Hisser les voiles

10 minutes de lecture

— Vous vous appelez comment ?

— Daniel Jean.

— Date de naissance ?

— Neuf novembre 2000.

— Qu' est-ce que vous avez fait dans la journée du dix-huit mars ?

— Je ne sais plus...

— Vous feriez mieux de vous en souvenir. Comme vous devez le savoir, votre mère a disparu ; c'est bien ça, n'est-ce-pas, il s’agit de votre mère ?

— Oui.

— Et Charlie, c'est votre sœur ?

— Oui.

— Donc, pour l'instant, votre mère a disparu mais, si jamais on retrouve un corps, vous pourriez être inculpé pour meurtre. Pensez-y...

— ...

— Alors ?

— Je ne me souviens plus...

— Vous vous enfoncez ! … Nous savons que vous avez été abandonné étant bébé. Depuis, il semblerait que vous n'ayez eu de cesse de retrouver votre famille biologique. Alors, vous l'avez revue ?

— Qui ?

— Votre mère, s’agaça le policier.

— Non.

— Vous rigolez ? Vous la cherchez depuis que vous êtes gosse, vous apprenez qu'elle habite à Paris mais vous n'allez pas la voir, vous n'entrez pas en contact avec elle ?

— Non... C'est plus compliqué que ça...

— Bon, on va aller droit au but, le coupa l'agent : Qu’est-ce que vous avez fait du corps ? Parce que moi, je vais vous dire ce qu’il s’est vraiment passé ce jour-là ! Vous vous êtes rendu chez votre mère. Mais elle n'a pas souhaité vous rencontrer et vous a claqué la porte au nez. Désespéré, vous n'avez pas supporté qu’après tous les efforts que vous aviez déployés pour la retrouver, elle vous rejette encore, et vous l'avez empêchée de refermer sa porte. Puis vous êtes entré, vous l'avez étranglée et, comme à ce moment-là les enfants rentraient de l'école, ils vous ont surpris et vous vous en êtes aussi débarrassés...

— Débarrassés, répéta Dan, éberlué et incrédule... De mes frères !

— Ahaa, on avance : je vois que vous savez que vous avez deux frères !

— Oui, et une sœur aussi, qui m'a parlé d'eux..

Le policier regarda Dan droit dans les yeux et déclara :

— Bon, admettons... Il n'en reste pas moins que tout vous accuse : vous feriez mieux d'avouer tout de suite : le juge en tiendra compte si on lui dit que vous avez tout de suite craché le morceau !

— Je n'ai rien fait !

— Si vous refusez de vous expliquer, c'est simple, je vous défère tout de suite et, inévitablement, le juge va vous mettre en examen. Vous êtes parti pour perpète, là !

— Je vous ai dit que je n'ai rien fait. Je ne lui en veux même plus à ma mère ! Quant à mes frères, moi aussi, j'aimerai bien savoir où ils sont !

— Écoutez, je vais vous laisser une dernière chance : Vous allez réfléchir en cellule et on se revoit dans une heure ou deux.

Mais, alors que l'officier s’apprêtait à raccompagner Dan, le téléphone sonna. Il attrapa le combiné, écouta, répondit par monosyllabes, puis raccrocha, la mine réjouie. Dan, toujours menotté, observa attentivement l'homme en essayant de capter quelques bribes de la conversation. Quand l'homme leva son regard vers Dan, il était à mille lieues de se douter de ce qu' il allait lui annoncer :

— Vous êtes libre !

— Quoi ?

— Vous êtes libre : Votre sœur a avoué !

— Qu' est-ce qu’elle a avoué ? C'est pas possible !

— Tout ! Elle a tout avoué, jubila le policier ! Vous êtes libre, on a la coupable ! Vous pouvez partir.

Immédiatement, il sortit une clé de la poche de son jean et ouvrit la serrure des menottes. Quelques minutes plus tard, Dan se retrouvait, seul, devant la porte fermée du commissariat. Elle avait avoué ! Avoué quoi ? L’enlèvement de sa mère, son assassinat ? C'était absurde ! Comment avaient-ils pu croire ça ? Et ses frères ? Tout à ses pensées, il ne vit qu’au dernier moment deux hommes qui s'approchaient de lui. Il reconnut immédiatement le duo avec qui il avait partagé tant de bons moments de complicité à l'autre bout du monde.

— Miguel ! Qu’est-ce que tu fais là, demanda Dan ?

— Je suis venu te sauver, mon frère, répondit l'homme en riant. Fabio est avec moi.

— C'est pas moi qu’il faut sauver, Miguel, lui répondit Dan, les larmes aux yeux.

Miguel le prit tendrement dans ses bras et ajouta :

— Je sais Dan, je sais, ne t'inquiètes pas, on s'en occupe dès ce soir... On pensait pas que tu serais là mais c'est bien, tu vas nous aider.

— Mais qu’est-ce que vous faites là ? Comment vous savez qu’on s’est fait arrêter ?

