Grand frère - 1ère partie

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 — Allô Charlie ? C'est Jean-Pierre, tu te rappelles ?

 — Oui, répondit-elle d'une voix pâteuse.

 — Tu te rappelles que tu m'as invité chez toi, que j'ai couché avec toi et ta copine et que tu m'as viré juste après ?

 — Euh, oui. Je crois...

 — Moi, je m'en souviens très bien. Et je me souviens aussi que ce matin, je n'avais plus rien dans ma veste : ni portefeuille, ni liquide !

 — Ah bon ?

 — Te fous pas de moi, Charlie ! Trois cent euros ! J'avais plus de trois cents euros dans mes poches !

 — Tant que ça ? Oui mais aussi, quelle idée de traîner dehors avec tout cet d'argent dans les poches... Enfin, c'est pas la fin du monde non plus : Qu' est-ce qu' on fait de nos jours avec trois cents euros ?

 — Charlie, je ne comprends pas, se radoucit Jean-Pierre, tu n'en as pas besoin quand-même, alors pourquoi tu fais ça ?

 Charlie, la voix moins assurée, lui répondit :

 — C’est pas pour moi, de toute façon, cet argent : c'est pour ma copine. Alors, lâche-moi, s’il te plait, ok ?

 — Et toi, tu ne pouvais pas l'aider ? lui demanda Jean-Pierre d'une voix peu convaincue par les explications de Charlie.

 — Non parce que vois-tu, Jean-Pierre, si je lui donne l’argent, c’est pas pareil. Là, je l'aide juste à le gagner elle-même : tu saisis la différence ?

 — Bon, ça suffit Charlie, s’impatienta Jean-Pierre. Maintenant tu me rends l'argent ou je porte plainte immédiatement !

 — Ça, ça m'étonnerait. A moins que tu veuilles voir, dès que ta mesquine petite plainte sera déposée, le film de tes ébats sur Snap...

 — Sale garce !

 — C'est ça, allez tchao.

 Charlie raccrocha. Pauv'con, pensa-t-elle. Elle pleura un moment puis se ressaisit, décrocha son téléphone et appela Caroline. Toutes deux rigolèrent de cette bonne farce et se promirent de chercher le soir même une nouvelle victime.

 Rendez-vous pris, elles se retrouvèrent au Lounge Banana bar. Charlie arriva la première dans cet établissement qui n'avait de lounge que le nom. A l'entrée, un homme costaud vêtu d'un t-shirt noir gardait l'entrée. Charlie le salua et descendit un escalier étroit et pentu.

 Dès qu’elle arriva en bas, elle fut happée par une foule de danseurs pressés les uns contre les autres. Elle se fraya un chemin tant bien que mal jusqu'au bar et, après avoir vérifié que Caroline n’était pas encore arrivée, commanda un bloody mary. Elle le dégusta en observant les danseurs qui se déhanchaient autant que l'espace exigu le leur permettait.

 Une fois son verre terminé, elle se rendit aux toilettes, sortit sa carte bleue ainsi qu’un petit sachet de poudre blanche de son sac à main. Après s’être assurée qu' elle était toujours seule, elle se dépêcha de former une ligne de poudre à peu près droite sur la planche en stuc entourant le lavabo. Tout d'un coup, elle entendit la porte s’ouvrir. Un homme, les traits fins, les cheveux couleur aile de corbeaux, aux yeux vert-gris et au teint très pâle, passa la tête dans l'embrasure.

 — Excusez-moi, visiblement je me suis trompé... C'est les femmes ici, c'est ça ? demanda l'homme en souriant.

 — Ça se voit pas ? répondit Charlie qui s’était brusquement relevée, essayant tant bien que mal de cacher sa ligne de cocaïne, comme une enfant prise en faute, et pourtant agacée à l’idée de devoir attendre pour terminer de la sniffer.

 — ça va, ça va, excusez-moi si je vous ai dérangée ! C'est de la coke ?

 — De quoi je me mêle ? Charlie, exaspérée, l'invita à dégager le plus vite possible, d’un geste ostentatoire de la main.

 Mais l'homme, au lieu de partir, s’avança vers elle :

 — Ta came, c'est de la merde, ça se voit d'ici ! Si t'en veux de la bonne, de la vraiment bonne, je te laisse mon 06. J'ai un stylo sur moi, t'as pas du papier ?

 — Non ! Alors maintenant, tu te casses !

