XX. La dure vie de messager

8 minutes de lecture

 Liz était partie étudier avant qu'il ne soit levé. Il trouva seulement un petit message griffoné sur le bureau.

J'ai pas voulu te réveiller, pauvre vieux, mais j'étais obligée de partir au palais. Si tu comptes vraiment partir aujourd'hui et qu'on se reverra pas, bonne route... Fais gaffe à toi. Laisse-moi un mot qui dit où tu vas, au moins.

Mais si t'es gentil, attends que je sois rentrée ! Je reviens au coucher du soleil. Il y a des galettes et du fromage dans le buffet.

 Bisous ! Liz.

 Jal sourit à demi. Il avait bien le temps de faire ses adieux à sa cousine avant de repartir, rien d'urgent ne l'appelait. Il lui restait donc une journée seul dans la ville de Lonn à tuer. Et sa curiosité lui indiqua tout de suite un chemin à suivre : se débrouiller pour savoir où en était l'enquête sur l'assassinat des mages. Il doutait qu'Hendiad Londren accepte de lui répondre, mais le second Mordab serait peut-être dans de meilleures dispositions à son égard.

 Il put entrer dans la caserne sans être arrêté, à sa grande surprise, et trouva le soldat dans la salle d'escrime où elle s'entraînait seule, les yeux fermés. Elle ne portait plus le splendide uniforme jaune et noir de la garde royale, mais une simple tunique de toile comme ceux des écuyers de familles nobles. Jal n'osa pas l'interrompre, mais resta immobile dans un coin de la pièce à observer ses gestes précis. Il commençait à laisser courir son regard sur les râteliers d'armes en pensant à autre chose lorsque la voix profonde d'Olympe le fit sursauter.

  • Que faites-vous là ?

 Elle avait ouvert les yeux et s'était figée en plein mouvement de combat.

  • Je venais vous voir, affirma le messager avec autant d'aplomb que possible.

 Visiblement, cela suffit à la convaincre de l'écouter, car elle reposa ses deux pieds au sol et lâcha son arme.

  • Je voudrais savoir si vous avez capturé l'assassin des mages. Ma cousine est leur apprentie maintenant, et je ne veux pas qu'il lui arrive malheur.
  • L'avancement de l'enquête est confidentiel.

 Il savait pertinemment qu'elle répondrait cela, machinalement.

  • Je le sais, Olympe. Je veux juste savoir si elle craint quelque chose ou pas.

Mais s'il y avait moyen d'en savoir un peu plus...

  • La garde met tout en oeuvre pour qu'il n'y ait plus de risques.

 Pourquoi lui répétait-elle ces phrases stéréotypées ? Ca n'aurait pas été difficile de lui dire oui ou non, et cela ne trahissait pas le secret militaire, si ?

 Il percuta lorsqu'il s'aperçut qu'elle ne se changeait pas, et que son uniforme noir et or n'était même pas dans la pièce.

  • Vous n'êtes plus le second du capitaine Londren, c'est cela ?...
  • J'ai été rétrogradée.

 La tension des muscles de son cou suffit amplement à Jal pour deviner sa frustration. Il n'aurait pas dû oublier la fureur de Londren lorsque les bandits s'étaient évadés par sa faute ; il avait cru un instant qu'il allait la tuer. Rien d'aussi extrême, mais si elle ne portait plus d'uniforme, cela signifiait qu'elle était retombée au grade de nouvelle recrue. Quelle humiliation.

  • Olympe, je suis désolée...

 Il ne pouvait pas l'appeler second Mordab, ni décemment l'appeler soldat... Son prénom lui paraissait moins la risquée des options.

  • En tout cas, je ne peux rien vous dire sur l'enquête. Si je fais le moindre écart, il me jettera dehors. Vous ne pouvez pas me demander ça.

 Jal poussa un juron. Son inquiétude pour Liz et sa curiosité étaient réelles, mais Olympe ne lâcherait rien et de toute façon, il n'avait pas l'intention de lui créer des ennuis. Il réfléchit quelques secondes en se mordant la lèvre.

