Gare à vous

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Tic Tac
Non je plaisante : ça fait bien longtemps que je décompte en silence.
C'est dommage d'ailleurs, j'aimais bien entendre les balanciers, les rouages et les poids…
Mais il faut bien vivre avec son temps ! C'est amusant n'est-ce pas ?

C'est un lieu où j'aime musarder, nulle part ailleurs, on ne tient aucun compte de moi, nulle part ailleurs, je suis cet étalon absolu. Décliné à la seconde près, on court pour me rattraper, pour me perdre ou pour me gagner.

La gare.
Elle est ma fidèle, mon expression par millier...
Que j'aime emprunter ses couloirs, habiter ses salles et attendre avec chacun !
Que j'aime suivre ce flux constant de passagers qui marchent en cadence : celle que j'impose !

Je m'attarde souvent pour écouter penser, derrière les visages, parfois inquiets de moi.
Je leur suis souvent un souci du présent ; mais la plupart du temps je file sans qu'ils me voient. Et quand ils me remarquent, c'est que je les ai marqués... Pardon je dis "vagues" et me voilà parti, je ne vous l'apprends pas : je ne suis pas très stable...

Si je connais aussi bien les émotions des Hommes, c'est parce que je fréquente les gares.
Les émois de la séparation, ceux des retrouvailles, des deuils, des rencontres.
Je connais tout des nouveaux départs ou des renoncements.

Dans la gare je trouve mille croisées des chemins de l'existence, en armure s'armant de patience ou de courage.

Tic Tac
Décidément ça me manque… Les grosses horloges mécaniques avaient tant de charme.
À l'aube, je me pose sur les toits vert-de-gris. Je sens la vie qui gonfle dans les murs de mon amie.
La course des voyageurs suit ses tracés invisibles, ses lignes d'intentions jalonnées d'écrans où l'on me contemple.
Les pas dans les pas marquent le rythme, la pulsation, c'est un sang qui circule, jusqu'au cœur lequel se déplace sans cesse, d'un train à l'autre, multiple mais unique, pour chaque itinérant.

Tic Tac
Laissez-moi, s'il vous plaît, me souvenir des gares d'autrefois, je suis nostalgique des brumes sur les quais, des banquettes de bois, d'un moi plus serein plus tranquille. Tic
Désormais, tous les jours, les cœurs de gare s'emballent dix fois. Tac

Midi au soleil, je me glisse entre les murs, je me dilate partout à la fois et je regarde sans me lasser jamais, les migrants d'un jour, les actifs, les paumés.
Il y a dans les murs de ma muse, des gens qui ne partent jamais. Des gens pour qui je ne compte pas, ou pour qui je ne compte plus.
En vestes élimées, en pantalons sans forme, abrutis d'alcool ou simplement passifs, les paumés dans les gares sont une faune animale, de souffrances et de colères. Organisés en horde ou solitaire, ils se déplacent nonchalants, à pas perdus qui tournent en rond, qui s'égarent dans la gares…
Pourtant, elle offre des cartes ; sur tous les murs, elle propose des chemins.
Il suffit parfois d'un rêve, pour qu'un paumé se retrouve enfin.

Tic Tac
Des rêves, dans les couloirs, dans les salles d'attente, la gare en est pleine. Parfois même elle les enfante. Quand la grosse vague des travailleurs est passée, en début de soirée, ce sont eux que je cherche…
C'est un chemin délicieux que de suivre ses rêves ; des rêves moi, je n'en ai pas. Mon temps, paradoxe, ne m'appartient pas. Mais chacun des rêves des Hommes me porte vers demain. Les voyageurs des songes sont les pépites de la gare… Tenez j'en aperçois un là-bas !

«Il me tarde, il me tarde depuis toutes ces années ! Quarante ans à la chaîne, tant d'années enchaîné… Enfin ! Je prends le premier train et d'une gare à l'autre je vais me perdre. J'irai jusqu'au bout des rails, jusqu'au bout du monde… JE L'ENTENDS, je prends mon premier train. »

Quel beau rêve chez cet homme.
À l'entendre, je sens comme ma fidèle, ma muse, ma gare me limite, il y en a tant d'autres de par le monde, et j'ai du temps pour m'égarer… Cher monsieur ! Oh, vous avez une montre aux rouages automatiques ! C'est un signe j'en suis sûr, permettez- moi, je vous en prie, de m'enrouler à votre temporalité…
Tic
Tac

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