Chapitre 6 : Le comte d'Urnia

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Irina

3 mai de l’an 5002 après la guerre des sangs

Comme convenu avec Renaud je suis arrivé à Urnia vers midi. La ville est bien plus grande que tout ce que j’ai connu. Ici de hauts murs entourent la cité, les maisons sont en pierre et non en bois et les humains semblent moins effrayés par les vampires que chez moi.

Le comte Piotr et son frère Nikolaj me reçurent vite, passablement étonnés et me demandèrent ce que je faisais ici à pied, mal habillée et trempée par la pluie. Je leur expliquai comme convenu que les hommes avaient pris le contrôle d’Antamar et Nozalmar, que tous les autres vampires étaient morts sauf moi, qu’ils m’avaient gardée afin de m’utiliser pour répondre aux messages et pour assouvir leurs plus bas instincts. J’avais fini par m’échapper en attirant mon geôlier comme les femmes savent le faire.

Le comte soupira et me dit que tout cela était bien triste. Piotr avait « la peau blanche comme la neige, les cheveux noirs comme la nuit et les crocs semblables à des sabres », comme dit le poème. Son frère était légèrement plus petit, mais sa prestance égalait celle du comte et ses manières étaient encore plus révérencieuses. Tous deux avaient de longs cheveux tombant jusqu’au creux du dos, sans pour autant ne serait-ce qu’effleurer les épaules.

Le maître des lieux m’assura de sa bienveillance à mon égard et qu’il lèverait une armée dès que possible afin d’en finir au plus vite avec cette révolte. Son frère m’indiqua ensuite mes quartiers. Lorsque vint l’heure de souper je rejoignis le comte dans la grande salle à manger. Il s’agissait d’une immense pièce où avait été préparées pour l’occasion quelques cuisses d’humains, accompagnées de sang qui était tout à fait succulent, bien que son origine m’attristât. Sa femme, Natacha, qui était une grande vampire avec une belle chevelure d’ébène et un visage des plus fins me fit part de sa tristesse quant à ma situation pendant un long moment.

J’abordai au milieu du repas mon désir de me rendre à Valassmar afin d’y faire un pèlerinage en l’honneur de Valass et pour que ce dernier maudisse les hommes s’en étant pris aux miens. Piotr accéda à ma demande et me dit qu’une calèche et quelques soldats de confiance m’escorteraient. Nikolaj nous rejoignit un peu plus tard et, lorsqu’il eut vent de mon désir de me rendre à la capitale, il insista pour m’accompagner en arguant que quand bien même cette escorte était de confiance, me laisser seule avec des humains après ce que j’avais vécu pourrait être inconvenant.

Piotr fut un tantinet surpris par cette demande mais accepta. Je ne pus m’empêcher au cours du repas de demander au comte comment il se faisait que les humains d’ici ne semblaient pas craindre les vampires. Il ne put s’empêcher de réprimer un petit rire. Il reprit rapidement sa posture habituelle et me répondit très calmement :

« Tout simplement parce que leur faire du mal n’est pas une chose me divertissant, je suis encore assez jeune du haut de mes deux-cent-deux ans, le sadisme n’est pas encore dans mes loisirs, mais peut-être que cela arrivera un jour, qui sait. Il n’empêche que pour le moment j’essaye de ne manger que des criminels, l’homme que vous êtes en train de déguster, par exemple, a volé quelques pièces d’or à son voisin. Bien que le crime puisse sembler léger, la population a tendance à apprécier et même à demander de sévères châtiments. Ici la ville est prospère et, je n’ai pas honte de le dire, la population humaine m’apprécie. Cela dérange certains vampires mais dans l’ensemble nous vivons en bonne entente et je serai même prêt à confier ma vie à certains humains sans hésiter. « Justice et sévérité », telle est la devise de ma famille depuis des millénaires et elle nous a toujours assuré une stabilité ainsi qu’une popularité certaine. »

A ses mots, je me disais que finalement mon idéal de vie en bon entente était peut-être réalisable, et je commençai à éprouver une certaine affection pour ce comte. Je lui demandai alors ce qu’il comptait faire des humains qui s’étaient révoltés. Il me répondit de son ton calme et posé habituel :

« Justice et sévérité ! Des hommes se révoltant ne méritent que la mort, nous aurons un bon garde-manger pour cet hiver, je vous enverrai un ou deux corps si vous le souhaitez, mon cuisinier est tout à fait excellent, il saura extraire tout le sang de ces gens et nul doute qu’avec ce qu’ils vous ont fait subir, la dégustation n’en sera que meilleure ! »

Je le cachais au mieux mais une inquiétude me gagnait. Ce seigneur semblait tout à fait compétent et pouvait poser des problèmes même à Renaud. Après le repas je me dépêchai donc d’envoyer un message à ce dernier afin de le prévenir des intentions du comte.

