La Purge - Partie 2

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Ed, un Anglais au fort accent londonien, commença à sectionner le grillage qui délimitait l’extrémité du parc. Il aimait parler — parfois trop — mais Paul le laissait faire, c’était bon pour le moral des troupes.

Une fois la clôture derrière eux, l’escouade se positionna en lisière de la forêt jonchant le parc d’attractions. La scène était étrange. La reproduction en taille réelle d’un tyrannosaure s’étendait au sol et donnait aux lieux un air lugubre. Un peu plus loin, une grande roue rongée par la rouille menaçait de s’effondrer. La lumière naissante de l’aube rendait le tableau d’autant plus funeste.

— En tout cas, je n’y emmènerai pas mes gamins, lança Ed dans sa langue natale.

— Restez concentrés, rappela Paul. On n’est pas là pour profiter du paysage.

Il fit signe à John d’approcher. L’ancien colonel de l’armée américaine était un expert de la traque. Il avait passé des années en Amérique du Sud à débusquer les bases secrètes des cartels de la drogue. Son seul passe-temps était la chasse, en particulier celle du grizzli, un des prédateurs les plus dangereux au monde. Lorsque l’OCIM lui avait proposé de poursuivre des proies incroyablement plus mortelles, il n’avait pas hésité une seconde.

John chercha une piste à l’aide de ses lunettes à vision thermique. La seule information dont ils disposaient provenait d’un drone de reconnaissance ayant survolé la zone la veille. D’après les photos, le mage s’était réfugié dans un ancien restaurant au milieu du parc.

— La voie est libre, annonça John.

Paul activa sa radio. Un léger grésillement lui confirma la connexion établie avec le centre de contrôle de l’opération.

— Contrôle, ici unité Alpha, nous avançons vers la cible

Le centre de contrôle répondit immédiatement.

— Bien reçu Alpha. Attendons confirmation de l’unité Beta.

L’équipe Beta, positionnée au sud du restaurant, réunissait les meilleurs tireurs d’élite de l’OCIM. Bientôt, Paul et ses hommes s’introduiraient dans le bâtiment pour pousser le mage à se retrancher vers le sud, où il serait accueilli par les salves des snipers.

— Ici Beta, répondit le commandant de l’unité alliée, nous sommes en position. Aucun visuel pour le moment, mais les lieux semblent habités.

Tant mieux, pensa Paul. Il était temps d’en finir avec ce terroriste.

Paul et son escouade approchèrent du restaurant, en utilisant la forêt comme couverture. Ils contournèrent la statue d’un autre dinosaure, un grand herbivore décapité. Le sauropsidé sans tête lui rappela le mauvais souvenir d’une exécution. Le visage encore animé du guillotiné lui avait confirmé qu’une coupure bien nette ne tuait pas immédiatement. Il en faisait régulièrement des cauchemars.

Paul détourna le regard de l’évocation morbide et traversa un carrousel croupi. Puis ils arrivèrent à la base de la grande roue, au nord du restaurant. Paul entendit son lourd métal grincer sous le vent glacial. Autrefois submergées dans un lac artificiel, ses fondations reposaient maintenant dans un fossé de quelques mètres de profondeur.

Sans un bruit, l’équipe de Paul se positionna derrière le bâtiment. Les fenêtres calfeutrées laissaient passer une lumière faible et il était impossible de savoir où se cachait le magicien. Ciaran s’approcha de la porte arrière, s’accroupit et glissa une fibre optique dans l’entrebâillement afin d’observer l’intérieur.

— Qu’est-ce que tu vois ? chuchota Paul.

— Rien. On dirait bien que c’est vide.

Merde, Paul avait espéré se débarrasser du mage rapidement.

— Contrôle, ici Alpha, demande d’entrer dans le restaurant.

— Affirmatif Alpha, bonne chance, confirma l’opérateur du centre de contrôle.

Les officiers de l’OCIM suivaient la mission comme s’ils y étaient grâce aux caméras installées à l’épaule de chaque soldat. Ils espérait ainsi immortaliser la mort de l’enchanteur.

