Chapitre 19

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Lorsque le dernier mot passe mes lèvres, je le vois s’avancer vers moi. Son pas est sûr et son visage sérieux. Il a l’air décidé et je ne tarde pas à savoir à quoi.

C’est bref. Quelques secondes … cinq peut-être. Mais pour le moment, ça me suffit. Retrouver la douceur de ses lèvres, même pendant un temps aussi court, me suffit amplement. Parce qu’il est là, face à moi, et il m’embrasse comme si la fin du monde approchait. Il a tant de choses à me dire, je le sens, il essaye de faire passer tellement de choses avec ce baiser que je me sens enseveli sous ces non-dits.

Lorsque je le sens se détacher de moi, je ne peux pas empêcher mes mains d’agripper son haut pour pas qu’il s’éloigne. Je veux lui parler mais j’ai le souffle court. J’halète comme si j’avais traversé l’océan à la nage. A bien y réfléchir, c’est un peu ce que j’ai fait. Je me suis noyé dans un océan nommé Riley. Je me suis noyé sous l’incompréhension que ce baiser a provoquée en moi mais aussi la satisfaction et surtout du désir. Parce que oui, je peux être totalement honnête, mon corps, qu’est-ce que je dis, tout mon être le désir. Ça explique ce manque que j’ai ressenti. Il m’est devenu vital mais décidément, pas de la même manière qu’un simple ami.

Ses mains glissent sur les miennes. Je resserre mes doigts autour du tissu, j’ai peur qu’il me pousse à le lâcher puis de le voir partir. Mais non. Il attrape une de mes mains et la garde dans la sienne. Il recule de quelques pas et je suis alors contraint de le suivre. Je ne sais pas où il veut m’emmener cependant, on ne va pas très loin. Il nous fait entrer dans un parc proche de chez moi et nous nous faufilons entre les arbres qui l’entourent.

Je ne le quitte pas du regard. Lui non plus d’ailleurs, même s’il nous guide à travers le feuillage fourni. On ne s’arrête qu’une fois que l’on s’est bien enfoncé dans la verdure. De l’extérieur, personne ne peut nous voir et je pense que c’est ce que Riley cherchait. Je commence même à en être absolument sûr lorsque je sens un tronc dans mon dos, contre lequel il me fait m’adosser.

Piégé entre l’arbre et le torse de Riley, mon cœur bat à tout rompre. On a l’habitude de parler de papillons dans le ventre pendant ce genre de scène dans les films ou les livres, mais jamais encore on a parlé de l’ouragan qui éclate au creux de la poitrine. Mes doigts s’abîment sur l’écorce de l’arbre contre lequel je suis appuyé. J’ai tellement peur de bouger et de faire quelque chose qui ne ferait fuir que je tente par tous les moyens de me retenir là où je peux.

Il se rapproche de plus en plus de moi au point que mon air n’est composé que de l’odeur de Riley. J’ai envie de bouger mais mes yeux sont profondément ancrés dans les siens. Je ne peux pas me détourner d’eux. C’est … hypnotique. J’ai aucune idée de ce qu’on fait là, je ne sais pas ce qu’il va faire, mais dans cette position, lui contre moi, je me sens bien. J’ai beau respirer comme si j’étais en train de fuir pour ma vie et mon cœur a peut-être décidé de battre à son propre rythme _ à savoir, très vite _ je me sens à ma place. Comme si c’était ici que je devais être et que ça l’avait toujours été.

Je sens ses doigts glisser contre ma joue. Je ferme les yeux et laisse mon visage chercher un contact plus appuyé. Si j’étais un chat, j’en aurais sûrement ronronné. A la place, je laisse ma main remonter le long de son bras pour aller sur poser sur la sienne et la serrer légèrement. Nos doigts s’entremêlent et je me force à le regarder à nouveau. Pas que le regarder soit une corvée, je mentirais en disant ça, mais je me sens tellement bien, là, que j’ai peur de briser ce moment.

Puis mon souffle se coupe. Il est proche. Nos nez se frôlent dans un baiser esquimau qui suffit à me faire perdre tous mes moyens. Mes jambes tremblent et je pense même que d’ici quelques secondes, elles m’abandonneront. Je me sens si faible face à Riley, face à ses yeux et tout ce qu’ils me disent, face à son parfum entêtant qui, je m’en rends compte, n’a jamais quitté ma mémoire depuis notre premier baiser et peut-être même bien avant. Une odeur chaude et sucrée qui me donne envie de plonger mon nez dans son cou pour m’y isoler et m’y réconforter.

