Chapitre 26

12 minutes de lecture

Le grand jour arrive. Enfin, cette année, il y a tellement de grand jour que celui-là n'est finalement qu'un parmi tant d'autres et sûrement pas le plus important. Aujourd'hui est mon premier jour à l'université.

J'ai à peine fermé l'œil cette nuit. La seule chose à laquelle je pensais, c'était ça. Arriver dans un nouvel endroit, rencontrer de nouvelles personnes, me retrouver à nouveau confronté aux évaluations et à l'angoisse de savoir si je vais réussir ma vie. Si je n'étais pas motivé à quand même faire quelque chose de ma vie, sûrement que je serais resté au fond de mon lit. A la place, me voilà en train de me préparer.

Je ne prends pas la peine de petit-déjeuner. Si je touche ne serait-ce qu'à un verre de lait, je vais vomir. J'ai l'estomac tellement vrac que je ne sais pas si je vais réussir à paraître confiant devant les autres à l'université. Si je veux m'intégrer un minimum, ce serait quand même bien que j'ai l'air de tout sauf d'un gars peu assuré, qui voudrait aller partout sauf là où il est et qui menace sur quiconque venant lui parler. Ça ne donne pas vraiment envie.

Le trajet en bus est pire et les mouvements saccadés dus à la conduite chaotique du chauffeur et la route passablement dégradée ne font rien pour arranger ça. Je regarde par la fenêtre en essayant de me concentrer sur ma respiration. Il faut que je me calme et j'ai juste une quinzaine de minutes pour ça. Je pense à mon frère qui a pu m'envoyer un message avant de partir à l'endroit où il sera soigné. Je pense aussi à Riley qui m'a rassuré cette nuit à coup d'appels et de sms. A Reece qui m'a fait un discours d'une demi-heure expliquant à quel point je vais tout déchirer cette année. Et à Nora qui m'a passé quelques livres sur l'intégration dans de nouveaux groupes. Il y a même un chapitre comparant la situation des humains à celle de certains animaux.

J'arrive devant l'université et me sens un peu mieux. Tout ne peut qu'aller bien. Ou plutôt, par rapport à ce qu'il m'est arrivé depuis le début de l'année, sérieusement, qu'est-ce qu'il pourrait arriver de pire ? ... j'espère quand même ne pas m'apporter la poisse en disant cela. Ce serait bien ma veine.

Je passe devant le tableau d'affichage devant le bâtiment où je sais se trouver la majorité des salles que je côtoierai ces prochains mois. Salle Belle époque. C'est risible quand on sait qu'on vit dans une époque remplie de mensonges. Mais bref, allons-y ou plutôt essayons d'y aller.

La dernière fois que je suis venu, je n'avais pas fait attention au nombre de salles que comportait ce bâtiment, mais il y en a beaucoup trop. J'espère vraiment qu'ils prévoient de nous distribuer un plan sinon je vais devoir me renseigner un peu plus sur les horaires de bus pour venir une bonne demi-heure en avance.

Je trouve la salle. Elle est immense. Il y a beaucoup trop de monde et surtout, il y a déjà énormément de groupes constitués. Comment fait-on déjà pour faire connaissance avec de nouveaux camarades de classe ? J'ai l'impression que ça fait une éternité que je n'ai pas eu à faire ça. Enfin, non, c'est faux. Il y a eu Riley et Nora cette année, mais je ne pense pas que je puisse les compter. Se rapprocher de quelqu'un parce que le point commun qu'on a avec elle c'est qu'on l'a totalement oublié et de quelqu'un d'autre parce qu'elle peut nous aider à en savoir plus sur la Léthé ... je n'appelle pas vraiment ça un rapprochement ordinaire entre camarades.

Finalement, alors que je scrute la salle et ses occupants, le groupe à côté de moi m'interpelle.

— Hey, t'es seul ? me demande une des filles du groupe.

Je hoche simplement la tête en fronçant légèrement les sourcils.

— Fait pas cette tête, viens avec nous ! me propose la fille juste à côté.

Ils sont cinq. Deux filles et trois gars. Je me doute qu'ils ont mon âge mais j'ai l'impression qu'ils sont si jeunes ? Pourtant, il y a peu de chances pour qu'ils soient vraiment plus jeunes que moi, je suis tout juste majeur.

