Chapitre 4 : Dîner aux chandelles, Partie 2

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A la vue de cette inscription, je n’ai pu m’empêcher de crisper les poings de colère. C’était risible, mais j’avais tellement subis d’épreuves depuis que j’étais ici que mes nerfs à cran étaient déjà sur le point de lâcher. Alors quand j’ai vu « Morgane »… Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

  • Il y a une erreur, ai-je lâché d’un ton cassant.
  • Une erreur, trésor ? s’enquit Marga, sourcil levé.
  • Il n’y a pas de « e » à Morgan. Et je ne mettrais pas cette robe…
  • Pourquoi ?
  • Parce que je suis UN HOMME !

Je m’étais levé d’un bond pour crier ces derniers mots à la face de mon interlocutrice, stupéfaite face à la violence de ma réaction. Après quelques secondes de silence, la servante finit par prendre le couvercle du paquet pour ranger délicatement la robe dedans.

  • Très bien, trésor, me dit-elle en m’adressant un sourire contrit. Je suis désolée d’avoir écorché votre nom. J’aurais dû m’assurer auprès de la maîtresse que… Enfin ne vous en faites pas, je vais arranger ça. Et je vais retailler la robe pour vous faire quelque chose de plus adapté. Une tunique, cela vous irait ?
  • Euh… oui, ai-je répondu, embarrassé par mon éclat de colère que rendait encore plus ridicule la gentillesse de la servante. Oui, ce serait très bien. J’aime beaucoup les motifs, c’est juste que…
  • Pas de problème, trésor : le tissage, c’est ma spécialité ! Et si vous alliez faire un tour dans la salle de bain ? Je vais vous faire couler un bain moussant pour vous détendre. Ensuite, on s’attaquera à cette chevelure rebelle !

***


Un claquement de doigts.

C’est le temps qu’il fallut à Marga pour me faire couler un bain moussant délicieusement chaud. Puis, elle me laissa seul dans la salle de bain attenante à ma chambre en me disant de prendre mon temps pour me détendre.

Je me suis déshabillé en évitant soigneusement de me regarder dans les miroirs dans la pièce. Même si je ne pouvais manquer de distinguer les « formes » de ce corps si peu familier en bougeant… j’étais toujours effrayé à l’idée de le regarder ainsi à découvert. En essayant de l’ignorer, je pouvais encore faire semblant de croire que rien n’avait changé.

Que j’étais toujours Morgan sans « e ».

Prenant une inspiration, j’ai plongé la tête sous l’eau pour. Honnêtement, ce bain me fit le plus grand bien. Pendant une bonne demi-heure, j’ai pu fermer les yeux et me laisser bercer par la chaleur de l’eau et la douceur de la mousse. J’en aurais presque (presque, oui) oublié que j’étais captif d’une sorcière maléfique qui m’avait changé en femme.

On frappa soudain à la porte.

  • Tout va pour le mieux, trésor ? s’enquit Marga à travers la porte. J’ai fini de retoucher votre tenue. Je pense qu’elle vous ira à ravir ! Sortez quand vous vous sentez prêt.

J’avais bien envie de rester encore un peu dans l’eau, mais Marga avait été si gentille avec moi malgré ma grossièreté que je me sentais coupable de la faire attendre… Je suis donc sorti sans tarder en enroulant la serviette autour de mon corps.

Dès que je suis revenu dans la chambre, Marga se tourna vers moi en brandissant son nouveau chef d’œuvre :

  • Et voilà le travail !

Elle tenait entre ses mains une tunique magnifique, qui arborait les mêmes motifs que la robe précédente : les flammes dorées et le dragon, le tissage fin et délicat… tout cela était resté. En revanche, elle était plus courte et arborait désormais des manches décorée de fils d’or, avec des boutons de manchettes qui ressemblaient à des têtes de dragons miniatures. Une imposante ceinture de cuir avec une boucle formant une croix celte, ainsi qu’un pantalon brun-rouge et des bottes du même ton venaient compléter l’ensemble.

C’était très certainement démodé depuis quelques siècles, et pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher de rester bouche bée devant la magnificence de la tenue. A mon avis, bien des seigneurs d’autrefois m’auraient envié une telle parure.

  • Alors, qu’en dites-vous, trésor ? me demanda Marga en arquant un sourcil soucieux. Cela vous plait ?
  • C’est… superbe, ai-je fini par lâcher.

Marga esquissa un sourire ravi.

  • Parfait ! Alors il ne nous reste plus qu’à vous coiffer et à vous habiller. Je devrais avoir juste le temps de vous apprêter pour le dîner… Allons trésor, ne restez pas planté là ! Asseyez-vous !

J’ai docilement obtempéré. Marga dégaina son hachoir, qui se transforma en peigne sous mes yeux ébahis. La servante se mit alors à peigner gentiment mes cheveux en fredonnant un air guilleret.

« Il faut vraiment que je m’habitue à toute cette magie… » ai-je grommelé en me reconcentrant sur le miroir.