 — OK, OK. Mais je te laisse quand même mon numéro au cas où tu en aurais marre de t'enfiler de la merde. C'est bon, j'ai trouvé du papier. OCB, ça te va ? L'homme tendit à Charlie le papier de cigarette sur lequel était inscrit ses coordonnées. Voilà, c'est bon, je m'en vais. À bientôt...

 Charlie attrapa mécaniquement le bout de papier que l'homme lui tendait et, une fois qu’il fut sorti, elle continua à regarder un long moment la porte fermée. Quand elle retourna dans la salle, elle vit son amie qui l'attendait au bar.

 — Viens, on se barre, y a trop de monde ici, lui cria Charlie à l'oreille. J'ai plein de trucs à te raconter.

 Elles sortirent ensemble du bar et saluèrent le videur en partant. Charlie passa devant et annonça à Caroline qu’elle voulait aller chez Félix. Une fois arrivées dans ce bar plus calme et installées à une table à l'écart du monde, après avoir commandé deux mojitos, Charlie se confia :

 — J'ai vu un mec bizarre ce soir. Il était super mignon ! À tomber par terre en fait ! J'ai jamais vu des yeux aussi verts. Je sais même pas si je pourrais en abuser, de celui-là !

 — Charlie, « tous sans exception, tous aussi con », c'est ta devise, je te rappelle… , s’amusa Caroline.

 — Il m'a proposé de la bonne coke, ajouta Charlie plus sérieusement. De la meilleure que celle de Ben... Peut-être qu’il nous refourgue de la merde Ben. Et on le sait pas.

 — Charlie, t'amuses pas à ça. Même si c'était de la merde, et ça m'étonnerait parce que, quand-même, Ben c’est un pro et il t’a toujours généreeusement servi, je serais toi, je m'amuserais pas à lui faire des infidélités...

 — Il est pas obligé de savoir...

 — Charlie, il le saura si tu lui commandes plus rien !

 Le serveur arriva un plateau dans les mains. Il posa sur la table les cocktails commandés et ajouta deux petits verres. « Offerts par la maison », commenta-t-il simplement sans indiquer ce que pouvaient contenir ces verres. Charlie profita de cette diversion pour changer de sujet.

 — J'ai autre chose, annonça-t-elle : Si tu as toujours besoin d’argent, ça te dirait de passer à quelque chose de plus gros que les petits poissons tombés trop vite et trop pauvres dans notre escarcelle ?

 — Quoi ? demanda Caroline un peu inquiète.

 Charlie, en écrivaine avertie, attendit, un petit sourire aux lèvres, et laissa s’installer le suspense. Enfin, n'y tenant plus, elle lâcha le morceau :

 — Je dois de l’argent à Chris. Pour payer ma dette, il m’a demandé d’aller en Turquie avec ses hommes, comment dire…, pour aller chercher et accompagner des filles jusqu’en France.

 — « accompagner des filles en France » ? Mais dans quoi tu t’es encore fourrée, Charlie ?

 — Attends, pour l’instant, tu n’es pas concernée. Mais si je réussis cette, disons, mission, il m’en offrira une autre et je pourrais garder l’argent que j’aurais gagné : ça te dirait pas, de m’accompagner ?

 Caroline se tut un instant puis ne pût s’empêcher de demander à son amie :

 — Charlie, dis-moi, pourquoi tu fais tout ça? Moi encore, je peux comprendre. Je pourrais faire n’importe quelle connerie, ça changerait pas grand chose à ma vie mais toi ? Tu as ta carrière ! Si tu continues, tu vas la foutre en l'air !

 — Ma carrière, je m'en fous ! Un jour on t'encense, un autre, on t'enterre, c’est que du pipeau, du vent ! Les seuls qui comptent, ce sont ces gens qui s'intéressent à ce que j’écris pas à ce que je fais. Si le public m'aime, comme ils disent tous, alors ils m'aimeront quoi que je fasse. N'est-ce pas le propre de l'amour ? Et puis mon agent trouve que les scandales, ça fait vendre alors, j’vais pas me gêner ! Tu crois pas ?

 — Je ne sais pas Charlie... Dans l'absolu, oui, ils t'aiment, mais ils aiment surtout ton image, celle qu’ils imaginent que tu es. Et ceux qui aiment vraiment tes livres risquent d'être déçus… Alors, oui, tu vas vendre mais pour quelle raison ? Pour ce que tu écris ou pour les scandales que tu génères ? Les autres, les nouveaux lecteurs, ne vont pas forcément acheter tes livres pour les bonnes raisons. Ça risque surtout de t’isoler.

