Chapitres X. Le chemin du vent. 3/3

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« Quoi que tu rêves d'entreprendre, commence-le. L'audace a du génie, du pouvoir, de la magie. » Johann Wolfgang von Goethe.

 Cela faisait déjà un mois qu’Aliénor et ses amies avaient commencé leurs recherches, dans la ville flottante. Tout comme pour le jeune Vitor, Basil apprit aux filles à se repérer et à s’orienter dans les différentes ruelles de Draluir. Il les conduisait devant une librairie ou bien une échoppe et ensuite il s’éloignait avec Vitor pour faire ce qu’ils avaient à faire. Aucun des deux ne savait lire, alors Basil mit à profit les moments disponibles pour débuter la formation de son apprenti.

 Mais les quelques rares boutiques à vendre des grimoires ne possédaient pas de volumes sur les anciennes magies liées aux portails. Et c’est dépitées que les trois jeunes femmes sortirent de la dernière échoppe que leur avait montrée Basil. Elles avaient fait le tour de toute la ville et écumaient tous les magasins et librairies de Draluir sans jamais rien trouver.

 Avec le soleil qui commençait à disparaître, il était l'heure pour elles de rejoindre leur auberge. En plein jour les rues étaient relativement sûres mais c’était une autre histoire quand la nuit venait draper les ruelles de son long manteau noir. Sur le chemin du retour, la conversation porta bien évidemment sur le programme du lendemain, mais personne n’eut d’idées intéressantes. Arrivées devant l'auberge, Aliénor et Élisa saluèrent une dernière fois leur jeune guide et son apprenti avant de rejoindre Héloïse.

 La petite rouquine, quelque peu pressée de rentrer, ouvrit brusquement la porte de l’auberge de l’Ours muet. Comme chaque jour à cette l’heure-là, la salle était déjà bien remplie, et suite à leur entrée des plus remarquées, Aliénor est ses amies étaient le centre de toutes les attentions. Sans vraiment s'en soucier, Héloïse fonça en direction du barman pour passer commandes pour leurs repas du soir.

 Faisant confiance à leur amie sur le choix de leurs plats, Aliénor et Élisa filèrent dans leur chambre. Elles eurent à peine le temps de poser leurs capes et bottes de voyages, qu’Héloïse débarqua en trombe dans la chambre. Elle claqua la porte derrière elle et s’avança dans la pièce. Avec un geste brusque, elle défit le fermoir de sa cape et la balança sur la couverture de son lit, quelques secondes après la ceinture retenant son arme rejoignit le vêtement.

— Raaaah !!! je commence à en avoir plus que marre de tous ces balourds qui veulent me mettre une main aux fesses ! hurla Héloïse. À quel moment ces porcs écœurants espèrent pouvoir faire une chose pareille. Je vous jure, les filles, le prochain qui fait ça, va avoir droit à mon point dans la figure.

— Ça Héloïse, tu l'as déjà fait. Le marchand avec sa main baladeuse se souviendra longtemps de notre visite, fit remarquer Aliénor à son amie.

— Il n’avait qu’à pas me dire qu’il adorait les rousses avec son regard lubrique braqué sur moi. J’en ai encore des frissons rien que d'y penser.

 Tout en ruminant contre la source de sa colère, Héloïse s’assit sur son lit et entreprit d’enlever ses bottes. La première s’enleva facilement, la seconde en revanche fut plus difficile, et après quelques efforts supplémentaires elle alla rejoindre l’autre sur le sol.

— Il faut que je me lave, j’ai encore la sensation de cette satanée main. J’ai vraiment besoin de la retirer avec de l’eau bien chaude et du savon. Après nous pourrions manger et par la même occasion discuter de notre programme pour demain, proposa Héloïse à ses amies.

 Avec un hochement de tête, toutes deux approuvèrent la proposition, et Héloïse fila dans la salle de bain attenante à leur chambre. À peine la porte se referma sur la jeune femme, qu’elle se réouvrit et laissa passer la tête d’Héloïse.

