Chapitre 2 : La sorcière de l'Infinie, Partie 2

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Tout en suivant la musique au pas de course, j’ai dû traverser une bonne dizaine de couloirs et de petits salons différents. Ce château était tout bonnement immense ! Mais la mélodie se faisait de plus en plus forte… J’approchais de mon but.

Le couloir devant moi finit par s’achever devant une grande arche donnant sur un impressionnant atrium rectangulaire, dont l’espace central était occupé par un bassin d’eau claire. M’avançant lentement entre les colonnades qui entouraient le plan d’eau, j’ai tourné la tête vers le fond de la salle, laquelle s’ouvrait sur une grande terrasse couverte en demi-cercle qui dominait le lac. Là-bas était installé un grand piano blanc et doré. Et assis sur un banc de la même couleur, se trouvait la musicienne qui le faisait vibrer au rythme de sa mélodie. Mon cœur s’emballa immédiatement.

C’était la femme que j’avais vue avant de mourir.

Elle était aussi belle que dans mes souvenirs. Les yeux fermés et se balançant au rythme de ses mains qui glissaient sur le clavier, elle semblait s’abandonner complètement à la mélodie. Je me suis approché doucement, à la fois méfiant et subjugué par sa musique. J’hésitais à manifester ma présence, car j’étais avide de réponses, mais d’un autre côté c’était très impoli d’interrompre un musicien à l’œuvre, et je devais avouer que je ne me lassais pas de l’entendre jouer…

C’est alors que la femme ouvrit les yeux et posa son regard étoilé sur moi. Subjugué, je me suis figé en l’espace d’une demi-seconde, mais la musicienne ne parut pas s’en rendre compte. Un sourire ravi étira ses lèvres, tandis que ses doigts cessaient de parcourir le clavier du piano.

  • Bonjour Morgan, m’accueillit-elle en m’envisageant de la tête aux pieds d’un air à la fois soulagé et satisfait. Je suis ravie de voir que tu es déjà debout ! A vrai dire, je ne pensais pas que tu te réveillerais aussitôt, vu ce que…

Une ombre voilât son regard quand ses yeux passèrent sur ma poitrine (contre laquelle j’ai tout de même pudiquement croisé les bras), et sa voix s’interrompit un instant avant de reprendre avec un entrain un peu plus forcé :

  • Enfin, je suis en tout cas soulagée que tu sois à nouveau sur pied ! Comment te sens-tu ?

La question, posée avec beaucoup de sollicitude, me prit de court.

  • Plutôt… bien, ai-je réussi à articuler d’une voix intimidée, avant de me reprendre pour lancer d’un ton plus ferme. A part le fait, bien sûr, que je me suis réveillé dans le corps d’une femme que je ne connais pas !
  • Oh, ça… laissa tomber la musicienne en retenant un léger sourire. C’est hum… As-tu faim, Morgan ?
  • Vous savez ce qui m’est arrivé, ai-je aussitôt répliqué en ignorant sa question. Vous… Que s’est-il passé ? Pourquoi me suis-je réveillé dans le corps d’une femme ? Est-ce que c’est un genre de… magie vaudou ou de… transplantation cérébrale ? Êtes-vous… êtes-vous une alien ?

Je savais bien sûr que ce que je racontais n’avait aucun sens… mais pour être honnête, ma situation actuelle n’en avait pas non plus. A ce stade, j’étais prêt à envisager la moindre hypothèse pour expliquer ce qui m’étais arrivé…

  • Doucement, Morgan, m’arrêta calmement mon interlocutrice en se levant pour passer devant moi, puis s’installer près d’une table rectangulaire non loin sur laquelle était dressée une impressionnante collation. Tu viens de subir une épreuve extrêmement difficile. Ton esprit est encore très fragile… alors laisse-lui le temps de s’adapter, d’accord ? Je te dirai tout ce que tu veux savoir mais pour l’instant, j’aimerais que tu partages un thé avec moi. Je suis certaine que tu meurs de faim… et ces viennoiseries ne vont pas se manger toutes seules.

J’allais lui rétorquer que je n’avais absolument pas faim, mais à la vue des croissants, pains au chocolat et autres petits gâteaux qui garnissaient la table, mon estomac s’est mis à pousser un rugissement de bête féroce en me labourant les entrailles. Le petit sourire de mon interlocutrice me fit comprendre que cette plainte avait été parfaitement audible.

Rougissant, j’ai hoché sèchement la tête et je me suis assis en face de la jeune femme, en essayant tant bien que mal de faire abstraction de sa beauté captivante.