Ils se présentent. Leurs prénoms m'échappent au bout de deux minutes seulement mais j'aurai tout le temps de les retenir plus tard. Je ne sais même pas si ça en vaudra la peine. Ils ne sont pas comme moi. Ou alors c'est moi qui ne suis pas comme eux ? Je sens un énorme décalage entre eux et moi et ça accentue mon impression d'être tellement vieux.

Après s'être présentés, ils passent rapidement à leurs vacances, des soirées qu'ils espèrent faire chaque semaine, etc. Pour rire _ enfin à moitié _, je leur dis de faire attention, s'ils font trop de fêtes, ils risquent de subir une deuxième Léthé et ne plus se souvenir les uns des autres. Ils me répondent que ce sont des légendes, qu'il est impossible d'oublier l'existence d'une personne et que la Léthé n'est là que pour effacer la délinquance et les guerres, ainsi que les addictions, pas pour effacer n'importe quoi dans l'esprit des gens.

Et c'est là que j'ai compris.

Cette année a creusé un gouffre entre les gens et moi. La Léthé détruit chaque jour un peu plus ma vie. Ils sont si naïfs et je meurs tellement d'envie de leur crier dessus en leur avouant à quel point la Léthé devrait être banni de notre monde, de leur raconter chaque chose qui est arrivée cette année et de briser les illusions qu'ils ont sur notre société si parfaite.

J'ai grandi beaucoup trop vite en l'espace de quelques mois, j'ai vécu des choses que personne ne devrait vivre. Perdre la mémoire, oublier une personne qu'on aime, voir son frère à l'hôpital suite à une overdose qui aurait totalement pu être évitée, sans compter les choses dont je ne me souviens sûrement toujours pas.

Et dire qu'il y a quelques mois encore j'étais comme eux. Ma seule préoccupation était ... j'en sais rien en fait. Je vivais ma vie, tranquille, je passais du temps avec mon frère et mon meilleur ami, de ce que je m'en souviens, je jouais aux jeux vidéo et allais à quelques fêtes. Une vie simple ... superficielle en fin de compte. Comment est-ce qu'un gouvernement peut draper toute une population pour lui obscurcir la vue et ne lui laisser voir que ce qu'il veut qu'elle voie ? C'est ça être riche et puissant ?

Je soupire et entends un ricanement venir de ma gauche. Je me tourne et vois une fille que je ne connais pas, le visage tourné vers le prof présentant l'année scolaire. Elle est jolie, clairement pas mon type puisqu'à priori seul les mecs _ voire un mec _ m'attirent, mais d'ici, elle a déjà un joli profil.

— Si tu soupires alors qu'on a même pas commencé les cours, bon courage pour survivre pendant ces prochaines années.

— Encore faut-il que l'année prochaine je me souvienne que j'étudie ici, je réponds distraitement.

— Pas faux, dit-elle en riant avant de se tourner vers moi. Je m'appelle Néah.

— James.

Et elle se reconcentre sur les paroles du prof, tout simplement. Moi je dois l'avouer, je suis légèrement perturbé. Est-ce que je viens de faire connaissance avec quelqu'un ? On dirait. Est-ce que potentiellement je vais me faire une amie ici ? Je l'espère. Elle a l'air sympa et peut-être moins naïve que les autres. Elle a eu l'air de trouver ma remarque plutôt pertinente même si elle en a ri. Donc, je garde espoir.

Un quart d'heure plus tard, je me dis qu'en plus de garder espoir, j'aurais peut-être dû adresser une prière à un quelconque dieu pour qu'il me permette de suivre les cours avec elle. A la fin des explications, j'ai eu l'excellente idée de sortir le premier de la salle et me diriger vers notre premier cours pour être sûr d'avoir une bonne place. Malheureusement pour moi, même si ça partait d'une bonne attention, je me suis retrouvé encerclé par le groupe qui m'a accueilli et dont j'ai vraiment oublié les noms.