Ciaran crocheta facilement la serrure de la porte verrouillée. Il avait confessé à Paul avoir appris cette méthode de son grand-père, un combattant de l’IRA ayant fait ses armes lors de la guerre d’indépendance de l’Irlande. Ciaran avait reconnu le paradoxe de la situation, le petit fils d’un homme autrefois considéré comme terroriste chassait désormais d’autres terroristes.

Paul avait vu rouge. Pour lui, les mages n’étaient pas seulement des terroristes, c’était des aberrations et les comparer à des humains s’apparentait à de la trahison. Ciaran n’avait pas reparlé de son grand-père depuis.

La porte s’entrouvrit et Paul entra le premier, fusil à l’épaule, prêt à faire feu. Sa main se crampa sur la poignée de l’arme et il dû calmer ses nerfs pour ne pas faire feu par accident.

Pour voir dans la pénombre, les soldats s’étaient équipés de lunettes à vision nocturne. Au moins un pouvoir magique dont ne disposait pas le sorcier. Paul et ses hommes explorèrent le restaurant de fond en comble, espérant débusquer leur cible dans chaque coin d’ombre. La recherche fut rapide, la bâtisse ressemblant plus à un hangar abandonné qu’à un ancien lieu de vie. Après une inspection minutieuse, ils durent se rendre à l’évidence : le bâtiment était vide.

— Merde, où est-il passé ? s’irrita John.

— Beta, la cible n’est pas sur les lieux, avez-vous un visuel ?

— Négatif. Il est forcément là, personne n’est sorti d’ici depuis votre arrivée. Nous avons… Attendez qu’est-ce que…

— Beta, que se passe-t-il ?

— Il est… contact, contact… aaaah.

Le cri d’agonie du soldat vibra dans les oreilles de Paul. Puis plus rien, à part le grésillement de la radio. Il sentit ses tympans se gonfler sous l’excitation du moment. Malgré le danger, il était impatient de se confronter à sa proie.

— Contrôle, nous avons perdu contact avec Beta. Avez-vous la cible en visuel ?

— Alpha, ici Contrôle, confirmons visuel. La cible est entrée en contact avec Beta. Procédez avec vigilance.

— Bien reçu Contrôle, nous nous dirigeons vers leur emplacement, dit Paul en faisant signe à ses hommes de le suivre.

L’escouade se positionna au sud du restaurant. Ils arrachèrent le papier journal qui leur obstruait la vue. Paul eut le temps d’apercevoir une photo du parlement allemand sur la page qu’il décolla. Le crocheteur irlandais travaillait déjà sur la serrure de la porte sud. La forêt dormait paisiblement et Paul se demanda quel tour sinistre le mage avait bien pu leur jouer. Ciaran lui tapa l’épaule pour lui confirmer l’ouverture de la porte.

Paul passa le premier, les autres derrière lui pour le couvrir. Ils se positionnèrent en formation défensive, un homme de chaque côté pour ne laisser aucun angle mort. Le soleil commençait à se lever et pénétrait difficilement les nuages épais. C’était néanmoins assez pour y voir clair et Paul retira ses lunettes infrarouges. S’il avait pu s’y préparer, il aurait préféré assister à la scène qui suivait avec la vue monochrome des lunettes.

Face à lui s’érigeait une forêt métamorphosée. Les arbres dévoreurs brandissaient fièrement leurs proies, des corps décharnés envahis par les branchages. Paul frémit. Les cinq hommes de l’unité Beta étaient sauvagement empalés aux troncs maculés de sang frais. Désormais ils pendaient là, sans bruit, devant les yeux consternés de l’unité alliée.

— Nom d’un chien ! lâcha Paul.

Ed resta de marbre, ce qui ne lui ressemblait pas. Mygale dégobilla sur ses bottes, trop bouleversé pour garder son dernier repas à l’intérieur de son corps.

— Ras le bol de ces conneries, s’énerva John.

— Cont… Contrôle, Beta est hors circuit, je répète Beta est… putain, ils sont morts. Ce salaud, comment a-t-il pu faire ça si vite ?