— Ah oui ! Avant que j'oublie Aliénor, il y a une lettre pour toi au comptoir, le tavernier a refusé que je la prenne en ton nom. Tu vas devoir descendre la chercher. Bon courage et fais gaffe au gars assis au bout du bar. Son message délivré, Héloïse ferma la porte, pour de bon cette fois.

 Dans la chambre Élisa et Aliénor étaient confuses, de qui pouvait bien être cette lettre. Personne de leur entourage ne savait où elles étaient. Aliénor s'était arrangée pour qu’aucun individu ne puisse les localiser. Et tant qu’elles ne se trouvaient pas à proximité de Jonas, il n’avait aucune chance de s’immiscer dans leurs rêves.

 Désireuse d'en connaître le contenu, Aliénor descendit au bar et demanda à récupérer son courrier. De nouveau dans leur chambre, elle rejoignit Élisa autour de la petite table située au centre. Le courir toujours dans ses mains elle le montra à son amie, et ensemble elles commencèrent à l’étudier.

 Sur le recto, en grande lettre ronde et régulière, il y avait son prénom. L’écriture était des plus banales et ne l’aida donc pas sur l’identité de l’envoyeur. Par contre le verso lui n’était pas des plus banal. Au centre du papier mystérieux, un sceau en cire vert scellait le document.

 Aliénor et Élisa se mirent à observer de plus près le symbole, et constatèrent qu’il avait la forme d’un œil grand ouvert. À leur connaissance, personne n’utilisait un cachet comme celui-ci. Alors qui pouvait bien être l’expéditeur. Connaissait-il leurs identités ? Était-ce une personne avec de bonnes ou de mauvaises intentions ? Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir.

 D’un geste déterminé, Aliénor brisa en deux le sceau et ouvrit la lettre et lut les quelques lignes inscrites.

« Bien le bonsoir mesdemoiselles,

J’ai eu vent des recherches que vous effectuez, et il se pourrait bien que je possède quelques informations à ce sujet.

Retrouvons-nous demain matin à 9h à l’auberge près de la fontaine pour en discuter.

PS : Je vous assure que ce n’est ni un piège ni une arnaque. Montrez au petit guide qui vous accompagne partout, mon sceau, et il vous le confirmera.

Sur-ce, je vous dis à demain, bonne soirée. »

 Une fois sa lecture finie, Aliénor tendit le message à Élisa pour qu’elle puisse en prendre connaissance. Quand la prêtresse eut en main le papier, une étrange vibration remonta le long de son bras, et réveilla son don. La personne qui avait écrit ce message devait, comme elle, avoir un lien avec les dieux et déesses. De ce fait, plus elle lisait les mots inscrits à l’encre noire, plus elle ressentait la vérité imprégnée dans ses lignes.

 Pour Élisa, il n’y avait aucun doute possible, elle devait se rendre au rendez-vous prévu le lendemain. Mais à la vue de l’expression méfiante d’Aliénor, il ne serait pas aussi simple pour elle de convaincre son amie de la suivre. Quand elle posa la lettre sur la table, Aliénor ne tarda pas à lui demander son avis, et comme elle le pensait, leur point de vue divergea.

— C’est clairement un piège ! s’insurgea Aliénor debout face à Élisa. Comment peux-tu croire le contraire ? Comment peux-tu faire confiance à un habitant de cette ville de bandits et de hors-la-loi.

 Cela faisait maintenant plus de dix minutes qu’elles discutaient, et la tension entre elles ne cessait d'augmenter. À son tour Élisa se leva et posa les paumes de ses mains sur le plat de la table. Et avec un ton plus calme que son amie, elle lui répondit.

— Je fais confiance à cette personne de la même manière que j’ai fait confiance à Basil et à Vitor, renchérit Élisa. Tu sais Aliénor, tous les habitants de Draluir ne sont pas mauvais.

— Tu es bien naïve de croire ça, déplora Aliénor. Je suis sûr qu’ils n’hésiteraient pas à nous trahir, si l’opportunité de gagner beaucoup d’argent s’offrait à eux. Je parie même que l’idée de cet appât vient de Basil.

— Je suis peut-être naïve, mais je préfère croire qu’il y a du bon en eux, et qu’ils ne feraient pas une chose pareille. Quant à la missive, je te rappelle qu’il ne sait ni lire ni écrire.