Néanmoins quel dommage que tous les vampires ne soient pas comme Piotr, le monde serait plus paisible.

Arthur

Nous sommes arrivés la veille à Altmar, nous étions attendus et on nous laissa entrer sans problème avec notre charrette. Une fois cette dernière déposée à l’office, nous nous enfonçâmes dans la ville. La cité était recouverte par une épaisse brume et l’odeur de poisson était partout. Des groupes de gardes arpentaient régulièrement les rues et les habitants semblaient véritablement les craindre. Si cette ville fonctionne comme notre village, cela semble après tout compréhensible.

Nous décidâmes de nous séparer pour mener notre mission, Louis et moi irions ce soir voir la milice afin de la retourner, tandis que Laurent et Charles essayeraient de rallier la population. Nous avions vite repéré la caserne, elle était bien plus grande que celle d’Antamar. Elle devait pouvoir contenir à elle seule plusieurs centaines de gardes.

Le soir venu, louis et moi entrâmes discrètement dans le bâtiment par une fenêtre sur le côté. Des soldats étaient en train de se décharger de leur armure tandis que d’autres la revêtaient pour faire leur patrouille de nuit. Louis se racla la gorge afin d’attirer l’attention. Les gardes semblaient surpris de nous voir et nous intimèrent l’ordre de partir au plus vite. Louis prit alors la parole et s’écria :

« Messieurs, l’heure de la délivrance a sonnée, nous venons d’un petit village au sud d’ici et avons réussi à nous libérer du joug vampirique, nous sommes venus ici afin d’en faire de même avec vous ! »

Après qu’un silence se fut installé pendant quelques instants, un fou rire général éclata. L’un des gardes, visiblement un gradé, dit tout en rigolant :

« Oui tout à fait, bon vous avez de la chance vous nous avez bien fait rire, maintenant c’est l’heure de partir alors n’abusez pas ou on vous fout au trou ! »

A cet instant mon camarade prit son sac et en sorti une tête de vampire qu’il jeta aux pieds des soldats, les faisant passer de l’hilarité à l’incrédulité. Louis se mit alors à déclamer :

« Les vampires peuvent être défaits ! Rejoignez-nous et je vous assure que dans moins de trois jours, cette ville sera nôtre et la tête des vampires au bout d’une pique »

Alors que je m’attendais comme d’habitude à un engouement général, il y eu un silence des plus pesants. Cette intervention semblait avoir provoqué un grand chamboulement en chacune des personnes devant nous. Tous paraissaient avoir leur opinion sur la question mais chacun redoutait celle de son voisin. Après quelques secondes, le capitaine prit une arbalète qui se tenait à quelques pas de lui et commença à la charger sans un mot, tandis que les autres soldats demeuraient dans leur turpitude. Louis semblait comme pétrifié, non pas par la peur mais par l’attente d’une réponse de la part de tous ces gardes. Il ne réalisait pas que son discours n’avait pas provoqué les effets escomptés Je courus vers lui et le poussai vers la fenêtre par laquelle nous étions entrés, en profitant des derniers moments d’égarement de la milice. Il sauta en premier et je le suivis lorsqu’une vive douleur me saisit la jambe gauche.

Sans me retourner, je commençais à courir au hasard des ruelles, tandis que l’alerte sonnait depuis la caserne. Nous ne savions pas où aller et nous déambulions au travers des rues, tout en entendant les bruits métalliques des armures nous poursuivant, lorsque soudain je trébuchai. Je découvris alors un carreau fiché dans ma cuisse. Le temps que Louis se retourne pour m’aider, nous étions encerclés par des gardes et prestement jetés dans les geôles. Une certaine agitation semblait avoir gagné la ville et le troupier qui nous mit sous les verrous ne resta pas cinq secondes avant de partir en courant.

Désormais le tocsin sonne et j’entends toujours ces bruits d’armures en marche, accompagnés par les cris de détresse des villageois.

Tandis que j’écris ces lignes, ma jambe me fait atrocement souffrir et il règne ici une odeur putride, surement laissée par les malheureux nous ayant précédés dans cette triste pièce. Je crains de ne plus jamais pouvoir écrire dans ce carnet, tandis que Louis me fait signe de vite le cacher entre deux pierres qu’il a trouvées. J’espère qu’Éric et Charles vont bien et surtout que nous n’avons pas provoqué la chute de notre révolte et, à travers elle, celle de notre race.

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