Marga tressa ensuite mes longs cheveux et les ramena derrière ma nuque, dégageant mon front. Cela me détendit. Jusqu’à présent, ces longs cheveux blonds n’avait cessé de retomber devant mes yeux, et je devais en permanence les ramener en arrière. J’avais généralement les cheveux assez long pour un homme… mais pas au point qu’ils me bloque la vue !

  • Vous êtes absolument ravissante… je veux dire : charmant ! se reprit Marga avec un petit sourire attendri. Qu’en pensez-vous, trésor ?

J’ai soutenu le regard du reflet féminin que me renvoyait le miroir. C’était une femme splendide… mais je n’arrivais pas à croire que ce visage était le mien. Détournant le regard en sentant un frisson d’angoisse m’envahir, j’ai murmuré faiblement :

  • C’est très bien.

Marga parut s’apercevoir de mon trouble, car elle tapa immédiatement dans ses mains pour détourner mon attention.

  • Bien ! Je crois que vous êtes prêt pour diner avec la maîtresse.
  • Allons-y, me suis-je résigné en me levant avec un soupir vaincu.
  • Un instant !

Marga s’approcha de moi m’effleura délicatement les joues pour dessiner un sourire sur mon visage.

  • Voilà, c’est bien mieux avec un joli sourire, m’assura la servante naine avec un air amusé. Allez, je ne vous retiens pas plus longtemps. La maîtresse a sûrement hâte de vous revoir.
  • Vous… Vous ne m’accompagnez pas ? ai-je réagi avec inquiétude. Je n’arriverais jamais à m’y retrouver tout seul, ici !
  • Oh, mais qui parle de marcher, trésor ?

Marga dégaina une nouvelle fois son hachoir et l’agita dans ma direction. Un cercle de lumière doré se dessina tout autour de moi, brillant de plus en plus fort jusqu’à ce que l’éclat aveuglant ne me force à fermer les yeux.

Quand je les ai rouvert, j’étais de retour dans la grande salle du château qui s’ouvrait sur la rotonde donnant sur le lac. J’ai regardé autour de moi, un peu moins choqué que la première fois. A ce stade, la magie était toujours aussi spectaculaire, mais je commençais graduellement à m’y habituer.

  • Wow…

Un frisson parcourut ma nuque. Faisant volte-face, je me suis retrouvé face à Gwenaëlle, vêtue d’une magnifique robe émeraude. Elle me regardait avec émerveillement, ses yeux me détaillant sans la moindre gêne avec une insistance qui commençait à devenir gênante…

  • Quoi ? lui ai-je lancé d’un ton belliqueux en serrant croisant les bras pour me couvrir de son regard.
  • Tu es… tu es magnifique, Morgan, finit-elle par dire en se ressaisissant, avant de détailler ma tenue. Je vois que tu as reçu… le vêtement que je t’ai offert.
  • Ah bon, il était pour moi ? ai-je ironisé. C’est bizarre, il ressemblait étrangement à une robe au départ.
  • Eh bien… Vu ton apparence, j’ai pensé que…
  • Tu as pensé que je n’étais plus un homme ? Que tu pouvais m’habiller comme une poupée ? Comme si j’étais ta chose ?

Le sourire de Gwenaëlle se figea. Pendant un instant, elle resta sans voix, avec un air blessé qui me fit ressentir une pointe de culpabilité. Mais j’ai détourné le regard pour m’intéresser obstinément au bassin de nénuphars en plein milieu de la salle. La sorcière de Gawain avait beau se montrer charmante, je ne devais pas oublier que j’étais son prisonnier. Hors de question de me laisser attendrir.

Gwenaëlle finit par claquer des doigts, faisant apparaitre une table juste devant nous, chargée de décorations florales. Dessus, le couvert était dressé pour deux personnes, éclairé par la lumière de chandeliers en argent.

  • Je suis navrée que la robe n’ait pas été à ton goût… me dit Gwenaëlle en s’approchant doucement de la table. Mais je suis au moins ravie que tu ait pu l’arranger à ta convenance. Ecoute, je… je ne souhaite pas me battre avec toi, Morgan. Je veux juste… passer un bon moment ensemble, d’accord ?

« Et ensuite, tu me renverras dans ma prison dorée ? » ne puis-je m’empêcher de penser.

Mais cela ne m’avancerait à rien de me disputer à nouveau avec la puissante maîtresse des lieux. Pour regagner la Terre, j’aurais besoin d’au moins une chose : soit l’accord de Gwenaëlle (difficilement envisageable…), soit les informations qu’elle pourrait laisser échapper par inadvertance. Et pour obtenir l’un ou l’autre, il était nécessaire de faire plaisir à ma geôlière…

J’ai donc hoché sèchement la tête et je me suis assis à ma place. Avec un sourire ravi, Gwenaëlle fit de même en face de moi.

