Le vendredi fut consacré aux présentations de la classe. Tout au long de la journée, les élèves se succédèrent pour palabrer sur leur sujet. Lisa fit découvrir la vie de Léonard De Vinci et Romulus celle de Diego Maradona. Cléo parla de l’Egypte antique tandis que Romain s’était intéressé à la Grèce d’aujourd’hui. Même Harry, si souvent silencieux, discourut sans s’arrêter sur la forêt amazonienne. Moly avait aussi retrouvé sa langue et agrémenta son exposé de quelques pas de danse.

 Agatha présenta le cas de la disparition d’Agatha Christie avec détails et minutie. Elle évoqua les hypothèses proposées par les journaux de l’époque tout en ajoutant son grain de sel à l’histoire et en imaginant des pistes supplémentaires. Sa conclusion lui brisa le cœur : impossible pour elle de résoudre le mystère, car elle n’avait accès qu’à de vieux articles et que l’incident était trop lointain.

  Suite à la correction du jeu de mots croisés qu’elle avait prévu, la petite sorcière retourna docilement à sa place, laissant Jonah prendre le relais. Elle fut attentive comme elle l’avait été pour ses autres camarades. La fée était le dernier à passer. Ils étaient déjà en plein après-midi mais la sonnerie de fin de journée était encore loin devant eux.

 — Très bonne présentation, Jonah, clama Mr Mate quand il eut terminé. Tu as fait attention aux gestes parasites, cette fois, c’est super !

 — Merci M’sieur !

 La chimère, qui avait pris la place de son élève le temps de son exposé, se leva en observant sa montre. Il fit quelques pas en direction de son bureau puis remarqua que quelqu'un avait levé le bras.

 — Un problème, Agatha ?

 — Monsieur Mate, j’ai préparé un deuxième exposé. Comme on a fini, est-ce que ça vous dérange si j’y retourne ?

 Son enseignant l’observa avec des yeux ronds. Il n’était pas le seul, la plupart de ses camarades semblaient surpris par cette annonce. Les chuchotements allaient déjà bon train quand la chimère accéda à sa demande, en précisant toutefois qu’il ne mettrait pas de note sur celle-ci pour ne pénaliser personne. Loin d’en être déçue, Agatha se releva, sortit une boite de son cartable et alla se placer devant le tableau. Cette fois-ci, Mr Mate se contenta de retourner à son bureau et regarda son élève, intrigué. En dix ans de carrière, c’était bien la première fois qu’un élève lui faisait ce coup-là !

 — Je vous ai déjà longuement parlé d’une affaire de disparition, celle d’Agatha Christie en 1926. Je vous ai dit qu’il était hélas complètement fou de penser qu’on pourrait résoudre l’affaire presque cent ans plus tard. Mais alors, qu’en est-il d’une disparition qui aurait eu lieu plus récemment ? Il y a tout juste une semaine pour être exacte.

 Dès cette introduction, la majorité des élèves savaient déjà de quoi la petite sorcière allait parler. Seul Cléo, Harry et Jacky restaient suspendus à ses lèvres sans manifester de réaction. Moly, quant à elle, avait poussé un soupir plus fort qu’un pet de vache.

 — Il est essentiel pour moi de vous rappeler les faits, continua Agatha en faisant les cent pas devant eux. Vendredi passé, Oscar a disparu de sa cage. La dernière personne à l’avoir vu est Cléo, qui s’est occupé de lui en début de récréation, sans autre témoin. J’étais alors avec Lisa dans la cour et je me souviens encore d’avoir vu notre ami descendre en trombe pour jouer avec ses camarades. Quant à la suite, nous n’avons remarqué personne remonter. En tout cas, personne ne m’en a fait part.

 — Tu l’as retrouvé ? demanda Loïc avant de s’excuser devant le regard désapprobateur de Mr Mate, qui n’aimait pas qu’on coupe la parole aux élèves en pleine présentation.

 — Une chose à la fois, Loïc. Donc, quand nous sommes rentrés en classe, nous avons d’abord travaillé un peu avant que Juliette, qui devait s’en occuper le week-end, signale sa disparition. Nous l’avons cherché, cherché et encore cherché, mais nous ne l’avons pas trouvé. Mr Mate se voulait rassurant. Oscar allait sûrement se débrouiller le week-end et réclamer ses graines dès lundi. Mais déjà à ce moment-là, j’ai commencé à réfléchir à l’idée d’un kidnapping… La journée du lundi me donna raison. Oscar n’était pas revenu, les câbles électriques étaient intacts, et une lettre attendait sous chaque plumier…

 — J’ai déjà dit qu’on n’y était pour rien ! s’écria alors Moly. On n'a pas volé Oscar !

 — C’est vrai, Moly, mais vous avez peut-être fait pire ! la gronda Agatha en haussant le ton. Toi et ton frère avez profité de notre désarroi pour réclamer des bonbons et nous faire peur ! Et pendant que je cherchais qui avait écrit ces fichus messages, je ne cherchais pas qui avait kidnappé Oscar ! Vous avez provoqué une perte de temps inutile !

 — Agatha, intervint Mr Mate avec un ton posé. Moly a déjà été punie, inutile de revenir là-dessus.

 — Désolée, monsieur. Je reprends. Déjà à ce moment-là, et malgré les lettres du faux kidnappeur, j’avais quelques suspects en tête. L’un d’eux était, et j’ai honte de l’avouer, notre concierge.

 — Mr Choucroute ? s’étonna cette fois l’instituteur lui-même.