— On était là en reconnaissance quand je t'ai aperçu sur le trottoir. On va t'expliquer Dan, on va tout t'expliquer...

Dan accepta. Il se sentait très fatigué. Sans discuter, il suivit Miguel. Il avait une confiance totale en son frère. Il savait qu’il l'amènerait jusqu'à sa sœur. Il ne pouvait que réussir...

Et à vingt-trois heures, après quelques temps passées dans une voiture garée un peu plus loin, les trois hommes commencèrent à se préparer. Tous trois avaient revêtus des habits noirs et portaient un sac à dos de couleur sombre. Dans le silence de la nuit, Miguel et Fabio entamèrent leur ascension d'une maison contiguë au commissariat en s'aidant de grandes fenêtres et d'un balcon parfaitement disposé pour attraper la corniche au-dessus et se hisser sur le toit. Parvenus en haut, ils enjambèrent un muret de béton et se retrouvèrent sur celui du bâtiment officiel, somme toute, semblable à tous les autres. Miguel chercha un endroit précis du bâtiment. Après l'avoir trouvé, il enleva une tuile puis une autre et se glissa, sans un bruit sous le toit. Il découpa ensuite plusieurs plaques du faux plafond pour s’introduire à l’intérieur du commissariat. Quand il parvint à s’engouffrer dans la cellule de Charlie, qui semblait dormir d'un sommeil léger et agité, il posa sa main devant sa bouche. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, il lui fit signe de se taire. Malgré la peur, n'ayant, de toute façon, rien à perdre, elle obéit. Elle se leva et le suivit vers la sortie, vers la liberté. Une fois sur le toit, à son grand soulagement, elle reconnut Dan. Elle s’abandonna dans ses bras, soulagée, se ressaisit sans tarder et suivit le petit groupe dans sa descente et sa course vers la voiture qui les attendait à quelques mètres de là, phares éteints et moteur allumé.

— Où on va ? ne put-elle s'empêcher de demander, une fois à l'intérieur.

— Ne nous demande rien Charlie et fais-moi confiance, s' il te plaît. Je te mets en sécurité, c'est tout. Peut-être que ça ne te plaira pas mais, actuellement, crois-moi, c'est la seule et meilleure solution.

— Où tu m'amènes Dan, s’inquiéta Charlie ?

— Auprès de ta famille !

— Ma famille ? Mais c'est toi ma famille !

— Alors, auprès de la mienne, plaisanta-t-il !

— Comment ça, la famille ? Qu’est-ce que tu essayes de m'expliquer ? Est-ce que tu as quelque chose à voir avec la disparition de notre mère et de nos frères ?

— Mais non puisque c'est toi qui les a assassinés !

— Qu'est-ce que tu racontes Dan ? Tu sais bien que ce n'est pas vrai : Ils m'ont promis que je ressortirais libre si je leur disais la vérité alors je leur ai dit leur vérité. Je leur ai dit tout ce qu’ils voulaient entendre, tout ce qu’ils m'ont demandé de dire.

— N'importe quoi ! Tu croyais vraiment qu’ils allaient te libérer en leur racontant ça ?

— Non, mais au moins j'avais la possibilité d'y croire... Je sais, ça peut paraître stupide mais J'en pouvais plus Dan, de leurs interogatoires : ils n'arrêtaient pas de me poser toujours les mêmes questions et je me suis dit qu'ils finiraient de toutes façons par comprendre d'eux même que je ne pouvais absolument pas avoir fait ce dont ils m'accusaient. Je voulais juste un moment de répit, disposer d'un peu de temps pour réfléchir : j'étouffais, j'ai cru que j'allais mourir là-bas ! Elle resta un petit moment plongée dans ses pensées puis, comme si elle semblait sortir d'un mauvais rêve, elle ajouta : Où on va ?

— Ça, c'est secret, lui répondit Dan. C'est la seule question que tu ne peux pas poser. On va se mettre à l'abri dans un nid douillet. C'est tout ! Par contre, il faut que tu mettes cette casquette. Si on tombe sur un barrage, on te fera passer pour moi.

— Et toi, tu te feras passer pour qui ?

— Je ne peux rien te dire mais ne t’inquiète pas, j’ai des papiers.

Charlie, cette fois, s’abstint de commenter : elle en avait assez dit pour ce jour-là. Il n'empêche, se dit-elle quand même, "un nid douillet", en pleine cavale, ça me paraît un peu bizarre. Je ne sais pas où il a pu en trouver un à Paris sachant qu’elle était certainement déjà signalée comme évadée. Elle laissa donc errer ses pensées au gré de ce qu’elle imaginait pouvoir être ce nid douillet.

