Le pétage de plombs

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Je me considère comme une personne calme, civique et agréable. J’essaie d’être polie dans la rue, de m’excuser quand je gêne le passage de quelqu’un d’autre. Souvent sans réponse de la part de la personne. Je laisse ma place aux personnes enceintes et âgées dans les files d’attente du supermarché, celles-ci passent sans même un merci. Je me déplace en trottinette dans les rues de ma ville, souvent, pour ne pas être dangereux, je mets pied à terre. Je me vois quasi constamment contrainte de marcher derrière des poussettes ou deux personnes qui discutent et qui bloquent le passage du trottoir alors qu’elles ont tourné la tête pour bien constater que j’étais derrière. Il leur suffirait de se rapprocher du mur pendant dix secondes, de se rapprocher l’un de l’autre. Cela ne leur coûterait rien, ils poursuivraient leur chemin et moi le mien. Aux passages piétons, j’attends longtemps que les voitures folles me laissent passer. Dans le bus, on me bouscule violemment pour prendre la dernière place assise – que je n’aurai pas prise. Dans le métro, ceux qui montent ne me laissent pas descendre – ni moi ni les autres. Et je passe en disant « pardon ». Réflexe ou connerie ?

Ce n’est pas grand-chose, c’est trois fois rien. J’ai quand même l’impression qu’on abuse de mes bonnes manières, de ma gentillesse.

Ce jour-là, il faisait chaud. J’étais fatiguée. Derrière moi, une bonne femme soi-disant enceinte - ou alors de deux semaines – hurle à la caissière de la faire passer avant les autres, sans même remercier la pauvre employée toute gênée de voir les autres clients attendre encore plus longtemps. Mon sac de courses était lourd, remplis de fruits pour une salade qu’on m’avait demandée de faire sans demander mon avis. Fruits que j’avais dû aller chercher sous le cagnard alors que je venais de passer une journée exécrable à courir à droite et à gauche. Je me suis dit à ce moment-là que je complétais la salade : j’étais une bonne poire.

J’ai repris mon chemin pour retrouver mes pénates, à pied. Dans une voiture plutôt voyante, un homme attendait, assis sur le siège passager côté trottoir. Nos regards se sont croisés. Alors que je passais, il a jeté son mégot par la fenêtre. D’un réflexe qui m’a moi-même surprise, j’ai bondi sur le côté.

— Hey ! Mais vous ne pourriez pas faire gaffe ? C’est dangereux !

— Bah quoi ? Il ne t’est rien arrivé.

Dédain total. Mes pensées ont défilé si vite que je ne pouvais pas les lui hurler au visage. Et si ça avait été un enfant ? Et si je m’étais fait brûler ? Et pourquoi je suis encore méprisée ?

J’ai un petit hobby. J’aime apprendre des trucs de super-héros, pour égayer ma vie terne. J’ai appris à piloter plus d’engins que James Bond, je sais mieux manier le fouet qu’Indiana Jones, je connais mieux le kung fu que tous les pandas du monde. J’apprenais à manier le couteau. Couteau papillon, je trouvais ça classe. J’en avais toujours un sur moi pour m’entrainer dès que j’avais quelques minutes.

J’ai lâché mon sac de course et l'ai sorti. La fenêtre était ouverte, sa gorge a rencontré ma lame qui n’était même pas aiguisée.

— Et là, maintenant tu dis quoi, connard ?

— Ch’uis désolé, m’dame.

— Ah ouais, t’es une de ces merdes qui ne respecte que la force, hein ? Le savoir-vivre, tu connais pas ?

— Si, m’dame.

— Vraiment ? Quand tu vois une petite grand-mère qui traverse, tu fais quoi ?

— Je, je fais ronfler mon moteur pour qu’elle se bouge.

La vérité par la terreur. Je pensais qu'il m'aurait menti mais non, même pas. Il avouait ses comportements détestables. J’appuyais ma lame plus fort contre son cou. Il se raidit.

— Et bien, ça va devoir changer, p’tite bite incivique ! File moi ta carte grise.

Il allait se pisser dessus mais ne bougea pas. Dans mon dos, des personnes passaient en accélérant. Apeurées comme des moutons.

— Ta carte grise ! Et plus vite que ça !

Ses mains volèrent comme un pigeon pourchassé par un aigle. Deux secondes après, je pouvais lire l’adresse. Énervée, j’avais appuyé davantage la lame. Il n’avait pas réalisé que la lame ne coupait pas.

— Monsieur Lesage. Tu portes mal ton nom, connard. J’ai ton adresse. Tu habites dans le quartier. Si jamais je te vois recommencer la moindre connerie, brûler un stop ou oublier de dire bonjour au clochard du coin, je vais te pourrir la vie. C’est compris ?

Question rhétorique. Il suait comme un porc. Je refermais mon couteau, reprit mon sac de courses et revint chez moi le cœur léger, le sourire aux lèvres. Il porterait peut-être plainte, j’aurais peut-être des ennuis avec la justice mais je m’en fichais. Pour une fois, j’avais le sentiment d’avoir fait ce qui était juste.

La salade de fruits fut délicieuse.

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