  • Alors, est-ce que je peux compter sur vous pour me prévenir s'il lui arrive quelque chose ou si elle est en danger ?
  • Bien sûr. L'enquête avance, ne vous en faites pas.
  • Merci...

 Morose malgré tout, il retourna rue des Barques en échafaudant des hypothèses absurdes avec le peu d'éléments dont il disposait. Perdu dans ses pensées, il ne s'aperçut que devant le seuil de la porte qu'une silhouette vêtue de blanc l'y attendait.

  • Mage Isaac. En voilà une surprise.

 L'homme sec ne parut pas se formaliser du salut assez frais de Jal. Il le scruta sous ses sourcils arqués, les mains sans cesse en mouvement.

  • Messager Dernéant. Je sais que vous avez refusé hier de prendre le rôle de messager diplomatique...

 Alors que le jeune seigneur s'apprêtait à protester, le mage effaça son début de phrase d'un geste de la main.

  • Je ne cherche pas à vous convaincre. Mais j'aimerais faire appel à vous pour un message... personnel.
  • Eh bien, je suis un messager au service de Lonn, répondit Jal, un peu désorienté. Où est-il adressé ?
  • Professeur Alay. A l'académie de magie de Thealnar. Et j'aimerais que vous gardiez secrète cette destination, ainsi que mon identité. Cela vous semble-t-il dans vos cordes ?
  • Bien sûr. Est-ce que le message est urgent ?

 Le mage passait sans cesse la main sur son crâne dégarni, nerveusement.

  • Non, mais il serait bon qu'il arrive avant Dixi.
  • Et à qui devrais-je l'adresser si le destinataire manque ?
  • Rapportez-le moi.

 Jal écarquilla les yeux. Ce devait être un secret très bien gardé. Il hocha la tête.

  • Je m'en charge.
  • Bien.

 Isaac lui tendit non un rouleau, mais un étui complet en cuir, de la taille d'un livre, regroupant plusieurs documents et scellé par une lanière savamment nouée et cachetée à la cire. Le jeune homme le soupesa et tenta de lui trouver une place dans son sac.

  • Merci pour votre aide, messager, conclut le mage qui s'éloignait déjà.

Une mission de plus pour Jal Dernéant ! songea le jeune homme tout content de lui en rentrant chez Liz.

 Il passa le reste de la journée à rédiger une lettre pour Lidwine, hésitant, reprenant sans cesse la phrase à peine écrite, puis barrant le brouillon entier pour recommencer. Comment s'adresser à elle sans paraître trop pressant ni distant, sans présumer trop du baiser qu'ils avaient échangé, mais sans faire comme s'il n'existait pas ? L'équilibre était délicat à trouver. Il aurait aimé demander son avis à Liz, mais il répugnait à lui laisser lire sa prose un peu honteuse et à l'entendre se moquer. Il finit par s'en tenir à un message sobre, peut-être un peu froid, mais qui avait l'avantage de ne pas le faire passer pour un gamin énamouré ni un canamellin en chaleur. Cela ferait l'affaire.

 Pour se rendre à Thealnar, en plein milieu de la Vorodie, deux semaines devraient lui suffire par des routes larges et faciles. Il n'y aurait qu'à traverser le Rivent et longer la rive septentrionale du lac Tourmente. Il pouvait partir le lendemain et le message serait livré avant le 1er Dixi. Une mission aussi simple à remplir lui ferait du bien, après le fiasco de Kimkaf. Il passa donc le reste de la journée avec cette impression étrange et délicieuse de n'avoir rien de particulier à faire, et aucun danger immédiat qui ne le poursuivait. Il se promena dans les jardins de la ville, assista à un spectacle de saltimbanques, acheta quelques en-cas chauds à un stand de rue et plaisanta quelques temps avec une jolie vendeuse de rubans.

 Il faisait déjà nuit lorsqu'il rentra chez Liz sous quelques flocons et un vent paresseux. Elle l'attendait devant sa porte, encore emmitouflée dans sa cape de laine et son manchon à mains.

