Chapitre VIII. Au Nord, Sud, Est et Ouest. 1/2

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« Un voyage de mille lieues commence par un pas. » Lao-Tseu

 Au cœur d’une montagne, au nord-ouest de la capitale dans le royaume d’Ebélios, une ville creusée à même la pierre hébergeait un homme et ses sbires. Dans cette ville troglodytique, tout au fond du labyrinthe de tunnels sinueux, à l’écart des autres résidants, cet homme avait aménagé son atelier de recherche.

 Derrière la porte entrebâillée, à l’extérieur de l’atelier, un mercenaire restait prostré là, incertain sur ce qu’il devait faire. Entrer ou attendre que le chercheur sorte de lui-même dans le couloir, même si cela pouvait prendre du temps.

 Penché au-dessus de ses carnets de notes, l’homme aux cheveux grisonnant gesticulait dans tous les sens. Dans son monologue contradictoire et illogique, cette personne entre deux âges ne remarquait même pas la présence du sbire. D’un point de vue extérieur, l’homme plongé dans ses recherches paraissait complètement fou, et c’est d’ailleurs ce que pensait ce malheureux mercenaire.

 Lui qui avait perdu au jeu de la courte paille, devait donc délivrer le message important. Mais voilà, il restait figé là par la crainte des représailles qui pouvaient tomber. Car après tout, que son humeur soit bonne ou mauvaise, personne ne savait comment le maître des lieux pouvait réagir. Quand il était en crise, comme maintenant, son comportement était imprévisible.

 Alors, résolu à en finir vite, le soldat frappa fort sur la porte en bois de l’atelier du Gris.

  • Maître Gris, j’ai un message pour vous.

 La voix, sans aucun courage, du mercenaire arriva avec difficulté jusqu’aux oreilles du Gris. Au point même, qu’il dut s'y prendre à deux fois pour se faire entendre.

  • Je t’écoute ! Parle vite ! je n’ai pas que ça à faire.

 La voix basse et traînante du Gris fit remonter un long frisson d’effroi le long de la colonne vertébrale du pauvre mercenaire. À force de côtoyer cet homme, ses hommes de mains savaient quand le Gris était de bonne ou de mauvaise composition. Et là, il faut croire que ce malheureux mercenaire venait de rendre son maître de forte mauvaise humeur.

  • Tout est prêt Maître Gris. À votre signal nous pourrons commencer le rituel.

 Depuis le fiasco de la forêt de murmure, des années plus tôt, les rituels de drainage n’étaient plus confiés à des petits groupes de mercenaires éparpillés sur le territoire. Non, maintenant cela se faisait ici dans la ville de pierre, à l’abri de ces maudits Ombrumes. Avec un soupir de fatigue, le Gris referma ces carnets et rejoignit le mercenaire. Une fois sorti de son atelier, il verrouilla la porte, et se mit en route pour la grotte principale.

 Là, dans cette immense cavité naturelle, au centre de la salle, les attendait un œuf noir charbon aux proportions inimaginables. Il était posé sur un immense autel rectangulaire, et imposait sa présence à chacun. Haute de deux mètres, la coquille n’était toutefois pas complète, il lui manquait encore son couvercle. Au pied de cette drôle de chose, sur l’autel, des personnes effrayées se collaient les unes aux autres.

 Posées de part et d’autre sur le piédestal, des petites pierres noires, ressemblant beaucoup à des pierres volcaniques, commençaient déjà à déployer leurs filaments sombres. Au signal de leurs chefs, des hommes poussèrent, avec des pelles, les Sraks aux pieds des sacrifiés. Et le rituel put enfin commencer.

 Plus loin, beaucoup plus loin, à la surface de cette grotte, dans la chaîne Inuim, un être légendaire gardait l'entrée de la forteresse en pierre. Dégoûté par ce qui se tramait à l’intérieur, il s’avança un peu plus dans la tempête de neige qui faisait rage. Le visage levé vers le ciel, il se maudit pour son incrédulité et sa stupidité passée.

 À cause du pacte qu’il avait scellé avec le maître des lieux, il était obligé de garder l'entrée de cette grotte. Des chaînes invisibles l'empêchaient de partir trop loin et le bloquaient ici, à la merci du bon vouloir de ce vieux fou. Si seulement il pouvait revenir des années en arrière et passer son chemin en ignorant les paroles fourbes de cet homme. Avec un dernier sourire au ciel qu’il aime tant, la créature abandonna sa forme humanoïde et déploya ses immenses ailes noires pour venir se coucher sur le pic qui surplombait l'entrée.

