Je t'aime, moi non plus !

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 — J’en veux pas de ce pistolet !

 — Mais si, ça fera plaisir à ton père, il pourra jouer avec toi…A

 — Je m’en fous ! Je ne veux pas de pistolet, je ne veux rien. On s’en va.

 Véronique savait à quel point, aujourd'hui, Francis aimait cet enfant et elle n’aurait jamais osé contrarier ni l’un ni l’autre. Elle n’en avait pas les moyens. Pourtant, Dieu sait si elle détestait le caractère de sa fille. Son indépendance, sa prétention, son effronterie, son côté altier l’insupportait chaque jour un peu plus... Mais son mari aimait sa fille, l’adorait même. Et la chérissait. Au fil du temps, Charlie était devenue impossible. Ca faisait maintenant dix ans que sa fille était née et celle-ci n'avait eu de cesse, depuis sa naissance, de pleurer, crier, exiger puis se plaindre d'elle auprès de son père. Mais Véronique n’avait pas le choix, elle devait se conformer à l’éducation que son mari donnait à sa fille : tout lui céder et s’évertuer à en faire une gamine gâtée. Parce qu’elle le savait bien, si elle perdait sa fille, elle perdait le père avec. Et sa fille n'en serait que trop heureuse ! Peu lui importait qu'elle se soit sacrifiée, qu'elle l'ait nourrie, qu'elle s'en soit occupée depuis sa naissance : Si elle était amenée à se séparer de son mari, Charlie, ingrate comme elle l'était, n'hésiterait pas à changer elle aussi de crèmerie ! Et il était hors de question qu’elle finisse seule ! Alors elle supportait bon gré, mal gré ce duo infernal qui n’hésitait pas à rire d’elle, à se gausser dès que l’occasion se présentait, à se lancer des regards dont seuls eux deux pouvaient deviner le sens. Cette complicité l’horripilait mais elle souriait. Mieux valait avoir l’air niaise que dindon de la farce. Mais elle ruminait et se jurait qu’elle ferait payer un jour à cette petite effrontée son culot. Tout vient à point à qui sait attendre, se récitait-elle dans sa tête à chaque fois qu’elle était blessée.

 — Regarde ce que j'en fais de ton pistolet. La petite fille, tout en regardant sa mère droit dans les yeux, cassa le jouet en deux. Tu sais où tu peux te le mettre ?

 La petite fille attendit de voir ce que sa mère allait lui répondre. Sa mère lui demanda de ne pas parler comme ça. Et Charlie éclata en sanglots. Ce qui amena Véronique à penser qu’après tout l'ignorer était peut-être la meilleure des punitions. Mais c'était sans compter la détermination de la petite fille qui, en désespoir de cause, se mit à hurler à pleins poumons dans la rue des insanités destinées à sa mère. Véronique attrapa Charlie par le bras et, honteuse pour elle et sa fille, se précipita dans la voiture familiale. Comme d'habitude, elle tenta bien de parler de l’incident et du comportement de leur fille à son mari mais celui-ci, comme à chaque fois, rejeta la faute sur elle : décidément, elle ne savait pas s’y prendre avec les gosses !

 Charlie, comme tout enfant, était consciente des points faibles de sa mère. Elle avait remarqué qu’elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait sans que sa mère ne réagisse. Quant à son père, jamais elle n’aurait été à l’encontre de ce qu’il lui demandait : sa mère en aurait été trop heureuse. Non, c’était bien plus drôle de la voir enrager, écumer, seule dans son coin… Souvent, Charlie s'asseyait en haut des escaliers, au bout du salon et elle regardait, sans bouger, sans un bruit, stoïque, sa mère se plaindre d'elle à son père. Pour autant, malgré tous ces motifs de satisfaction, elle n’était pas pour autant heureuse. Car elle aimait malgré tout sa mère. Cette mère qui lui niait toute identité en l’associant tellement à son père, sa mère qui l’aimait si mal. Ses sentiments, qu’elle pressentait plus qu’elle ne les appréhendait, en faisaient une enfant déchirée par des sentiments contradictoires et pourtant liés : l’amour et la haine.

 Bientôt ses craintes secrètes se confirmèrent. Sa mère finit par se détourner complètement d’elle lorsqu’elle retomba enceinte. Une fois. Puis deux. Deux garçons : Adrien puis André. Véronique ne s’occupait plus que de ses deux derniers. Elle les avait allaité tous les deux jusqu’à environ un an, les couvrait d’affection et de cadeaux, les surprotégeait et interdisait à Charlie de s’en occuper et même de les approcher. Francis, quant à lui, leur donna la même éducation qu’à Charlie même s’il ne put développer la même complicité avec ses fils que celle qu’il avait avec sa fille. Pourtant il aimait énormément ses fils et partageait de nombreuses activités avec eux. Mais c’était sans compter Véronique qui s’employait de toutes ses forces à les éloigner de lui. Elle ne les voulait que pour elle et fit en sorte, le plus subtilement possible, qu’ils n’aient plus rien en commun avec lui. Elle poussait également son mari à travailler plus et s’invitait à chaque fois qu’il proposait une sortie à ses fils. Elle réussit à créer avec eux une relation privilégiée qui exclut Charlie. Deux clans se formèrent chez les De Condillac : la mère et ses fils d’un côté et le père et sa fille de l’autre. Véronique fit de ses deux garçons deux bons petits soldats à qui elle distribuait bons ou mauvais points au gré de ses humeurs et de ses désirs. Tous deux ne désiraient qu'une chose : l'amour d'une mère. Charlie, quant à elle, s'éloignait inexorablement de ses frères. Elle avait peu d'estime pour Adrien sans cesse en demande d'amour maternel. Accroché comme il l'était aux basques de sa mère, il n'y avait aucun espoir, il semblait déjà définitivement perdu. Et elle savait qu'avec André, le plus jeune, c'était fichu d'avance : même s'il s'avérait très malin, plutôt résistant à la vindicte maternelle, il était évident que, tôt ou tard, il rendrait les armes... Charlie, à dix-sept ans, savait que sans son père, elle n'était rien. Pour personne.

 Jusqu’au jour où Francis dut annoncer à toute sa famille la terrible nouvelle.

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