  • Je t’en prie, sers-toi, m’invita mon hôtesse.

J’ai baissé les yeux pour m’apercevoir qu’une assiette dorée venait d’apparaître devant moi (j’aurais juré qu’elle n’était pas là deux secondes plus tôt). Avec méfiance tout d’abord, puis avec avidité suite à une nouvelle plainte de mon estomac, je me suis emparé d’un croissant et d’un pain au chocolat. J’ai alors mordu dans ce dernier avec avidité.

Il était délicieusement chaud et fondant, un véritable régal. J’ai fermé les yeux de satisfaction, m’apercevant pour la première fois à quel point j’étais affamé.

  • Veux-tu du thé ? me demanda alors mon hôtesse.

J’ai hoché la tête après un temps d’hésitation, me rendant compte que j’avais également la gorge sèche, maintenant que j’avais enfin quelque chose dans l’estomac. J’ai soudain senti quelque chose dans ma main gauche, et je me suis aperçu que je tenais à présent une tasse de porcelaine remplie d’un liquide sombre. J’ai cligné des yeux, stupéfait. Est-ce que mon imagination me jouait encore des tours ?

J’ai humé le liquide. C’était un thé au jasmin, l’un de mes parfums préférés. J’ai avalé une gorgée prudente… et je ne suis pas tombé raide mort. C’était déjà ça !

  • Voilà qui est mieux, apprécia la jeune femme qui porta à son tour sa tasse à ses lèvres. Ton appétit me ravit.
  • Ce qui me ravirait pour ma part, ce sont ces fameuses réponses que vous m’avez promises, ai-je marmonné en avalant ma dernière bouchée de viennoiserie. Pourquoi est-ce que je suis dans le corps d’une f…
  • Je pense que tu ferais mieux de commencer par une question un peu moins… dangereuse.
  • Vous avez peur de me répondre ? l’ai-je attaqué en plissant les yeux.
  • J’ai plutôt peur de ta réaction face à mes réponses, en fait. Trop en apprendre d’un seul coup pourrait te… fragiliser.
  • Je crois que vous me sous-estimez. Je ne suis pas fait en verre.
  • Tu sais, je préférerais qu’on se tutoie, me dit gentiment la jeune femme avec un sourire engageant. Après tout, tu es mon invité, et je veux que tu te sentes à l’aise en ma compagnie.

Requête étrange, qui me surprit quelque peu sachant que je venais à peine de la rencontrer. Mais mon hôtesse semblait y tenir, et comme je désirais obtenir des réponses de sa part, j’ai décidé de jouer le jeu :

  • Très bien, alors je vais suivre ton conseil. Commençons par quelque chose de simple, dans ce cas : quel est ton nom ?
  • Gwenaëlle.

Ce mot m’arracha un frisson surnaturel, comme si sa voix avait caressé mon cœur en passant à travers ma chair. Mes doigts se serrèrent instinctivement autour de ma tasse. Gwenaëlle… ce nom résonnait en moi, comme s’il ne m’était pas étranger.

Faisant de mon mieux pour garder mon calme, j’ai continué d’un ton que je voulais neutre :

  • D’accord, on progresse. Deuxième question : j’ai croisé un nain armé d’une lance tout à l’heure…
  • Tu veux dire, un nain portant un balai ?
  • Non, c’était clairement… Laisse tomber. Le nain a mentionné que je me trouvais au château de Gawain.
  • C’est exact. Ce château m’appartient, ainsi que toutes les terres qui l’entourent.

J’ai dégluti avec difficulté, avant d’ajouter dans un souffle :

  • Il a ajouté que cet endroit… était le château de la Sorcière.

Deux secondes de silence suivirent, pendant lequel j’ai soutenu le regard de mon interlocutrice. Puis :

  • C’est encore une fois exact, admit Gwenaëlle avec un bref sourire. Je suis bien sûr la sorcière en question.

J’ai éclaté d’un rire qui frisait l’hystérie.

  • C’est un drôle de titre, ai-je lancé, oscillant entre ironie, incrédulité et une pointe de peur. Qui voudrait se voir associé à des sorcières ?
  • Mais c’est pourtant ce que je suis.

Elle avait l’air on ne peut plus sérieuse. Inspirant profondément, je me suis forcé à esquisser un sourire bienveillant, celui qu’on prend lorsqu’on s’adresse à un enfant qui croit toujours au Père Noël.