Je suis bien là.

— Je ne comprends rien, me chuchote-t-il avant de m’embrasser à nouveau. Je ne devrais pas t’embrasser. Je ne devrais même pas le vouloir ou aimer ça. Dis-moi que je ne suis pas le seul, Jamie.

Je ricane avant d’attraper sa lèvre supérieure entre les miennes. Je le sens gémir tout contre moi et ça me donne un sentiment de puissance. C’est moi qui ai provoqué ça en lui et d’après ses dires, il aime vraiment et en veut encore. Lorsque j’interromps le baiser, je laisse mon visage plonger tout contre son cou. J’inspire une énorme goulée d’air et m’emplie de son odeur.

— Tu n’imagines même pas à quel point je suis dans le même bateau que toi Riley. Tu m’obsèdes. Depuis ce baiser, j’ai que toi dans la tête et j’ai beau essayer de me convaincre que ce n’est rien, il n’empêche que tu y es toujours. Tu provoques quelque chose en moi que j’arrive pas à décrire et encore moins à déterminer et … ça me fait peur.

— Moi aussi j’ai peur.

Il m’entraîne vers le sol et je me retrouve rapidement contre l’arbre et contre Riley, son bras touchant le mien.

— Mais … tu as sûrement dû t’en douter quand j’ai lâchement pris la fuite de chez toi après nos premier baiser.

— J’aurais fait pareil que toi. J’ai … quand tu es parti et que j’ai réalisé ce qu’il s’était passé, j’ai paniqué. C’était tellement inattendu et incompréhensible. Ça l’est toujours, pour être honnête, mais j’ai fini par me faire à l’idée que … peut-être …

— Peut-être que tu étais attiré par moi.

— C’est ça, je souffle en rougissant. Et toi ?

— Après tout ça, tu ne peux pas le deviner ? me demande-t-il avec un sourire moqueur.

— Je préfère ne pas me faire de faux espoirs, je lui réponds en lui donnant un coup de coude dans les côtes. Tu as un côté tellement mystérieux que parfois, je ne sais même pas pourquoi je craque pour toi.

— Ouh, de mieux en mieux !

Il fait une pause, son sourire ne le quittant pas et son regard s’attardant dans le mien.

— Tu me plais. Énormément. Je ne comprends pas comment ça peut être possible, mais malgré toutes les personnes de sexe féminin qu’il y a dans le lycée, je n’ai, finalement, pas pu me détourner de toi. Ta simple présence a le don d’illuminer mes journées mais je croyais que je faisais de toi mon meilleur ami. Puis, j’ai décidé d’arrêter de me voiler la face.

— Quand est-ce que c’est arrivé ?

— Quand tu m’as dit que tu oublierais tout ça si je te le demandais.

Mes yeux s’ouvrent en grand. Il est en train de me dire que jusqu’à il y a cinq ou dix minutes, voire même une demi-heure _ je n’ai plus aucune notion du temps _, il avait vraiment décidé de ne pas parler de ce qu’il s’était passé et de faire comme si on était juste les meilleurs potes du monde ? En fait, ça ne m’étonne pas mais je dois avouer que ça me fout un coup d’entendre ça. Il aurait fallu d’une phrase de moins ou peut-être d’un mot de trop pour que l’opportunité de l’embrasser à nouveau m’échappe.

— Ça a été comme un déclic, continue-t-il. Pendant une microseconde, j’ai essayé de me demander si je voulais vraiment que tu oublies tout ça, si faire comme si rien ne s’était passé était vraiment ce que je voulais. La réponse a été d’une évidence foudroyante. Je ne le veux pas.

Sur ces derniers mots, il tourne son visage et plonge son regard au plus profond du mien, comme s’il cherchait un moyen d’atteindre mon âme pour lui livrer son plus grand secret.

— Je ne veux pas faire comme si ce baiser n’avait pas existé. Je ne veux même pas penser que celui-ci ainsi que nos baisers de tout à l’heure puissent être les seuls que nous pourrions partager. Je sais que c’est étrange … vraiment étrange. Je n’ai jamais entendu parler d’une relation entre deux personnes du même sexe mais … on dit qu’il y a un début à tout … alors tu penses que nous aussi, on pourrait être le début d’un de ces « tout » ?

Je frôle l’arrêt cardiaque. Mon cœur se liquéfie et moi, je me retrouve le souffle coupé. Jamais encore on ne m’avait parlé comme ça et si Riley ne m’attirait pas déjà, je pense que ce serait arrivé maintenant. Mais le problème, c’est que je ne sais pas quoi répondre. Enfin, si, je sais quelle réponse je veux lui donner, mais je ne sais pas comment la formuler autrement que par un « oui » ridicule, qui, soit dit en passant, pourrait ne même pas être intelligible.

