A l'aventure

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Discrète comme une ombre, je marchais rapidement dans le froid de la nuit. Je me dirigeais droit vers le coin de banlieue lyonnaise où logeait ma meilleure amie, Emilie. Il n’y avait pour éclairer mon chemin que les lampadaires et les phares des dernières voitures ramenant les travailleurs harassés à leur domicile. Moi aussi je rentrais d'habitude à ces heures tardives, mais pas ce vendredi. En effet, cette soirée était spéciale, minutieusement prévue dans ses moindres détails depuis plus d’un mois. Il m’avait fallu prendre mon après-midi pour me préparer correctement. Après tout, le combat à venir allait déterminer tellement de choses, et tout dépendrait de moi.

  • Et bien, qu’avons-nous là ?

Je sursautais et fis un bond en arrière tout en dardant mon regard vers l’homme massif surgi d’entre les ombres. Je ne l'avais pas entendu approcher, trop concentrée sur l'élaboration de complexes stratégies offensives. Je le détaillais un instant, avant de pouffer de rire en frappant son torse d’un solide coup de poing. Je cognais quelque chose de dur sous le manteau de cuir noir qui émit un son métallique.

  • Maxime ! Est-ce là une façon d’aborder une jeune femme frêle et innocente dans la rue ? me moquès-je en reprenant la route en sa compagnie.
  • Toi, frêle et innocente ? il riait de bon cœur. Va donc dire ça à ton dernier adversaire, une fois qu’on aura retrouvé tous les morceaux !

J’émis un léger rire mordant, il fallait tenir mon rôle. Une brusque bourrasque manqua de faire tomber ma capuche, je m’en saisis pour garder ma tête à l’abri des regards indiscrets. Deux petites formes dépassaient de sous le tissu, je tenais à ne pas trop m’afficher. Maxime remarqua mon geste, il porta les mains par réflexe à son manteau dont il releva le col. Nous échangeâmes un clin d'œil complice en arrivant devant la porte d’entrée de l’immeuble d’Emilie.

  • A l’assaut de la forteresse, murmura Maxime tandis que son pouce écrasait la sonnette de l’appartement n°12.

Je pris une poignée de secondes pour l’admirer. Le garçon de vingt-deux ans aux yeux châtains affichait une assurance Ô combien attirante. Il était prêt, peut-être plus que moi. Une fois de plus, je me perdis dans mes pensées, nous imaginant, seuls, unis face à un ennemi invincible, absolu. Lui, me serrant la taille dans une ultime provocation face à la mort, nos lèvres se rapprochant pour... Une vive douleur me sortit soudain de mes rêveries, Maxime me pinçait la peau du bras à travers le tissu de ma cape avec un sourire espiègle.

  • Que… ?! dis-je en le martelant de coups. Tu as tout gâché !!
  • Ah bon ? J’ai gâché quelque chose ?

Il riait de bon cœur en encaissant sans mal, quand la porte s’ouvrit sur un grand personnage vêtu d’une ample robe bleutée cousue de constellations dorées et portant un chapeau à large bord, du style de Gandalf le Gris.

  • Vous voilà enfin, soupira le magicien.
  • Désolé ! Rose a pris un temps pas possible pour se préparer, se moqua Maxime en lui faisant une solide accolade.
  • Hey !

Je les observais à tour de rôle, fulminante. Ils allaient voir pourquoi j’avais soi-disant autant traîné.

  • Poussez-vous les bouseux, dis-je d’un ton méprisant en pénétrant les lieux.
  • Oh, mais c’est qu’elle mordrait !