~

 À des kilomètres de cela, au cours de cette froide nuit d’hiver, une jeune femme arpentait de long en large sa chambre. Depuis la révélation de sa tante, Aliénor ne parvenait plus à trouver le sommeil. Comment faire pour dormir, alors qu’enfin une solution à sa quête de toujours prenait finalement forme.

  • Veux-tu bien te calmer un instant, Aliénor. Tous ces allers-retours me donnent le tournis, fit la voix légèrement agacée d’Heaven.

 Assise sur l’un des fauteuils moelleux de la chambre d’Aliénor, les yeux toujours posés sur sa porteuse de pouvoirs, Heaven tentait, au mieux, de cacher son inquiétude. Si Aliénor décidait de partir à la recherche de ce grimoire, elle serait dans l’incapacité de l’en empêcher. Cela faisait des années maintenant qu’Heaven n’avait plus d’emprise sur les décisions de sa porteuse de pouvoirs.

 Toujours à faire les cent pas, Aliénor lança un regard incertain à Heaven. Enfin décidée à poser la question qui lui était venue une heure plus tôt, Aliénor se tint déterminée devant la dame sans âge.

  • Heaven, peux-tu m’aider à retrouver ce grimoire ? demanda-t-elle d’une voix sûre.
  • Bien sûr que je le peux. Mais qu’est-ce que j’y gagne, moi, en retour, susurra Heaven.

 Aliénor se doutait déjà de cette réponse, à chaque demande qu’elle faisait, il y avait toujours une négociation à la clé. C’est aussi pour cette raison qu’elle avait hésité à lui demander son aide.

  • Que veux-tu ? demanda Aliénor dans un soupire las.
  • À demande importante, souhait important. Tout est une question d’équivalence. Tu sais très bien ce que je veux. Mon souhait n’a jamais changé. Aide-moi et je t’aiderais en retour.
  • Je ne peux pas te l’accorder. Tu m’en demandes trop. Je ne renoncerais jamais à mon monde d’origine et à ma famille qui m’attend. Tu dois trouver un autre souhait !
  • Il n’y en a pas d’autres.
  • Il y en a toujours un autre, mais je ne vais pas attendre que tu le trouves. Si tu ne veux pas m’aider alors je le ferai toute seule.

 Résolue à ne pas montrer sa frustration mais aussi sa déception à Heaven, Aliénor lui tourna le dos et sortit de sa chambre pour partir se promener. Seule dans la serre et entourée de toutes les fleurs et autres végétaux, Aliénor s'assit sur l’herbe et rabattit ses genoux contre son menton. Comme toujours, cet endroit avait le don d’apaiser le tourbillon qui emplissait son esprit, à chaque fois que ses émotions s’emballaient.

 Quelques jours plus tard, aux premières lueurs de l'aube, Aliénor finit de se préparer pour son voyage. Habillée d'une tunique bleu marine, faite sur mesure et avec une bonne liberté de mouvement, elle était assez épaisse pour conserver la chaleur de sa propriétaire.

 Taillé dans un cuir confortable et souple, son pantalon, lui aussi bleu foncé, était idéal pour voyager à cheval sur de longues distances. Et pour parfaire sa tenue, Aliénor avait opté pour une paire de bottes de voyage qui lui montaient au-dessus des genoux, dans la même teinte que le reste de ses vêtements.

 Par-dessus l’ensemble de ses vêtements chauds, Aliénor enfila sa cape à l’intérieur garni de fourrure, et une paire de gants posée à côté d’elle sur une chaise. Enfin prête, elle traversa sa chambre et sortit de son bureau une carte, son carnet de voyage ainsi que son matériel d’écriture et les fourra dans son sac en bandoulière, attrapé au préalable sur la chaise.

 Une fois sûre de n’avait rien oublié, Aliénor passa la lanière de son sac sur son épaule. Après un nouveau coup d’œil dans son miroir, elle rajusta la capuche de sa cape sur ses cheveux, devenus bruns par une teinture.

