Chapitre 5 : Le prix du regard
Faënor s’éveilla lentement. La chaleur du lit, la douceur des draps, la lumière dorée du matin filtrant à travers les rideaux... tout cela semblait irréel. Il avait dormi. Pas longtemps. Mais pour la première fois depuis des jours, il n’avait pas eu à fuir, à veiller, à trembler. Il s’était reposé. Un peu.
Le bois du plancher craqua sous ses pas, et il s’arrêta net. Le silence en bas, contraste brutal avec la cacophonie de la veille, rendait chaque son plus traître. Il savait qu’il ne devait pas être là. Que s’il se faisait prendre, cela pourrait mal finir.
Alors, sans bruit, il enjamba la fenêtre et, avec agilité, se laissa glisser le long du mur jusqu’à la ruelle. Aucun regard. Aucun cri. Il était dehors. En vie.
Il aurait dû reprendre la route. Quitter cette ville. Rejoindre, quelque part, ce village elfique où il espérait encore être accepté. Mais alors qu’il marchait, ses pas le menèrent malgré lui vers la ruelle. Celle du capuchon. Des bougies. De l’homme.
C’était une folie. Il le savait. Sa curiosité avait déjà détruit sa vie. Et pourtant... il ne pouvait pas s’empêcher d’y retourner.
La rue était déserte. Les bougies étaient toujours là, posées sur les marches, comme une prière oubliée.
Il posa la main sur la poignée.
Et la porte s’ouvrit.
La pièce était sombre. La lumière peinait à filtrer à travers la vitre sale. L’odeur était étrange. Ni poussière, ni renfermé. Plutôt une sorte de calme figé. Le silence des choses qui n’attendent plus rien.
Il avança. Lentement. Prudemment. La pièce était vide. Impeccable. Trop propre. Un escalier montait vers l’étage. Les marches geignaient sous ses pas, mais il ne s’arrêta pas.
En haut, un couloir étroit. Une seule porte. Il l’ouvrit.
Et là, au centre de la pièce, un cercle de bougies dessinait un pentagramme sur le sol. Une table. Un livre ouvert. Une présence absente.
Faënor sentit son cœur s’accélérer. Une peur sourde s’infiltrait sous sa peau.
Il s’approcha du livre. Reliure noire, lettres cuivrées. Il le referma pour lire le titre :
« Nécro, le fondateur ».
Il pâlit. Ce nom n’appartenait qu’aux contes noirs. Aux légendes de cauchemar. Un nom qu’on ne prononçait plus. Pas à voix haute. Pas même dans les pensées.
Un bruit, soudain, résonna en bas. Un fracas sourd.
Il tourna sur lui-même. Panique. Pas de fenêtre. Pas de cachette.
Il courut vers la porte, mais elle s’ouvrit brusquement. Une douleur fulgurante éclata sur son front. Le bois. La violence. Le noir.
Quand il ouvrit les yeux, c’était pour se découvrir allongé sur une table. Le bois froid dans son dos. Le goût du sang dans sa bouche. Et au-dessus de lui... l’homme.
Le capuchon. La barbe brune. Le regard qu’il ne distinguait pas.
Il voulut crier, mais un bâillon l’en empêchait. Il voulut fuir, mais des cordes ligotaient ses poignets, ses chevilles, son cou.
— Tu n’aurais pas dû venir ici, murmura l’homme. La curiosité... toujours elle. N’est-ce pas ce qui t’a déjà coûté ton foyer ?
Faënor tenta de se débattre. Rien. Juste le tremblement de son souffle.
La lame fut sortie sans cérémonie. Une dague, fine, aiguisée. Et elle s’enfonça dans sa chair sans trembler.
Un hurlement muet tordit son corps. La brûlure du métal. Le flot tiède de son sang. Le froid.
Il sentit la vie se retirer. Comme un filet d’eau qui s’épuise. Sa vision se troubla. Les contours du monde vacillaient.
Il pensa à Eledhwen.
Son visage. Son rire. Son souffle.
Une larme roula sur sa tempe. Non de douleur. Mais de regret. Elle avait raison. Toujours.
Et dans le dernier souffle qu’il émit, ce ne fut pas un cri. Ce fut un silence. Celui d’un cœur qui cesse de chercher des réponses.
Et tout s’éteignit.
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