  • J’espère que tu as faim, Morgan ! s’exclama-t-elle en claquant des doigts. Je pense que le diner va te plaire.

Un plat recouvert d’une cloche d’argent apparut soudain sur mon assiette. Intrigué, j’ai soulevé le couvercle avec méfiance… Avant d’écarquiller les yeux lorsque j’ai découvert ce qu’il y avait en dessous.

C’était une pizza.

Une pizza Orientale précisément, qui semblait tout droit sortie du four de Freddy. Mon estomac poussa immédiatement un rugissement d’envie. L’ignorant au mieux, j’ai levé un regard surpris vers Gwenaëlle, qui paraissait très fière d’elle-même.

  • Je me suis dit que cela te ferait plaisir, m’expliqua la sorcière.
  • Comment… Elle ne vient quand même pas de…
  • Si ! C’est une authentique pizza du Cordial Freddy, 19e arrondissement de Paris. C’est mon majordome qui s’est chargée de passer commande et de la récupérer. J’aurais pu la faire moi-même avec mes pouvoirs, bien sûr… Mais je trouve que la cuisine qu’on prépare soi-même a une saveur particulière que la magie ne peut imiter. Bien sûr, c’est surtout une question d’éthique : je pourrais faire apparaitre une pizza parfaitement identique dans ton assiette, et tu serais incapable de faire la différence.
  • Tu sous-estime mon palais, ai-je rétorqué, un brin agacé par sa façon de remettre en question l’art de Freddy.
  • Oh vraiment ? s’amusa la sorcière. Eh bien peut-être que je te mettrais à l’épreuve demain…

Gwenaëlle ôta la cloche de son propre plat, révélant une pizza en tout point similaire à la mienne. Je lui ai jeté un regard surpris.

  • Je voulais voir quel goût cela a, se défendit-elle. Je suis plutôt… traditionnelle, question nourriture.
  • Tu n’es pas obligé de manger comme moi.
  • Et pourquoi pas ?

Gwenaëlle s’empara de ses couverts en argent et entrepris alors de découper patiemment un petit morceau de pizza, qu’elle enfourna délicatement dans sa bouche avant de se tamponner les lèvres avec sa serviette.

Avec l’air supérieur de celui qui sait exactement ce qu’il fait, j’ai saisi l’une des parts de ma pizza en tirant d’un coup sec. La part, déjà prédécoupée avec la roue à pizza de Freddy, céda aussitôt. Une seconde plus tard, j’étais en train de la dévorer avec délice. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point j’étais affamé. Il fallait croire que s’évanouir, ça ouvrait l’appétit…

Tout arrachant une seconde part de pizza, mes yeux se sont levés vers Gwenaëlle… qui m’observait bouchée bée, sa fourchette en l’air encore fichée dans un carré de pizza soigneusement découpé.

  • Quoi ? ai-je grommelé avec agacement.
  • R… Rien, répondit la sorcière en secouant la tête. Seulement… Tu sais que tu as aussi des couverts, n’est-ce-pas ?

J’ai reposé lentement ma part dans mon assiette, sans quitter mon hôtesse du regard.

  • Une pizza digne de ce nom ne se mange pas avec des couverts. Ce serait une insulte envers Freddy.
  • C’est une insulte de manger de manger de manière civilisée ? répliqua Gwenaëlle d’un ton incrédule.
  • Si tu prends le temps de découper ta pizza avant de la manger, c’est que la pizza n’est pas suffisamment bonne, ai-je tranché d’un ton catégorique. Une véritable pizza te ferait perdre tout contrôle sur ton appétit. Tu déchirerais le carton et tu arracherais les part une à une pour les engloutir jusqu’à ce que deux minutes plus tard, tu remarques finalement que tu as déjà tout avaler. C’est à ça qu’on reconnait une bonne pizza. Et les pizza de Freddy sont… les meilleures.

J’ai baissé les yeux, soudain assaillis par les souvenirs de mes premiers jours aux côtés de Freddy, alors que celui-ci m’enseignait comment faire tournoyer la pâte à pizza. Oui, la cuisine de Freddy n’était peut-être pas assez « raffinée » pour figurer sur la carte d’un restaurant étoilé… mais elle avait le mérite de remplir l’estomac et le cœur. Si j’avais eu un père comme lui plutôt que le richissime mais détestable Louis Laufey… Peut-être que ma vie n’aurait pas été si mal, en fin de compte.

Gwenaëlle m’observa quelques secondes sans rien dire, partagée entre l’incrédulité et la gêne. Je venais sûrement de passer pour un idiot devant mon hôtesse, mais je m’en moquais. A vrai dire, si cela pouvait l’aider à se désintéresser plus rapidement de moi pour qu’elle me renvoie sur Terre, c’était même plutôt une bonne chose…

Soudain, Gwenaëlle posa lentement ses couverts sur la table, puis examina sa pizza comme si elle avait l’intention de la disséquer. Allait-elle vraiment…




A suivre... 

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