Alors à la place je l’embrasse. Un baiser doux et léger, juste pour lui dire que je le veux moi aussi. Et son sourire me suffit à savoir que j’ai pris la bonne décision. Il se jette sur moi, me faisant tomber sur le dos dans l’herbe et il m’observe avec un sourire qui s’agrandit de plus en plus.

— Du coup … t’es mon mec.

Je ris avant d’hocher la tête. Oui je suis son mec. Et lui, il est le mien. J’ai du mal à y croire. Je sors avec un mec et pas n’importe lequel. Je sors avec Riley. Mais est-ce que les autres pourraient l’accepter ? je veux dire … on est un couple de mecs. Les Hommes ont du mal avec le changement et avec la nouveauté et face à quelque chose sortant de la norme ou d’inconnu, ils ont souvent peur et se montrent agressifs. J’ai pas envie de transformer ma vie en cauchemar à cause de l’étroitesse d’esprit du genre humain … Et Riley semble penser la même chose puisque son sourire disparaît et il se met à caresser ma joue, soucieux.

— On va devoir se cacher, me dit-il.

— hum … on ne sait pas comment les gens réagiraient. Ils pourraient … ils pourraient vouloir nous séparer … plus ou moins gentiment.

Il opine distraitement de la tête tout en passant un bras autour de mes épaules pour me rapprocher de lui. Je frissonne de bien-être et me laisse aller à son étreinte. Je n’ai pas envie de penser à autre chose. L’opinion des autres, je m’en fiche pour au moins les vingt prochaines minutes ou tout du moins jusqu’à ce que je doive rentrer chez moi en tout cas.

Et je n’ai pas du tout envie de rentrer.

Je suis bien là, plus que je ne l’ai jamais été depuis aussi longtemps que je ne puisse m’en rappeler. Autrement dit, je me sens vraiment bien et à ma place près de lui et ça commence même à me faire peur. Est-ce que c’est normal de ressentir ça ? Pour lui ? Pour quelqu’un en général ? Surtout aussi rapidement. Ça paraît inconcevable en fait. On rencontre quelqu’un et paf, on se sent bien avec dès le premier jour de mise en couple ?

Oh bon sang ! Je suis en couple … avec Riley ! C’est … wow. Je lui jette un rapide regard et … franchement, j’ai vraiment pas choisi le plus moche. J’ai de sacrément bons goûts mine de rien. Même en matière d’homme. Je sais pas trop ce qu’il trouve chez moi, mais moi, je suis pas déçu. Puis, point non négligeable, je lui plais et je ne vais clairement pas m’en plaindre.

— Qu’est-ce qu’il y a ? il me demande en souriant.

— T’es beau.

Je le vois rougir. C’est adorable. Je crois qu’il ne s’attendait absolument pas à ce que je lui dise ça. Mais c’est vrai ! Et en plus, ce n’est pas la première fois que je le pense. Là, je peux au moins le lui dire sans que ça paraisse bizarre. Il ne me répond rien, de toute façon, je n’attends pas de réponse particulière _ je ne lui ai pas dit ça pour recevoir un « tu es beau » en retour _ mais m’embrasse à la place. J’ai l’impression que pour le moment notre couple a un peu de mal à communiquer autrement qu’en embrassant l’autre pour pallier au manque de mots. Le problème, c’est qu’il faudra qu’on parle. On va vivre une relation inédite et cachée, quelque chose qui prend énormément d’importance dans notre vie mais que l’on devra cacher et pour laquelle il faudra sûrement mentir aux autres. On n'aura pas d’autre choix que de parler et de déterminer comment on va agir face aux autres.

Déjà, première question, est-ce qu’il faut le dire à Reece et Nora ? En ce qui concerne mon meilleur ami, je dois lui dire. Il est au courant pour le baiser et il m’a soutenu comme à chaque fois. En plus, c’est lui qui a manigancé tout ça, c’est la moindre des choses que de le lui dire.

C’est pour Nora que ça pose le plus problème. Je n’ai aucune idée de la manière dont elle réagira. Est-ce qu’elle acceptera de continuer à nous côtoyer ? Ou alors on la dégoutera et elle coupera les ponts ? Et est-ce qu’elle acceptera de garder le secret quel qu’en soit son avis ? J’en ai aucune idée mais au fond de moi, j’ai envie de lui faire confiance.

