Chapitre X. Le chemin du vent. 1/3

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« Quoi que tu rêves d'entreprendre, commence-le. L'audace a du génie, du pouvoir, de la magie. » Johann Wolfgang von Goethe

 Tout au nord d’Ebélios, entre la chaîne Inuim et la forêt des Murmures, onze colossales tours, cheminaient le long de la frontière. Postées à distance raisonnable les unes des autres, elles assuraient depuis des centaines d’années une surveillance continue sur leur voisin, Ostestia.

 Au-dessus de l’une d’elles, aux premières lueurs de l’aube, dans le creux du ciel pâle, un faucon observait attentivement son environnement. Sous lui, à la merci des éléments, un drapeau claquait au rythme du vent. Accroché au sommet de la tour de guet, l’étendard arborait le même symbole que la cape de son fauconnier.

 Sur ce tissu noir, une seule couleur apparaissait, l’or. Assise devant deux grandes épées croisées, les contours dorés de la silhouette d’une féroce panthère remplissaient l’espace. Sur le visage de l'animal, ses pupilles d’or captivaient et soutenaient toute personne croisant son regard.

Tous sur les terres d’Ebélios connaissaient les propriétaires de ses armoiries. Symbole du pays, il était accroché dans tous les villes et villages ainsi que sur chacune des onze tours de guet. Mais pas seulement, il était par-dessus tout l’étendard et le blason de la famille régnante.

 Appuyé sur le rebord du muret entourant le chemin de guet, le jeune homme à la cape noire observait le vol de son oiseau. Voilà maintenant six ans qu’il était arrivé ici, six ans qu’il montait tous les matins pour profiter de quelques instants de tranquillité. Mais pour ce jeune guerrier, la tranquillité ne durait jamais très longtemps.

 Derrière lui, la porte grande ouverte laissait entendre des bruits de pas, montant les interminables marches, pour le rejoindre. Ses pas lourds et bruyants, il les entendait tout le long de sa journée et jusque tard dans la nuit. Avec lenteur, le jeune homme à la cape noire se tourna en direction de la porte et attendit que son ami le rejoigne.

 Monter les marches de la tour de guet était un exercice routinier pour le capitaine des chevaliers Audencia. Depuis leurs premiers jours ici, il les gravissait tous les matins sans faute, et retrouvait au sommet de celle-ci son supérieur, et ami de longue date. Mais aujourd’hui, il ne le rejoignait pas pour une discussion informelle comme ils en avaient pris l’habitude.

 Non, aujourd’hui ce n’était pas l’ami qui était monté jusqu’ici, mais un sujet loyal envers son roi. Alors, c’est avec le visage sérieux qu'il fit face à son souverain.

 À son arrivée à côté de lui, Ezéckiel accueillit amicalement le capitaine de sa garde rapprochée, et lui tendit la main pour une poignée fraternelle.

— Nathanaël ! Content de te voir, comment s'est passé ton quart ?

 À la place de leur accolade habituelle, Nathanaël fit une légère révérence à son roi.

— Votre Majesté, annonça solennellement Nathanaël.

 Il était rare que Nathanaël s’adresse à lui de manière protocolaire en privé. Son ami le faisait seulement quand on l’avait chargé de lui transmettre un message important, venant d’un noble ou d’un haut gradé. Conscient de la tournure qu'allait prendre la conversation, Ezéckiel adopta donc une posture sérieuse et revêtit son masque de souverain.

— Qu'y a-t-il ?

 Avec attention, Ezéckiel scruta le visage du capitaine de sa garde. En partie dissimulé derrière un masque, seuls le côté gauche, et la marque de naissance qui la recouvrait, étaient visible de tous. Mais cela suffit à Ezéckiel pour voir de l’inquiétude derrière l’apparence impassible de son ami.

— C’est à propos de l’invitée, votre majesté…

 Deux jours plus tôt, la fille de l’unique marquis d’Ebélios, Cassandre Ciasilma, avait fait le chemin de la capitale jusqu’au front. Envoyée spécialement sur ordre de son frère, elle tenait entre ses mains, une missive scellée du sceau du prince régent.

 Habituellement, c’était un messager lambda qui se chargeait de ces missions récurrentes, mais pas cette fois. Non, à la place, ce fut une jeune femme de la cour. Ézéckiel se demandait encore comment elle avait réussi à convaincre son frère de la laisser jouer au messager.

— Elle souhaiterait connaître votre réponse, continua le capitaine Audencia. Et par la même occasion elle aimerait savoir quand elle pourra retourner à la capitale ?

 Ezéckiel savait très bien à quelle question elle faisait référence et à laquelle il devait répondre. Et cela n’avait rien à voir avec la missive de son frère. Celle que la lady espérait recevoir avait plus un rapport avec la visite surprise de la jeune femme dans sa chambre, la nuit dernière. À cette pensée, il fut assez impressionné par l’audace de cette dernière. La proposition que la demoiselle Ciasilma avait faite, après leur longue conversation nocturne, faisait toujours écho dans sa tête.