 — Comprenez-moi, monsieur Mate ! Oscar était une charge de travail supplémentaire pour lui à chaque fois qu’il sortait. Je l’avais vu balayer dans le couloir avant la récréation, et Harry m’a appris plus tard qu’il l’avait aperçu enterrer une boite pendant qu’on cherchait Oscar. Les coïncidences étaient trop nombreuses pour écarter la piste. Mais Mr Choucroute était innocent, et la boite m’a plutôt guidée vers Moly et son frère. Par contre, le suspecter m’a fait prendre conscience d’une chose : On ne pouvait pas avoir kidnappé Oscar sans raison.

 — Et donc, c’est quoi la raison, selon toi ? demanda Béatrice avec beaucoup d’intérêt.

 — Il y avait plusieurs possibilités. Celle qui me paraissait le plus évidente était aussi celle qui me plaisait le moins : la jalousie. N’est-ce pas, Cléo ?

 La petite momie cligna des yeux. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre de quoi on parlait. Tous les regards étaient braqués sur elle.

 — Bah quoi ?

 — Vendredi passé, tu voulais prendre Oscar chez toi. C’est toi qui as amené le sujet et tu avais le bras levé. Mais Mr Mate ne t’a pas choisi. Il a encore choisi Juliette, alors qu’elle et Romain s’en occupent déjà souvent. On a tous bien vu que tu boudais sur le moment.

 — C’est vrai… mais j’ai pu m’en occuper ensuite pendant la récréation ! Tu l’as dit toi-même !

 — Oui, et c’était là l’occasion parfaite de sortir Oscar de la cage, de le cacher dans ton cartable ou dans tes bandelettes puis de faire semblant de rien ! Tu as, de nous tous, eu la meilleure occasion de le faire !

 — M-Mais…, bredouilla la petite momie avec un petit hoquet.

 — Mais pour tout le monde ici, c’était impossible à croire. Et pour moi aussi. On t’a tous défendu quand Moly et Poly t’ont accusé cette semaine alors qu’ils étaient les pires dans l’histoire. Parce que tu es trop gentil pour commettre un vol.

 La momie releva la tête, pas bien sûr de comment réagir. Tous les regards alternaient entre accusé et accusateur, sauf peut-être celui de la cyclope qui avait les bras croisés sur tout son banc.

 — Malgré tout, on devait s’assurer qu’Oscar n’était pas chez toi, soupira Agatha. Tu aurais pu oublier de fermer la cage, il aurait pu se cacher dans ton cartable et, en jouant avec le week-end, tu aurais pu perdre quelques morceaux. Souviens-toi, c’est pour ça que Mr Mate était réticent à te le confier de nouveau. Alors je suis venue chez toi…

 — C’était pas pour m’aider ?

 — Si, aussi, bien sûr, disons qu’on en a un peu profité. Et il faut reconnaitre qu’on a découvert un indice troublant.

 Elle ouvrit la boite qu’elle avait prise en début de présentation, en sortit quelque chose et passa entre les bancs pour les montrer aux autres. Les réactions de Jacky et Béatrice ne se firent pas attendre

 — Des graines de tournesol !

 — C’est le repas préféré d’Oscar !

 — Alors, oui, et en même temps… pas tout à fait, rectifia la sorcière avec malice. Ce ne sont que des coques de graines. Or, Romain, tu peux me le confirmer, mais Oscar mange les graines en entier, pas vrai ?

 — Oui. Ce glouton ne fait pas attention et mange tout…

 — C’est moi qui les mange ! J’aime bien, c’est bon…

 — Je n’en doute pas Cléo. Cet indice ne jouait pas en ta faveur jusqu’à ce que je me souvienne de ces détails. Le reste de ta chambre ne laissait aucun autre indice de la présence d’Oscar et ces graines n’étaient finalement qu’une fausse piste parmi d’autres.

 — Donc, c’est pas Cléo ? demanda Lisa, rassurée qu’Agatha n’ait pas précisé qui les avait trouvées.

 — Non, Cléo est innocent.

 — C’est trop simple ! s’écria Moly avec mauvaise humeur. C’est un gros maladroit ! J’suis sûre, il a pas bien fermé la cage ! C‘est pour ça qu’Oscar est sorti et qu’il a mangé le câble !

 — Mais Oscar n’a rien fait au câble, réfuta Agatha. La coupure était nette, personne n’avait rien mâchouillé ! C’était fait aux ciseaux ou que sais-je ! On l’avait même débranché pour ne pas qu’on se fasse électrocuter ! Et ça, mes amis, c’était bien la preuve que quelqu’un dans la classe avait emporté Oscar. Quelqu’un qui, en me voyant enquêter, a voulu me faire croire qu’Oscar se cachait simplement ici !

 Tous ses camarades la regardaient, silencieux, abasourdis. Même Mr Mate paraissait surpris. Il était lui-même tombé dans le piège du câble coupé. Il n’avait pas réfléchi plus loin et en avait déduit que sa gerbille squelette se terrait quelque part dans la pièce. Qu’une de ses élèves se montre plus perspicace que lui le remplissait à la fois de fierté et d’un brin de honte.

 — Du coup, s’il ne se cache pas et que Cléo n’y est pour rien, relança Jonah. C’est qui ?

 — Eh bien, tout au long de la semaine, j’ai vu de nombreux indices se succéder. J’ai découvert que l’un d’entre vous nous cachait un secret. Un secret qu’il ne voulait surtout pas nous dévoiler. N’est-ce pas… Romain ?