  • Tu es toujours là, finalement ! J'avais fait un pari avec moi-même, du coup, j'ai gagné !
  • Bien sûr que j'allais rester.

 Elle le laissa entrer le premier et se débarrassa de ses vêtements chauds, laissant voir sa robe de disciple, et se jeta sur son lit. Jal lui tendit la lettre qu'il venait d'écrire et elle se releva, les yeux soupçonneux.

  • C'est quoi ?
  • Est-ce que je peux te demander de l'envoyer à Lidwine dès que tu trouve un messager ?
  • Pourquoi tu ne vas pas lui apporter toi-même ? taquina sa cousine.

 Jal espéra qu'il ne rougissait pas, tout en sachant que c'était peine perdue. Mais il y avait une autre raison.

  • Parce que j'ai une nouvelle mission.
  • Tu repars ? Où ça ?
  • Je ne peux pas te le dire, princesse. Mais vers le Nord, en tout cas. Quelque part en Vorodie.
  • Si tu passes près de Thermissil, passe le bonjour à papa et maman. Tu seras toujours le bienvenu là-bas.

 Liz n'avait pas tort, cela faisait bien des années que Jal n'avait pas vu la forteresse de Thermissil, ni Olivia et Benjamin Bertili.

  • Tu veux que je leur porte une lettre ?
  • Ce n'est pas nécessaire, grommela l'adolescente qui parut soudain gênée. Il n'y a rien à leur raconter.

 Jal comprit après quelques secondes et écarquilla les yeux.

  • Tu veux dire qu'ils ne sont pas au courant pour l'académie ?

 Elle ne répondit pas, mais ses yeux étaient embués et elle lui tourna le dos.

  • Liz !
  • Oui, je sais ! hurla soudain la magicienne. Je devrais leur dire, et je devrais laisser papa-maman me rappeler là-bas, me faire quitter Lonn et toute ma vie ici, pour m'enfermer dans leur château parce que je suis dangereuse ! C'est hors de question ! J'ai un mage qui m'apprend, ici, et j'ai Lén..

 Elle s'interrompit mais Jal connaissait la fin de sa phrase.

  • Lénaïc.
  • Je ne veux pas y retourner, conclut Liz d'une voix plus faible.

 Le messager s'assit à côté d'elle sur le lit.

  • Ils ne te demanderont pas de rentrer, voyons. Tu as un maître et s'ils le savent, ils préféreront te savoir entre de bonnes mains, non ? De toute façon, ils ne te feront pas rentrer de force !
  • Tu ne connais pas ma mère. J'ai été virée de l'académie, Jal ! Si j'étais encore là-bas, je n'aurai plus le droit de sortir de ma chambre pendant un an ou deux.

 Un silence suivit et le jeune homme finit par admettre à mi-voix :

  • Bon, je ne leur dirai rien.

 Elle lui sauta au cou aussitôt.

  • T'es mon cousin préféré du monde !

 Ce qui n'était pas très difficile ; Olivia n'avait pas d'autre soeur que Marianna Dernéant et elle n'avait eu qu'un fils.

  • Toi aussi, t'es ma cousine préférée.
  • Tu sais quoi ? Pour te remercier, on va manger en ville ! Et c'est moi qui paie !

 Après une soirée sonore, joyeuse et un peu arrosée, Jal ramena rue des Barques une Liz qui dormait à demi sur son épaule. Il dut presque la soulever pour la poser dans son lit. Lui-même se contenta de nouveau du fauteuil, sa cape sur les genoux.

La dure vie de messager, songea-t-il ironiquement en essayait de s'endormir.


 Il partir le lendemain matin, dans le gris froid de l'aube, faisant des adieux à Liz ensommeillée avant de disparaître dans les rues encore presque désertes de la capitale. il retrouva Phakt à la pension, qui parut ravi de le revoir, mais beaucoup moins de devoir repartir poser ses coussinets sur le sol gelé. Lonn était déjà à l'horizon lorsque le soleil fit fondre le givre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aramandra ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0