La réponse du centre de contrôle se fit attendre.

— Contrôle ? Nous recevez-vous ?

Toujours rien.

— Ciaran, répare-moi cette saloperie de radio.

L’irlandais travaillait déjà à une solution, mais abandonna rapidement.

— Elle est parfaitement fonctionnelle, le mage doit surement brouiller les ondes, déclara-t-il.

Paul réfléchit, ses ordres étaient clairs : intercepter le terroriste coute que coute. S’il s’échappait maintenant, il leur faudrait des mois avant de pouvoir le traquer de nouveau. Ses hommes le fixèrent dans l’attente de ses directives.

— Il doit se cacher quelque part dans les parages. On le débusque et on s’occupe de lui. Je…

Un bruit de métal résonna au nord puis les vitres du restaurant explosèrent dans un fracas de glace.

L’escouade se plaça en formation d’attaque autour de Paul et ouvrir le feu sur l’établissement déjà bien amoché. Ils ne savaient pas vraiment sur quoi ils tiraient, mais le son des fusils d’assaut les rassurait.

— Cessez-le-feu ! cria Paul lorsqu’il comprit l’inutilité de leur action. On retourne au restaurant, soyez sur vos gardes.

Ils reprirent leur chemin en sens inverse, laissant les hommes cloués aux arbres derrière eux. Le craquement des débris de verre marqua leur entrée dans l’édifice maintenant inondé de lumière. Le bâtiment était toujours aussi vide.

— Venez voir ça, appela Mygale.

Positionné à l’issue nord du restaurant, il faisait face au lac desséché. Paul approcha. Devant lui, le lac mort quelques instants plus tôt s’était rempli d’une eau trouble et avait avalé les pieds de la grande roue.

Paul fut témoin d’évènements surprenants depuis son arrivée à l’OCIM, mais jamais rien de tel. Cette magie défiait l’entendement. Il réprima une folle envie de prendre ses jambes à son coup.

— Comment… commença Paul avant de se rendre compte qu’il ne pourrait pas trouver d’explication.

La magie ne faisait pas de sens.

À sa droite, Mygale s’était accroupi au bord du lac pour examiner l’eau. Paul s’apprêtait à le rejoindre lorsqu’il le vit se faire happer par le lac. Paul, habitué aux tactiques des mages, comprit qu’il s’agissait d’une diversion pour les prendre par surprise.

— En position, il doit être tout près.

Les hommes restants se placèrent en position de tir. La tension était à son comble. Ciaran fut le premier à décharger ses munitions. Les trois autres suivirent alors que Mygale remontait à la surface.

Ed sembla vouloir achever une maquette de dinosaure déjà bien amochée. Ciaran lui s’en prenait à un stand de glace rouillé.

Paul sentit une chaleur intense dans son dos. Il se retourna et vit le lac bouillir comme une marmite sur le feu. Le tintamarre des fusils d’assaut couvrait les cris de Mygale, qui luttait pour sortir de la fournaise. Paul s’allongea au bord de l’eau pour le ramener sur la berge. Le liquide en ébullition jaillissait et brulait son visage.

Les autres, plus lents à comprendre l’ampleur de la situation, tentèrent à leur tour d’atteindre leur camarade. Les grosses gouttes de sueur aveuglaient Paul qui se démenait en vain. Puis Mygale cessa de se débattre, s’abandonnant à la merci du lac infernal. Ses cris stoppèrent et le lac retrouva son calme. Son corps flotta et Paul le ramena au bord du lac grâce à la crosse de son fusil.

L’Australien avait la peau complètement brulée. Paul chercha son pouls en plaçant ses doigts sur la carotide de Mygale. Son épiderme se détachait aussi facilement qu’une pomme de terre trop cuite. Paul faillit vomir. Pas de pouls de toute façon. Il fit signe de la tête et les autres comprirent qu’il ne fallait pas espérer le sauver.

— En formation, ordonna-t-il sèchement. Trouvez-moi ce connard de mage.

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