 La réponse, Ezéckiel avait fini par la trouver en haut de la tour, une fois qu’il fut seul. Après avoir pesé le pour et le contre, il avait décidé d’accepter son offre. Après tout, elle avait su lui fournir des arguments très convaincants.

 Mais, bien sûr, Nathanaël ne savait pas pour la petite visite nocturne, et la réponse à laquelle il faisait allusion était celle qu’Ezéckiel devait donner à son frère.

 La fameuse missive, Ezéckiel la sortit de sa poche intérieure, toute froissées, la lettre de trois pages restait tout de même lisible. Comme toujours avec son frère, ses lettres étaient très bien organisées et écrites avec soin. Les deux premières pages étaient remplies d'un rapide résumé des différentes affaires du royaume, Ezéckiel les survola rapidement.

 Pour ce qui était de la dernière page, il n’y avait qu’un seul paragraphe. Fini l’habituelle écriture en pattes de mouche, là, à l’encre rouge, le texte prenait tout l’espace disponible. Une fois de plus, il les relut, et se demanda toujours s’il devrait prendre au sérieux le post-scriptum de son frère.

« Je tiens à te rappeler que l’accord convenu ensemble avant ton couronnement va bientôt prendre fin. J'ai accepté de diriger le royaume à ta place seulement pendant les quatre années qui suivraient ton couronnement. Le temps est maintenant écoulé.

Cela fait 4 ans que tu as quitté la capitale, petit frère. Il est temps que tu rentres au palais, et que tu reprennes ta place sur le trône. De plus, je suis sûr que père sera ravi de ton retour parmi nous. Tu sais, il te réclame à ses cotés de plus en plus souvent.

PS : Si tu ne viens pas de ton plein gré, je n’hésiterais pas à avoir recours à la méthode de ton enfance pour te ramener avec moi. Je viendrais te chercher par la peau des fesses s’il le faut !!! Alors, fais-moi plaisir, et ne m’oblige pas à en arriver là. »

 Finalement Ezéckiel choisit d'afficher un sourire espiègle aux trois dernières phrases. Mais très vite ce sourire s’effaça. Quand il y repensait, cela faisait quatre ans qu’il n’était pas rentré chez lui, et qu’il n’avait pas vu ses proches. Sans compter les deux années supplémentaires qu’il avait passées à fait des allers-retours entre la tour de guet et le palais.

 Ezéckiel relut une dernière fois la troisième page et sentit déjà en lui monter une migraine. Depuis le début du mois précédent, il s’attendait à recevoir une lettre comme celle-là. Il avait même déjà commencé à préparer son départ, du moins dans son esprit. Il n’y avait plus qu’à tout mettre en place.

 Avec un dernier regard sur le panorama en face de lui, il fit un signe de la main et invita le capitaine des Audencia à le suivre dans la tour. Tout en descendant les marches, le jeune roi transmit ses ordres à son capitaine.

— Dis à lady Ciasilma que je lui donnerai dans la journée ma lettre de réponse. Elle va pouvoir préparer ses affaires pour retourner là d'où elle vient. Ensuite, rejoins-moi dans la salle du conseil.

— Bien votre Majesté. Je ferai comme vous le souhaitez.

 Tout en faisant un signe de contentement de la tête à Nathanaël, une pensée traversa son esprit. Ezéckiel pila net dans les escaliers, et se tourna vers son subordonné la mine légèrement méfiante. Surpris, par cet arrêt soudain, le capitaine réussit in extrémis à s'arrêter sur la marche surplombante celle de son ami.

— Rassure-moi, demanda le roi, tu n’as parlé à personne de la dernière page ?

— Non votre majesté. Comme vous l’avez ordonné, je n'ai rien dit.

 Rassuré par la réponse de son ami, Ezéckiel recommença à descendre les marches en pierre froide.

 Arrivée à l’étage où la salle de réunion se trouvait, Ezéckiel pris une grande inspiration et se prépara intérieurement aux milliers de questions et problèmes qu’allaient provoquer le nouveau sujet de leur réunion matinale.

 Même si la frontière était plutôt calme en ce moment, il réunissait tous les matins ses plus hauts gradés et conseillers pour faire le point sur la situation. La trêve hivernale prendrait bientôt fin et il faudrait de nouveau fouler le champ de bataille. Mais cette année, cela se fera sans lui.

 La démarche assurée, Ezéckiel se dirigea droit sur la double porte de la salle du conseil. Énergiquement il ouvrit les portes et franchit le seuil. C’est avec un visage grave et concentré, et d’une voix claire qu’il annonça sa décision.

— Je retourne à la capitale pour une durée que j’ignore encore. Je partirai courant du mois, avant l’équinoxe du printemps. D’ici là, décidons ensemble de la meilleure stratégie à adopter après mon départ. Des questions ?

 En face de lui, une quinzaine de personnes le fixaient, de leurs yeux ronds remplis de stupeur à l’annonce qui venait d’être faite. À voir leur expression, aucun de ses subordonnés, présents dans la pièce, ne s’attendait à recevoir une telle nouvelle en se levant ce matin.

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