Ils me firent un salut ironique en se plaçant de part et d’autre de l’escalier. Julien le magicien tenta de rabattre ma capuche, une tape sur la main suffit à le faire battre en retraite. J’aimais l’idée de susciter leur curiosité, ils n’allaient pas être déçus. Ils suivirent donc derrière moi, à la place qui leur était due, jusqu’à ce que j’atteigne le pas de la porte avec un gros douze épinglé dessus. Cette dernière était entrouverte, un son mélodieux s’en échappait. Les deux zigotos dans mon dos firent silence, nous y étions enfin. Je pris une grande inspiration et, contenant l’émotion qui s’emparait progressivement de mon être, je rentrais dans l’antre d’Emilie.

La musique s'affirma, un chant de dryade sur fond d’écoulement d’eau. En même temps, une odeur d’encens me chatouilla les narines. Il faisait assez sombre, avec au bout du couloir la lumière tremblotante d’un feu de bois. Un frisson d’excitation me remonta l’échine, Emilie savait y faire pour nous mettre dans l’ambiance. Toujours silencieux, nous arrivâmes dans le salon, ou plutôt, notre camp de fortune. Je m’arrêtai pour apprécier la décoration. Des guirlandes florales accrochées aux murs, les meubles poussés contre ces derniers pour laisser le maximum de place à la grande table centrale. Elle était en bois de chêne, massive et recouverte de cartes, fioles aux liquides étranges, pièces d’or et autres babioles fantastiques. Quatre chaises étaient présentes, dont une à l’écart en bout de table. J’en fis le tour, caressant le bois avec une attention religieuse alors que mes amis prenaient place en se chuchotant des paroles inaudibles.

  • Princesse, nous ne vous attendions plus, fit une voix au timbre calme dans mon dos.

J’y reconnus Emilie et me retournais pour la saluer. Elle recula légèrement pour s'incliner bien bas, ses longs cheveux teints en blanc chutant jusqu’au sol à l'image d'une cascade irréelle. Je me morigénais intérieurement, elle était déjà dans son rôle, je devais respecter le mien. Contenant l’envie de la serrer dans mes bras, je me contentais d’un bref signe de la tête en tendant une main gantée.

  • Maître du jeu, c’est un honneur.

Elle baisa le gant de velours indigo puis alla s'installer sur la chaise à l’écart. Il ne restait plus que moi debout, tous me regardaient, attendant que je me dévoile pour prendre place et enfin commencer !

C’était mon petit moment de gloire. Je commençais à dégrafer les boutons de ma cape en les dévisageant tour à tour, mais surtout Maxime, qui s’était délesté de son manteau pour laisser apparaître une brigandine. Le paladin en armure me dévorait du regard, quelle sensation grisante. Je dévoilais ma tenue de combattante, avec mes deux épées aux hanches, mais c’est lorsque je rabattis ma capuche que leurs yeux s’illuminèrent. A la lueur des flammes, ils purent admirer mes pupilles teintées par des lentilles couleur sang. Mes yeux étaient encadrées de mystérieux tatouages dorés qui m’avaient pris un temps monstre à réaliser. Enfin, de ma longue tresse mêlée de fils argentés dépassaient deux oreilles elfiques criantes de réalisme. Pour finir, ma tête était sertie d’une couronne fabriquée à partir de fils de fer et de plumes. Je me sentais élégante, à l'image de la princesse déchue que je jouais.

  • C’est bon ? Tu as fini de te pavaner ? railla Julien.
  • Marcellus, tu as un désavantage pour manque de respect envers la princesse Malia, répliqua Emilie d’une voix sévère.

Notre soigneur grommela dans sa fausse barbe, le maître du jeu était sans pitié. Je pris place aux côtés de Maxime. Il me fit un sourire encourageant, mais je m’étais prise dans le jeu de rôle. J'examinais ma fiche de personnage, la carte aux bords brûlés posée au centre de la table et les petites figurines qui s'y trouvaient. En même temps, j’écoutais attentivement Emilie qui résumait nos aventures passées. C’était à moi d’agir. Enfin, le maître du jeu se tut et fit un bref signe de la tête dans ma direction. J’y répondis en posant les mains sur la table, la voix forte et le regard déterminé.

  • Bien, commençons.

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