pour ce résidu de programme. Ce petit résidu de programme informatique de surveillance, abandonné là par les IA, enfoui ici à l'abri des regards. N'ayez crainte, celui-ci n'était pas digne du célèbre NZ1, et bien incapable de commettre autant d'atrocités. Mais il n'était pas aveugle. Il avait bien remarqué l'appétit du petit pour la téléportation. Il avait suivi son cheminement et ses réflexions. Il en arrivait presque à avoir compris ce que Jari avait toujours du mal à saisir. Mais, surtout, il lut avec lui la dernière page des archives spatiales consultées sur un écran narween. Et il savait, avec l'aplomb de la certitude (que le programme aurait qualifiée de probabilité de 97,635%) quelle était sa prochaine destination.

Cela va de soi, aujourd'hui, je la connais aussi.

Annotations

Vous aimez lire LeF ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0