Ils roulèrent ainsi un long moment. Tous somnolaient plus ou moins. Le chauffeur, imperturbable, se contentait de temps en temps de changer de radio. Deux heures plus tard, ils arrivèrent enfin à destination et la voiture se gara dans un parking vide. Ils descendirent tous les trois. Charlie sortit la dernière et suivit les trois garçons qui s'engagèrent sur une allée très étroite qui menait à un port. Quand Charlie arriva face aux quais, un seul bateau était allumé. C'était un long voilier blanc dont le mât, qui dépassait un peu les autres, vibrait dans le vent avec un petit son de carillon. Elle resta derrière les trois autres, un peu en retrait, jusqu'à l'entrée de ce bateau. Dan, devant les autres, fut le premier à monter à bord. Il tapa doucement à une petite porte qui semblait plonger dans la coque. Un homme lui ouvrit tout de suite :

— Alors ?

— Elle est avec nous ! Je te rends tes papiers. Ils ont bien servi. Les flics nous ont contrôlés sur la route mais tout était en règle et ils nous ont laissé repartir. Puis, se tournant vers Charlie : Viens, tu es attendue. Entre !

Celle-ci, derrière Dan, observa longuement l'homme. Elle ne le connaissait pas mais son visage lui disait quelque chose. Puis, elle entendit la voix distincte d’un enfant, quelque part à l'intérieur, qui criait son nom. Elle le connaissait bien, ce timbre d'enfant : Elle l'aurait reconnu entre mille !

— André ?

— Charlie ! Charlie est là !

Charlie se précipita alors à l’intérieur du bateau et découvrit André, Adrien, Mathilde et sa mère.

— Maman ! Tu es là ! Tu n’es pas morte !

— Tu vois bien que non, chérie !

Attablée, elle sirotait un martini. Elle ne se leva pas et se contenta d’envoyer une bise à sa fille.

— C’est Jo qui m’a séquestrée !

— Enchanté Charlie, intervint Jo. Tu ne me connais pas mais je suis l’ex de ta mère et le père de Dan.

— Et vous avez séquestré ma mère ?

— Séquestré, voilà un bien grand mot. Mais oui, en fait, vous avez raison. Cependant, pour ma défense, il fallait bien que je puisse lui parler. Tu connais ta mère : j’ai bien essayé d’y aller plus doucement, je l’ai appelée, je lui ai demandé de m’écouter mais rien elle n’a rien voulu entendre. Comme tu le sais certainement, elle est têtue ! Alors, je n’avais plus que cette solution. J’ai envoyé Miguel et Fabio s’en occuper. Ensuite, je lui ai pris ses papiers et, après lui avoir annoncé qu'elle ne les récupérerait pas tant qu'elle ne m'avait pas écouté, nous avons pu discuter tranquillement : je lui ai expliqué qu’elle n’avait aucun avenir ici. Surtout sans ses enfants qui, eux, avaient très envie de prendre le large.

— Mais prendre le large où, demanda Charlie ?

— Au Pérou, pardi ! Tous ensemble. Là-bas, Charlie, tu ne seras pas inquiétée et tu ne seras pas non plus complètement déracinée puisque tu auras auprès de toi ta mère et tes frères.

— Charmant ! Alors, c’est ça, Dan, ton nid douillet ! Bon, écoutez, moi, je pars nulle part : je suis très bien ici et il est hors de question que je m’installe dans le trou du cul du monde… Et encore moins avec ma mère !

— Charlie, ici, c’est fini pour toi : je te rappelle que tu es accusée de meurtre !

— Sauf si on retrouve ma mère. Alors maintenant, vous la laissez partir et on va régler ça vite fait au commissariat !

— Non ! Dis-donc, tu ressembles un peu à ta mère quand-même ! Alors, qu’est-ce que je pourrais te dire de plus… Là-bas, Miguel et moi, avons construit plusieurs petits pavillons. Tu auras le tien, et tu pourras écrire. Donc, finalement rien ne change pour toi…

— Et on trouve de l’ayahuasca autant qu’on veut, ajouta Dan en accompagnant ses paroles d’un clin d’œil évocateur ! Toi qui voulais essayer…

— Tu veux bien que je me drogue, toi, maintenant, lui demanda Charlie ?

— C’est pour la bonne cause. Et puis, disons que cette offre est valable pour une dégustation modérée, expliqua Dan en souriant.

— Et il y a des péruviens, lança, perfide, Véronique.

— Ah oui, j'ai aussi un bonus : ça t'intéresserait le mail de Thomas, sachant qu' il a promis de nous rejoindre dès qu'il le pourrait, demanda Dan ?

— Charlie, proposa Jo, tu viens et tu verras. Tu n'as rien à perdre après tout. Et si jamais tu n'es pas bien, tu repars...

— Je repars ? Comment je repars ? Une partie de mes papiers est au commissariat, l'autre est chez moi. Je n'ai plus de passeport, de carte d'identité ni même de permis de conduire !

— Certes, concéda Jo donc, sans papiers, sans habits, sans affaires, ici, tu ne pourras pas faire grand-chose : Je suis content que tu t'en rendes comptes et je prends cette réponse comme un assentiment. Alors, vogue la galère ! Dan, tu peux y aller.

Sans laisser le temps à Charlie de réagir, Dan sortit, se rendit à l'avant, remonta l'ancre et le voilier s’enfonça dans la nuit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Vanep ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0