— Soit ! Imaginons que tu ais raison et qu’il n’a rien à voir avec cette histoire. Comment tu expliques cette coïncidence troublante. Juste au moment où on se dit qu’il n’y a plus rien à trouver, on reçoit cette invitation. C’est étrangement louche, tu ne crois pas. Alors, excuse-moi, mais je maintiens mon avis. C’est un piège !

— C’est bon les filles, j’ai fini de me laver, fit une voix joyeuse quand la porte de la salle de bain s’ouvrit. On peut aller manger.

— Et moi, je te le répète, ce n’est pas un piège ! s’emporta Élisa d’une voix vibrante de colère. Tu crois sérieusement que je t’encouragerais à te rendre dans un endroit dangereux, si je n’avais pas l’intime conviction que tu ne risquais rien.

 Héloïse sortit de la salle de bain embuée, n’en croyant pas ses oreilles. Est-ce bien Élisa qui venait de crier et qui se disputait avec Aliénor ? Il n’était pas dans les habitudes de la prêtresse de s’emporter de cette manière. C’était même bien la première fois qu’elle le faisait.

— Houlà ! Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Pourquoi tous ses cris ?

 En face d’elle ses deux amies se livraient une bataille de regards, et aucune ne voulait lâcher l'autre des yeux. À la place elles désignèrent de concert la lettre posée entre elles sur la table. Après une rapide lecture, Héloïse fixa incrédule les deux jeunes femmes.

— Je comprends pas vraiment pourquoi vous en êtes arrivé là. Mais va vraiment falloir vous calmer. Il n’y a aucune raison pour s’emporter de la sorte. Si ça continue, vous allez dire des choses que vous regretterez ensuite. J’en suis sûre.

 Peu habituée à désamorcer un conflit, la jeune guerrière chercha une solution pour apaiser les tensions. Dans sa famille, il y avait deux manières de régler les problèmes. Soit par un combat à la loyale, soit par un repas de réconciliation. Pour sa part, la deuxième solution lui plaisait beaucoup plus dans le cas présent.

 Résolue à faire cesser ce duel de regard, Héloïse contourna la table et les attrapa toutes les deux par l’épaule. Une fois qu’elle eut toute leur attention, elle emprunta la voix autoritaire de sa mère quand elle réprimandait ses frères.

— Bon, je vous propose ceci. On va toutes les trois descendre manger, et par la même occasion se détendre un peu. Si possible avec un verre ou deux. Puis on parlera tranquillement de ce papier, et j’insiste bien sur le mot tranquillement. Ça vous va ?

 Ne leur laissant même pas la possibilité de répondre, Héloïse les poussa vers la sortie sans ménagement. Le silence resta présent pendant presque toute la durée du repas. Ce n'est qu’au moment du dessert, quand Aliénor présenta ses excuses à Élisa, pour s’être emportée la première, que l’atmosphère se détendit enfin.

 De retour dans leur chambre, elles s’installèrent toutes trois autour de la petite table, prêtes à entamer le débat au sujet du rendez-vous du lendemain. Désireuse de savoir pourquoi Élisa était aussi confiante concernant la bienveillance de l’expéditeur, Héloïse ne put s’empêcher de lui poser la question.

— Je ne sais pas comment vous l’expliquer, mais mon pouvoir a réagi à la lettre. C’est comme … Comment dire… C’est comme si la déesse Coris avait béni les mots écrits dessus. Je sais pas si vous voyez ce que je veux dire, mais la personne qui nous l’a envoyée veut réellement nous aider.

 Avec ces nouvelles informations en main, la conversation se poursuit une bonne partie de la nuit. Peu de temps après que les cloches eurent sonné huit heures, elles rejoignirent les deux enfants devant la fontaine de la place principale. Quand Aliénor sortit la lettre de sa poche, et montra le sceau à Basil, celui-ci écarquilla les yeux de stupeur.

— C’est le symbole de celle qui voit tout. T’as fait comment pour recevoir ça, d’habitude faut payer très cher pour avoir une invitation de sa part.

 Celle qui voit tout, voilà donc le nom de la personne qui voulait les rencontrer.

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