Ils ne sont pas méchants, c'est même tout le contraire, mais je me suis senti oppressé pendant tout le temps où ils étaient là et je n'ai pas osé leur dire quoi que ce soit. Ils ont parlé, beaucoup, ont essayé de m'intégrer à la discussion, très voire trop souvent, et m'ont donné, à chaque fois, l'impression de ne pas être comme eux, de ne pas être normal. Je ne me préoccupe plus des fêtes, je ne me préoccupe pas non plus de savoir si le gars assis au dernier rang est venu dans une voiture de riche. Je m'en fiche aussi de savoir que ma façon de m'habiller serait plus cool si j'arrêtais les chemises à carreaux qui ne sont plus à la mode.

La journée a été si longue que lorsque le prof nous signale la fin de la journée, il ne me faut que dix secondes pour remballer mes affaires et sortir de là. Je n'ai pas dit au revoir au groupe. J'ai peut-être adressé un petit signe à Néah au passage, mais il fallait que je sorte le plus rapidement de là. Et là, maintenant que je suis dehors, j'ai envie de pleurer. Parce qu'il est là, devant moi, à m'attendre.

Je m'approche de la voiture garée devant le portail de l'université et y monte. Riley ne dit rien, il met simplement le contact et démarre. Il ne m'explique pas pourquoi il est là, comment il a su que je terminerais à cette heure-là, il ne me dit même pas bonjour. Il conduit et me ramène jusqu'à chez moi. Je sors de la voiture et m'assure qu'il me suit.

J'ouvre la porte d'entrée, salue vaguement ma mère et monte directement dans ma chambre. Lorsque Riley entre à son tour, je m'empresse de fermer la porte à clé avant de l'y pousser peut-être un peu durement et de l'embrasser.

Je ne me retiens pas, je n'y arrive pas et je compte sur Riley pour me calmer et m'arrêter si besoin. Mais j'en ai besoin. Je dois évacuer toute cette chose qui s'est accumulée en moi et surtout, j'ai besoin de savoir qu'il est là pour moi, près de moi, qu'il me comprend et surtout, que je suis toujours dans sa mémoire, dans ses pensées comme il l'est dans les miennes.

L'insouciance des autres, leur vision idyllique de la Léthé, sauveuse du monde, tout ça n'a fait qu'augmenter cette peur que j'ai d'oublier à nouveau ma vie. D'oublier à nouveau celui que j'aime. C'est pour ça que j'ai besoin de me rassurer qu'il soit toujours là et que lui non plus ne m'ait pas oublié.

Alors je l'embrasse. Je me colle de tout mon corps contre le sien jusqu'à pouvoir sentir les battements de son cœur contre mon torse. Mes mains glissent sous son sweat et attrapent ses hanches. Je veux me fondre en lui, m'ancrer dans sa peau et être sûr de ne plus jamais en repartir, plus involontairement en tout cas. Je laisse mes lèvres glisser le long de sa mâchoire jusqu'à arriver à la jonction entre son cou et son épaule. J'y appose une marque que je viens par la suite embrasser avant de refaire le chemin inverse jusqu'à ses lèvres.

Lors de ma remontée, je sens un grognement faire vibrer sa gorge. Je ne résiste pas à l'envie de venir mordre sa pomme d'Adam et je pense que c'est le geste de trop pour Riley. Je sens mes jambes décoller du sol et mon dos rencontrer à son tour la porte de ma chambre. Le choc me fait pousser un cri sourd rapidement perdu entre les lèvres de Riley. Mes doigts viennent se perdre dans ses cheveux alors que je noue mes jambes autour de sa taille.

Mon corps entre en combustion et je remarque à quel point je suis excité lorsque mon érection rencontre celle de Riley. Je suis au bord de l'explosion et je crois bien que c'est ce que c'est le résultat recherché. Ses hanches se meuvent contre les miennes et je ne peux pas m'empêcher de suivre le mouvement.

D'abord lentement. Puis légèrement plus appuyé. Et pour finir la frénésie qui s'empare de nous. Ses lèvres toujours sur les miennes, je bois ses gémissements qui se confondent avec les miens. J'atteins rapidement la limite de nos retours et je sens que lui aussi. La chaleur entre mes reins augmentent de plus en plus et la rupture se fait lorsque je sens des dents se refermer tout près de mon cou sans que je ne m'y attende.

Ma main s'enfonce dans ma bouche pour étouffer l'orgasme qui me frappe de plein fouet. Quelques mouvements plus tard, Riley me rejoint avant de s'effondrer en m'emportant avec lui.