Je partage mes pensées avec Riley. Son visage se fait songeur, montrant qu’il doit peser les pour et les contre.

— Je pense qu’on peut leur dire. Reece est ton meilleur ami, il se taira. Et on peut avoir confiance en Nora. Elle nous apprécie vraiment, c’est notre amie. Et puis, ce ne serait pas dans son intérêt. On est encore trop loin de notre objectif pour risquer de faire capoter nos recherches. Puis, je crois qu’elle nous cache quelque chose … quelque chose qui pourrait la rapprocher de nous.

— Toi aussi, c’est ce que tu penses ? je lui demande en me redressant. Je suis persuadé que ça a un rapport avec la Léthé et la raison de ses recherches. Quand on lui a demandé pourquoi elle faisait ça, sa réponse était trop floue et … je sais pas, une intuition. Mais comme toi, j’ai l’impression que ce secret ne l’éloignerait pas de nous.

Il fait un petit bruit d’assentiment avant de déclarer qu’il fallait qu’on rentre chacun chez soi. Il a raison. Le temps tourne et il commence déjà à faire tard. Mine de rien, j’ai promis à Jude de ne pas rentrer tard. Anniversaire ou non, il va m’engueuler pour mon retard. Et je ne pourrai même pas me justifier sans être obligé de mentir.

Je soupire. Je n’ai pas le courage d’aller me prendre la tête avec n’importe quel membre de ma famille. Surtout pas le jour de mon anniversaire. En plus, maintenant que je n’ai plus peur de le dire, Riley va me manquer. Je ne sais même pas quand est-ce qu’on pourra se voir la prochaine fois. Faites juste que ce ne soit pas dans un mois. J’ai déjà eu du mal à supporter le début du mois de juillet sans le voir, alors qu’on était même pas ensemble, alors maintenant, je m’attends à retrouver ma chère déprime, tous les jours.

Je sens les lèvres de Riley se fondre contre les miennes tandis que ses mains viennent caresser mes joues.

— Fait pas cette tête, il me chuchote ensuite. T’es trop mignon pour bouder. On va se voir très vite de toute façon, ok ?

Oula stop … Il a dit que j’étais mignon ? D’un côté, j’ai envie de me vexer pour le choix de l’adjectif et en même temps, je suis persuadé d’avoir déjà viré rouge tomate. Il me trouve mignon … je me mords la lèvre pour retenir le sourire niais qui menace de venir déformer ma bouche. Je veux bien être en couple, mais pas question de devenir nian-nian. Il ne manquerait plus que ça. Du coup, je ne réponds pas. A la place, je l’attrape par la main et le tire derrière moi.

On n’avance pas vite. On fait durer le temps et pourtant, on se retrouve en dehors du parc beaucoup trop rapidement. Je sens sa main lâcher la mienne alors qu’on passe le portail et nous revoilà devenu, aux yeux du monde, de simples amis. Et lorsque chez moi, il me fait un simple signe de la main, je me rends vraiment compte que notre secret sera dur à garder. Maintenant que je commence à goûter aux lèvres de Riley, à la douceur de ses baisers et la chaleur de ses bras, je commence à développer une addiction à tout cela.

Je rentre chez moi en soupirant. Comme prévu, Jude me fait remarquer mon retard et je n’ai même pas le courage de trouver une parole des Beatles à lui répondre. J’ai juste envie d’aller m’enfoncer dans mon lit pour arrêter d’imaginer à quel point ma vie est compliquée et qu’elle va de mal en pis.

Mon téléphone vibre et laisse s’afficher un message de Riley. Il me dit être bien arrivé chez lui et me propose qu’on se voit demain après manger. Je m’empresse de lui répondre par l'affirmative avant d’envoyer un second message à Reece pour lui demander s’il est dispo pour un appel. Moins de dix secondes plus tard, mon téléphone vibre à nouveau et je vois la photo de mon meilleur ami s’afficher. Je décroche et n’ai pas le temps d’en placer une qu’il est déjà en train de crier au bout du fil.

— Alors ? Raconte ! Dis-moi ? Mon plan a marché ? Tu as aimé mon cadeau ? Me fais pas languir ! Je suis sûr que t’as tellement de choses à me raconter ! Vas-y ! Dis !

Des choses à raconter ?

Effectivement … Je pense pouvoir dire que cette journée a été riche en rebondissements. Et ce genre de journée …

Ça me plait.

Par contre, les rebondissements … dans la limite du raisonnable bien entendu !

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