 Satisfaite du résultat, elle ouvrit la porte de sa chambre, le cœur anxieux. Avoir pris la décision de partir seule sur les routes était une chose, mais mettre à exécution son plan de sortie en était une autre. Les mains accrochées à son sac, elle prit une grande inspiration et sortit de sa chambre.

 Atteindre les écuries fut plus facile que prévu, et dans son boxe, sa jument piaffait de joie en la voyant. En deux temps trois mouvements, cavalière et monture furent prêtes à partir.

 Après un dernier regard en arrière, Aliénor lança son cheval au trot et s’engagea dans le brouillard de la Blanche Forêt Brumeuse. Il lui fallut une bonne heure pour enfin sortir de la barrière protectrice du duché.

 À son arrivée à l’extérieur de la forêt, Aliénor fit passer sa jument au pas et se décala légèrement du passage. Les quelques voyageurs déjà debout avançaient sur le chemin qu’elle venait de quitter, alors même que le soleil pointait enfin ses rayons timides sur la terre.

 Plus loin, à côté des Viatorem, près d’un point de lumière, deux cavalières se tenaient, là, immobiles. Enfin pas tout à fait, l’une des deux était immobile, l’autre debout sur ses étriers scrutait les passants dans l’espoir de retrouver une personne. Toujours au pas, Aliénor continua son chemin pour franchir l’un des portails. Grâce à la confiance qu’il y avait entre sa monture et elle, Aliénor se laissa guider par celle-ci, et put tranquillement observer les voyageurs autour d’elle.

 Plus elle se rapprochait du duo proche du portail et plus Aliénor avait la possibilité de mieux les examiner. Trop loin quand même pour distinguer nettement les traits de leurs visages, Aliénor ne voyait que quelques détails.

 Assise sur son cheval tacheté, la capuche de sa cape rabattue sur ses épaules, la première cavalière avait de longs cheveux bruns tressés. De profil, son visage à la peau hâlée était doux, son petit nez en trompette surplombait une bouche fine et le coin de sa lèvre était rehaussé par un sourire aimable. Quoique en regardant mieux il était aussi un brin moqueur.

 De sa silhouette on ne distinguait que ses longues jambes galbées recouvertes par une paire de bottes de voyage, le reste était caché par une ample cape marron.

 La silhouette de la seconde, en revanche, était déjà bien plus facile à distinguer. La jeune femme ne portait pas de cape et se tenait toujours debout sur ses étriers. De petite taille, elle ne devait pas mesurer plus d’un mètre soixante.

 Sa silhouette sèche et athlétique était soulignée par ses vêtements en cuir vert foncé, avec à sa taille une ceinture où était attaché un fourreau avec son épée courte rangée dedans.

 Sur ses épaules, sa chevelure rousse, aussi flamboyante que les feuilles en automne, était lisse et coupée en carré. Quand elle tourna la tête, une mèche glissa de derrière son oreille et lui effleura le visage. La peau blanche de celui-ci contrastait avec les rougeurs, dues au froid, de ses joues parsemées de taches de rousseur. Machinalement la cavalière replaça ses cheveux derrière son oreille.

 Les yeux écarquillés, Aliénor n'en revenait pas. Ces deux voyageuses elle les connaissait, et pas qu’un peu. Impatiente de savoir ce qu’elles faisaient là, Aliénor fit changer sa monture de direction, et se dirigea vers elles.

~

 Toujours en hauteur, la jeune femme rousse tourna son regard en direction de son amie.

  • Je ne la vois toujours pas. Élisa, tu es sûr que c’est aujourd’hui qu’elle doit partir ? Tes informations sont-elles exactes ? La rouquine parla rapidement, comme à son habitude.
  • Oui Héloïse, j’en suis sûr. Je tiens mes informations d’une source sûre. Crois-moi elle ne devrait plus tarder maintenant, répondit la voix douce d’Élisa.
  • Oui je veux bien te croire. Quand tu dis que tes informations viennent d’une source sûre. Mais bon, tout le monde peut faire des erreurs, tu sais, même le Vieux Juge.

 Avec une moue frustrée, la voltigeuse se rassit sur sa selle et scruta la sortie de la forêt.

  • Oh ! Attends, je crois que je la vois.

 D’un bond, Héloïse se releva, faisant sursauter sa voisine, alors que Répète, son cheval, lui ne broncha même pas. Trop habitué aux mouvements imprévisibles de sa cavalière.

  • Ah… ah bah non, autant pour moi, c’est pas elle.

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