 — C'est pas grave : de toute façon, j'ai l'habitude d'être seule, ça me fait pas peur ! Alors t'es partante ?

 — …

 — Bon, tu y réfléchis et tu me dis ces jours-ci ce que tu as décidé.

 Alors que Charlie continuait de dérouler son argumentaire afin de tenter de convaincre un peu plus Caroline qui, décidément, s’avérait vraiment dubitative quant à l’opportunité de s’engager dans une telle aventure, Charlie eut le regard attiré par quelqu'un, assis au bar, qu' elle reconnut immédiatement. C'était cet homme qui, quelques temps avant, avait fait irruption dans les toilettes pour femmes du Lounge Banana bar.

 — Regarde ! C’est ce mec qui m'a proposé tout à l’heure de la coke soi-disant meilleure que celle que j'ai. Finalement, Ça ferait un bon client quand-meme, non ? Après tout, là, il cherche. Comme ça on allie l’utile à l’agréable, annonça-t-elle avec un sourire rêveur.

 — Oui, oui, bonne idée ! En plus, j'ai vraiment besoin de tunes en ce moment : Mon enfoiré de proprio veut me virer ! Bon, c'est sûr, cinq mois de retard de loyer...

 — Tu veux qu' on s' en occupe, de lui aussi ?

 — Ah non, lui, je peux pas ! Il est vraiment trop con. Ou alors on passe pas par la case lit... Parce que, lui, si je l'ai dans mon lit, je l'émascule !

 Les deux femmes éclatèrent de rire. Plusieurs personnes autour d'elles se retournèrent et, parmi eux, le dealer des toilettes.

 — OK, ajouta Caroline après l’avoir observé un instant, lui je le prends sans problèmes. Je fonce les yeux fermés !

 — C'est bon, je vais le voir.

 Charlie se rendit sans hésiter auprès de l'homme et lui offrit son plus large sourire.

 — Comme on se revoit ! Ça va depuis tout à l'heure. Tu me suis ou quoi ? Désolé si j'ai été un peu abrupte tout à l'heure: j'étais pressée de sniffer.

 — C'est pas grave, t'inquiète, lui répondit-il. Alors, t'as décidé d'essayer de la bonne came?

 — Oui, c'est ça... Faudrait qu’on en discute. Viens chez moi. T'as qu'à passer prendre ta came chez toi et tu passes me voir. J'habite pas loin. Je t'envoie mon adresse sur ton téléphone.

 — OK. Tu seras toute seule ?

 — Pourquoi, tu veux me violer ?

 — Non, bredouilla l'homme.

 — Je rigolais. Avec ta bouille, c'est plutôt moi qui aurait envie de te violer, s’amusa-t-elle. Alors, ça te va?

 — Euh oui, c'est bon. A tout à l'heure alors.

 L'homme fit signe au barman qu’il voulait payer, sortit quelques pièces de sa poche, les lui donna et sortit du bar.

 Il descendit les escaliers de la bouche de métro la plus proche et, une fois sur le quai, il prit son portable et composa un numéro :

— Allô Thomas ? C'est Dan !

 — Dan ! Ça alors! T'es où ? Tu vas bien ?

 — Oui, oui. Et toi ?

 — Oui, très bien ! Ça fait longtemps qu’on s'est pas vu ! On a plein de trucs à se raconter, je crois… Tu passes quand à l'appart' ?

 — Oui, c’est sûr… Je peux venir demain, ça t’irait ? Mais, par contre, euh… Est-ce que tu aurais de la cocaïne à me donner ?

 — Tu prends de la cocaïne, maintenant ?

 — Non, mais c'est pas pour moi, c'est pour ma sœur... Je t'expliquerai... Alors, tu en as ?

 — J'ai de l'herbe, si tu veux...

 — Non, ça j'en ai... T'aurais pas plutôt de la cocaïne?

 — Ah oui, carrément ! Non, ça j'ai pas... Non, je ne vois pas où je pourrais en avoir. Et tu as essayé Mathilde ? Elle connaît pas mal de monde, elle est éducatrice : parmi les anciens enfants dont elle s’est occupés, il y en a peut-être qui ont mal tournés et qui pourrait lui donner de bonnes adresses…

 — Mathilde, tu crois ?