  • Les sorcières n’existent pas, lui ai-je déclaré sur le ton de l’évidence.
  • Je crois pourtant que je suis on ne peut plus réelle, non ? répondit Gwenaëlle en haussant les sourcils avec étonnement.
  • Ce n’est pas ce que… Bon, d’accord ! Admettons que tu es une « sorcière ». Mais tu sais ce que signifie ce terme, n’est-ce pas ?
  • Bien sûr. Les sorcières sont de puissantes magiciennes immortelles qui commandent aux éléments et aux lois de la nature. Elles défient la réalité et façonnent le monde selon leur bon vouloir.
  • Maintenant, tu vas me dire que la magie existe ? ai-je grommelé.

Un étrange sourire étira les lèvres de Gwenaëlle.

  • Nous y voilà, laissa-t-elle tomber avec une pointe d’ironie.
  • Comment ça, « nous y voilà » ?
  • Le moment où ton monde va basculer, Morgan. Tu refuses de croire en l’existence de la magie ou des sorcières, et je vais devoir te prouver le contraire.
  • Tu ne peux pas me prouver le contraire, répliquai-je aussitôt avant d’ajouter mécaniquement. La magie n’existe pas.
  • Vraiment ? fit mine de s’étonner Gwenaëlle. Moi je crois pourtant que tu le sais déjà, mais que tu refuses de voir la réalité en face… Ce qui est compréhensible, vu ce qui t’est arrivé.
  • Je ne refuse pas de voir la…

Ma phrase s’est éteinte d’elle-même au fond de ma gorge, quand j’ai réalisé que peut-être je refusais effectivement de voir la réalité en face… parce que j’avais peur d’entrouvrir à nouveau cette porte ; celle de la magie et autres fantaisies, que j’avais résolument fermée une fois mes dix ans passés. Je craignais ce que cette nouvelle réalité, qui risquait de bouleverser toutes mes certitudes, impliquerait pour mon… état actuel.

  • Alors… prouve-le moi, ai-je soufflé d’une voix blanche.

Le sourire de Gwenaëlle s’agrandit, comme si c’était exactement ce qu’elle attendait. Elle tendit alors sa paume et y fit apparaître une boule de feu doré. J’ai instinctivement bondit de ma chaise. Les flammes se mirent à danser pour se transformer en mini-dragon qui s’agita dans la main de sa maîtresse, avant de grimper sur son bras pour se lover avec amour le long de son cou.

  • Ce tour-là, c’est un grand classique, m’indiqua Gwenaëlle. Parfait pour émerveiller les foules.
  • Ça pourrait très bien être une illusion.
  • Très bien, Monsieur le sceptique…

D’un claquement de doigts, Gwenaëlle fit disparaître toute la vaisselle sur la table et le dragon de feu. Puis elle éleva la main, et c’est cette fois-ci toute l’eau du bassin qui s’éleva en tornade avant de se transformer en une kyrielle de dauphins entièrement composés d’eau. Ces derniers se mirent à nager à travers la salle, comme si l’air était leur élément naturel. Cependant bien que j’étais émerveillé par ce ballet aérien, j’ai tout de même lancé d’un ton méfiant :

  • Ça peut toujours être une illu…

SPLASH !

L’un des dauphins venait de foncer sur moi en m’explosant dessus, me trempant des pieds à la tête. Je suis resté ainsi, ébahi, dégoulinant d’eau, tandis que le rire cristallin de Gwenaëlle résonnait dans la salle.

  • Si tu voyais ta tête ! s’exclama-t-elle, hilare, avant de redevenir sérieuse lorsque j’ai tourné mon regard furieux dans sa direction. D’accord, désolé, je t’arrange ça tout de suite.

Mes vêtements, ma peau et mes cheveux séchèrent aussitôt, comme si tout cela n’avait été qu’un rêve. Puis un à un, les dauphins se fondirent à nouveau dans l’eau du bassin qui regagna sa tranquillité.

  • Alors, Morgan ? me demanda la sorcière en s’approchant de moi. Convaincu ?
  • Je pourrais aussi être en train d’imaginer tout ça, ai-je rétorqué, bien que je sentisse ma résistance vaciller.

Un éclat de défi apparut dans les yeux de mon interlocutrice.

  • Dans ce cas, à moi de te prouver que tout cela est bien réel ! déclara-t-elle.

Vive comme l’éclair, sa main agrippa mon poignet, et avec une force surprenante m’attira dans ses bras. Stupéfait par son audace, je n’ai pas eu le temps de réagir. Un instant plus tard, la salle disparut sous mes yeux, et nous nous retrouvâmes au beau milieu du ciel.




A suivre...

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