XIX. Faire un choix, première partie

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 Le couloir vide résonnait sous l'écho de la semelle de Jal qui martelait le sol en marqueterie. Son propre bruit l'insupportait, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il était nerveux. Le conseil des mages au complet débattait sur son cas derrière la porte, sans parler du roi Oswald en personne. Pour l'occasion, il s'était mis sur son trente-et-un, autant que possible après plusieurs jours de voyage. Il devait cependant se retenir, sous le coup de l'appréhension, de froisser ses manchettes ou la plume de son chapeau. La curiosité essayait de le convaincre d'écouter à la porte fermée, et à vrai dire, seule la crainte de se faire prendre l'en empêchait.

 Il s'était mis à tourner en rond, après lui sembla-t-il une éternité, lorsque la porte cliqueta et s'ouvrit sur le visage fermé de la mage Isis.

  • Vous pouvez entrer, dit-elle à voix basse.

 Le messager s'éclaircit la gorge et la rejoignit. Elle s'effaça pour lui laisser voir un salon de réception dont il ignorait jusque-là l'existence, suffisamment grand pour accueillir tout le conseil, mais suffisamment luxueux et couvert de rideaux et de tentures pour donner une impression d'intimité. Jal resta debout à danser d'un pied sur l'autre, confus et ignorant comment saluer la noble assemblée. Evidemment, aucune chaise ne lui était réservée. Il se contenta d'une petite révérence pendant qu'Isis se rasseyait. D'un coup d'oeil, il repéra Liz, assise au fond, qui se contentait d'assister au débat. Elle lui adressa un sourire encourageant.

  • Messager Dernéant, commença Prune avec solennité, l'assemblée des mages vous remercie de vous êtes déplacé. Nous avons un poste à vous proposer, plus adapté à vos... spécificités. C'est le fruit d'une longue réflexion à votre sujet, qui nécessite votre accord ainsi que celui de Sa Majesté. Votre titre sera...
  • Il n'est pas nécessaire d'être aussi formel, Prune, coupa Mathurin Mirant. Je suis content de te voir, Jal.

 Prune paraissait mécontente d'avoir été interrompue, mais Mathurin s'adressait à Jal avec une familiarité chaleureuse qui le détendait un tout petit peu. Il s'autorisa un léger sourire et une inclinaison de la tête.

  • C'est réciproque, mage Mirant.
  • Je vais être concis, affirma ce dernier en joignant les mains sur la table. Nous en avons longuement discuté, comme dit Prune, et nous avons eu l'idée d'un poste qui nous permettrait de tirer parti de votre particularité. Vous resteriez messager, évidemment. Simplement un messager un peu spécial. Etant donné que vous échappez aux détections de la Chape, vous seriez un porteur idéal de missives importantes ou sensibles. Une sorte de messager diplomatique, au service des grands pouvors de la Longarde en priorité. C'est pour cette raison que votre écusson serait différent, afin que ces destinataires de prestige puissent vous identifier.

 Jal essayait d'assimiler tous ces éléments. Un messager diplomatique ? A première vue, c'était une occasion en or. Il pourrait se rendre dans tous les royaumes et au-delà de la Longarde, en pays Lor, dans le désert Qadi, à Scarambe. Il serait reçu dans tous les palais et chargé de lettres d'une importance capitale. C'était un peu trop beau pour être vrai. Il devait y avoir des conditions. D'ailleurs, il lui avait toujours semblé que les messagers devaient être au service du peuple.

  • Quelles sont les contreparties ? demanda le jeune homme par prudence.

 Mathurin Mirant échangea un regard avec le mage Isaac, sec et osseux, qui se leva et toussa dans son poing avant d'articuler :

  • Nous n'exigeons pas de contrepartie de vous, hormis l'exigence de vous mettre à disposition des rois et reines de Longarde dès que possible. En revanche, vous devez savoir que vous devrez garder cette charge absolument secrète, sous peine de prendre d'énormes risques. A l'instant où la Chape le saura, vous serez poursuivi et traqué par tous les moyens.

 Jal déglutit. Il ne se débarrasserait donc jamais de ce danger planant sur sa tête ?...

  • Nous avions songé à vous adjoindre un mage pour vous défendre, intervint Isis, mais cela réduirait à néant votre avantage et lui ferait courir de grands risques.
  • Le roi attend votre réponse pour vous donner votre première mission. Si vous refusez, personne ne sera mis au courant pour votre magie et vous recevrez un écusson comme les autres, acheva Isaac.

 Le messager baissa les yeux. C'était tentant. Mais au nom de quoi serait-il un messager différent des autres ? Au nom de quoi se mettrait-il au service des puissants avant le peuple ? Au nom de quoi devrait-il courir autant de risques ? D'un autre côté, n'était-il pas lâche de se cacher dans la masse alors qu'il pourrait rendre des services importants à la Longarde ?

  • J'ai combien de temps pour décider ? souffla-t-il, indécis.

 Les mages s'entreregardèrent.

  • Le roi vous attend.

 Le Ranedaminien sentit sa gorge se nouer et sa nervosité grimper encore d'un cran. Là, tout de suite ?

On ne peut pas prendre une décision sensée à la fois décisive, définitive et instantanée, disait souvent sa mère lorsqu'il était impulsif. Il allait falloir. Il allait falloir. Et cela lui faisait mal au coeur, mais une seule décision sensée lui apparaissait.

  • Je refuse.

 Liz avait écarquillé les yeux et les mages ne réagirent pas tout de suite.

— Je refuse de prendre autant de risques et de cacher mon rôle à mes proches, je refuse de me mettre seulement au service des rois. Je suis un messager comme les autres.

  Avec un pincement au coeur, il détacha l'écusson de son torse et le posa d'un geste sec sur la table ; le claquement retentit devant l'assemblée stupéfaite. Il avait en mémoire Blanche, Louison et Audric ; il avait en mémoire la famille d'Ode et la petite Arlye. C'était pour eux qu'il voulait être messager. Il avait déjà trop eu affaire à la Chape, hors de question de lui donner une raison de plus de le poursuivre.

  • Ce fut Flinalivel, la mage elfe, la première à réagir. Avec un petit sourire satisfait, comme si elle s'attendait à cette réaction, elle se leva et fit quelques pas jusqu'à une console qu'elle ouvrit. Jal vit un instant luire des rangées d'écussons de messager, tous flambants neufs et du gris acier des insignes communes.

 Ce fut Flinalivel, la mage elfe, la première à réagir. Avec un petit sourire satisfait, comme si elle s'attendait à cette réaction, elle se leva et fit quelques pas jusqu'à une console qu'elle ouvrit. Jal vit un instant luire des rangées d'écussons de messager, tous flambants neufs et du gris acier des insignes communes.

— Allez avertir sa Majesté qu'il n'est plus nécessaire qu'elle attende, ajouta Flinalivel à l'adresse d'Arabelle.

 Mathurin se leva avec un soupir ; Jal le trouva plus encore vieux et fatigué que lorsqu'il était parti de Lonn.

— Vous pouvez disposer, messager Dernéant.

 Le jeune homme accorda un regard à chacun des mages, s'inclina et quitta la salle.

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