 — En plus, je crois qu’elle a travaillé avec des associations de prévention contre les drogues. Essaye toujours…

 — OK, je l'appelle vite alors. À bientôt Thomas.

 — Dan, attends !

 — Oui, qu’est-ce qu’il y a ?

 — Mathilde. Elle n’osait pas t'appeler. Elle sait que tu es au courant, pour ton père, et elle a peur que tu lui en veuilles.

 — Ah oui, c’est vrai, j’avais tellement ma sœur en tête… je l’ai pas encore appelée… Tu as raison, je vais en profiter pour lui en parler. Merci Thomas. À plus.

 Dan raccrocha et composa immédiatement un autre numéro.

 — Allô... Mathilde ?

 — Oui ?

 — C'est Dan.

 — Dan ? ... C'est toi ?

 — Oui Mathilde, c'est moi... Comment tu vas ?

 — Dan... Moi, je vais bien. Mais toi, tu es où, là ?

 — À Paris… Je suis rentré pour voir ma soeur… Mathilde, il faut qu’on parle. Tu le sais… Jo m’a raconté toute l’histoire, depuis le début : la lettre que tu lui a envoyée ; Thomas, qui était dans la confidence et qui devait arriver à me faire monter dans l’avion pour Lima, selon les directives de Jo ; ton silence, aussi, quand je suis rentré en France après mon premier séjour…

 — Dan… J’espère que tu ne m’en veux pas. Je ne pouvais pas te parler quand tu es rentré : c’est ton père qui te devait la vérité, qui voulait te donner sa version des faits… Tout ça m’a échappé et je ne pouvais même pas en parler avec toi ! Je ne voulais que ton bonheur, Dan…

 — Je sais Mathilde. Et comment je pourrais t’en vouloir alors que tu as retrouvé mon père ! Mathilde ?

 — Oui ?

 — Je t’aime…

 — Moi aussi Dan, glissa Mathilde dans un souffle , d’une voix qu’elle s'efforçait de garder claire, alors que des larmes de bonheur inondaient son visage.

 — Mathilde ?

 — Oui, Dan ?

 — Je voulais savoir si... euh... si tu aurais, éventuellement, de la cocaïne pour moi... Enfin, pas pour moi, ajouta-t-il précipitamment...

 — Dan, soupira Mathilde ! Ça fait plus de six mois que je n'ai pas eu de nouvelles de toi et tu m'appelles pour me demander de la cocaïne ! s’amusa-t-elle tout en essuyant ses larmes.

 — Je suis désolé Mathilde, lança-t-il, un sourire au coin des lèvres. C'est pour ma sœur. Tu sais dans quel état elle est... Je n'ai pas encore pu lui parler. J'ai essayé, j’ai réussi à avoir son numéro par son manager : je me suis fait passer pour un journaliste. Ensuite, je l'ai appelée, je lui ai dit que je voulais discuter avec elle mais elle n'a rien voulu entendre. J’ai ajouté que c'était important, que ça concernait sa famille. Mais elle m'a répondu que sa famille, elle s'en foutait. J'ai tenté le tout pour le tout, je lui ai dit que j'étais son frère et elle m'a raccroché au nez. Alors, je l'ai suivi et c'est comme ça que j’ai pu entrer en contact avec elle. Mais elle ne sait toujours pas que je suis son frère, je ne lui ai pas encore annoncé… C'est le seul moyen que j’ai trouvé pour l'approcher, Mathilde.

 Dan n’éprouvait pas encore assez de sentiments envers Charlie pour ressentir de la tristesse. C'était un constat : s’il voulait aider cette fille, sa sœur, il n'avait pas le choix, il fallait être pragmatique. Comme d'habitude, Mathilde fût à la hauteur et aida précieusement Dan. Elle lui demanda de patienter un petit moment puis le rappela. Elle lui expliqua qu’il devait se rendre au 12, boulevard de la Chapelle. Il devait taper 5436 sur le digicode de l'immeuble, monter deux étages et taper à la porte gauche du palier. Un dénommé Sébastien lui ouvrirait la porte. Il n'avait qu’à dire qu’il venait de la part de Mathilde et il irait lui chercher un sachet contenant trois cents grammes de cocaïne.

 Dan remercia Mathilde, lui promit de la rappeler un peu plus tard, raccrocha et se rendit à l'adresse indiquée par Mathilde. Il récupéra la drogue, remercia le dealer et se rendit directement chez Charlie.

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