Adossé contre la porte, assis sur les genoux de Riley, j'ai du mal à reprendre mon souffle. Des étoiles scintillent devant mes yeux et seule la présence d'un poids sur ma poitrine me permet d'être sûr que Riley est bien là avec moi. On ne bouge pas pendant au moins une dizaine de minutes. On ne parle pas non plus. Il n'y a que nos respirations se faisant de moins en moins chaotiques.

— Désolé, je finis par souffler en évitant son regard. J'ai pété un câble. J'avais ... besoin de savoir que tu étais là, que tu ne m'avais pas oublié.

Une main se pose sur ma joue en une caresse rassurante. Je le sens bouger sous moi jusqu'à ce que sa bouche vienne se poser sur la mienne. Il n'y a plus de précipitation, plus d'urgence. Le baiser qu'il me donne est là pour me rassurer, pour me montrer qu'il est là et, j'ose espérer, pour me montrer l'attachement _ je ne peux pas parler d'amour _ qu'il a pour moi. Lorsqu'il éloigne ses lèvres des miennes, je suis aussi pantelant qu'après tout ce qu'on a fait. J'ai même envie de pleurer tant j'ai l'impression que la manière dont m'atteint ce baiser est plus profonde que tout le reste.

Il bouge à nouveau, m'entoure de ses bras et vient nicher son visage au creux de mon cou.

— C'est rien. J'ai senti dans la voiture que cette première journée a été éprouvante pour toi.

— Même, je lui réponds en entourant à mon tour ses épaules de mes bras. Je n'aurais pas dû te sauter dessus comme ça. On a dit qu'on communiquerait ensemble, surtout quand ça concerne le sexe. Et à la place, je me jette sur toi sans te demander ton consentement. Imagine tu n'aurais pas voulu ?

— Si je n'avais pas voulu, je t'aurais éloigné et tu aurais accepté, je le sais. De toute façon, je le voulais aussi ... Tu m'as manqué aujourd'hui. ... Tu pourras pas porter haut avec un col trop échancré demain.

L'entendre passer du coq à l'âne me fait sursauter. Je ne comprends pas trop de quoi il parle jusqu'à ce que je sente son nez glisser contre les marques de la morsure qu'il m'a faite quelques minutes plus tôt. A mon tour, je caresse le suçon qu'il a dans le cou et je me mets à ricaner.

— Tu crois qu'on est des créatures sauvages ? Genre, des loups-garous ? Et on se sent obligé de marquer l'autre à cause d'une force divine qui nous dépasse ? Comme s'il fallait qu'on montre à la Terre entière que cette personne est déjà liée à quelqu'un ?

— On appelle ça de la possessivité bébé !

Mon cœur rate un battement et je sens mon visage entrer en combustion. J'ai l'habitude de Reece m'appelant bébé mais là, entendre le surnom sortir de la bouche de Riley me fait un effet bien différent. Et ... je crois que j'aime ça. La manière qu'il a eu de m'appeler comme ça était tellement naturelle et spontanée que je pourrais d'ores et déjà m'y habituer. Je ressens un élan de joie si intense que je l'embrasse. Je pose juste mes lèvres sur les siennes, sans aller plus loin mais, à son sourire, je crois qu'il a compris le message.

— Bon, du coup, tu me racontes ta journée.

Je cherche par quoi commencer et surtout comment lui expliquer ce que j'ai ressenti. Finalement je soupire et je raconte tout depuis le début, ce groupe plutôt sympathique dans le fond mais qui me fait réaliser le fossé qui me sépare d'eux ou du moi d'il y a quelques mois. Je lui parle de leur naïveté qui a fait monter une colère sourde en moi, les pensées qui se sont suivies dans mon esprit et m'ont fait réaliser que l'une de mes plus grandes préoccupations désormais était qu'il ne m'oublie plus jamais.

— Ça aurait été bien que ces marques restent, chuchote-t-il en caressant à nouveau mon cou. Comme ça, même si on s'oublie à nouveau, il y aura une trace de nous. Quelque chose d'indélébile.

— T'es niais, je lui dis en riant.

— C'est vrai. Mais avoue ça te plait.

Bien sûr que ça me plait. Je peux même sans aucun doute dire que j'aime ça ... et bien plus encore.

Annotations

Vous aimez lire Sherlock Momo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0