i.

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Un, deux, trois, il était une fois, une fois il était, ou deux, trois, quatre fois, après

quatre tentatives avortées, le petit personnage, – car les protagonistes de conte sont toujours minuscules au commencement – le petit personnage abandonna son ouvrage. Décidément, il ne parviendrait pas à le terminer ce soir : la concentration ne répondait pas à l'appel.

Le petit personnage que nous pouvons surnommer Petit Personnage, — ce qui nous évite d’inventer une pléthore de groupes nominaux, de métaphores douteuses, ou autres procédés stylistiques pour le désigner — Petit Personnage — mais comment faire lorsqu’il grandira, il ne sera plus petit, et est-ce qu’un prénom peut évoluer en même temps que son propriétaire ? Ou alors l’unique solution pour nous sera de le renommer mais, dans ce cas, il devra aborder une pluralité de prénoms différents au cours de son existence, car, quand cesse-t-on de grandir ? Peut-on véritablement interrompre notre processus de croissance, arrêter le temps, mettre l’histoire sur pause, rester continuellement le même ? — Petit Personnage avait sommeil. Il avait trop sommeil pour déchiffrer les signes qui maculaient le livre devant lui. Dans ces moments d’épuisement, le sens des mots lui échappait. Un bonjour devenait un dessin confus et creux. Le prononcer ne lui insufflait plus sa signification intrinsèque. Le mot était inerte sur la page. Petit Personnage se demandait pourquoi, tout à coup, un mot pouvait ainsi se replier, se recroqueviller sur sa forme, occulter son fond ; les mots, ça blesse, d’accord, mais est-ce que ça peut être blessé ? Pour réagir ainsi, ça le doit, oui, mais pourquoi s’offusquer ? Et comment Petit Personnage les avait-il irrités ? Petit Personnage pensa que, parfois, il se comportait maladroitement avec les mots. Il ne savait pas trop comment s’en servir. Un germait dans sa tête. Il le proférait. Un autre surgissait. Il s’extirpait de sa bouche. Alors les mots s’enchaînaient, les phrases s’étoffaient, une rangée s’établissait, comme une file de prisonniers. Petit Personnage jugeait que la comparaison convenait. Mais si, en filant la métaphore, les mots jouaient les prisonniers, qui tenait le rôle du geôlier dans l’histoire ? Petit Personnage n’avait pas l’impression de se montrer si tyrannique. Au contraire. Il était même trop tendre. De plus, il était timoré. Et pas qu’avec les mots, en outre. Il s’était à de nombreuses reprises laissé marcher sur les pieds. Une, deux, trois fois, voire quatre, à vrai dire. Il n’avait pas protesté la fois où sa sœur lui avait demandé d’échanger leur place pour qu’elle puisse mieux voir la télévision, par exemple. Petit Personnage s’était installé sur la chaise de sa sœur, et elle sur la sienne. Techniquement, sa place ne devait plus lui appartenir. Sur le moment, oui. Car, par la suite, il la récupéra. Mais, au fond de lui, il avait détecté une légère altération depuis que le fessier de son aînée avait touché sa chaise. Cette légère altération correspondait à un subtil malaise, un doute quant à sa soi-disante place. Mais, après tout, Petit Personnage ne se préoccupait guère de suivre le film qui était diffusé à ce moment. Pourquoi aurait-il refusé la requête de sa sœur ?

Petit Personnage craignait toujours que l’alarme de sécurité ne retentisse en sortant d’une boutique. Alors, il se forçait toujours à acheter quelque chose, afin d’éviter ces secondes de panique. Sauf qu’une fois, l’alarme anti-vol avait rugi — à cause d’un problème technique, naturellement, puisque Petit Personnage avait failli à ses tendances —. Notre protagoniste, humilié, effaré et certain qu’on lui avait glissé un objet non-payé dans son sac à dos, ne sut se défendre. Il se laissa inspecter, honteusement. En fouillant le fameux sac, le contrôleur ne découvrit qu’un livre que Petit Personnage avait acheté. Il n’avait donc rien dérobé.

Petit Personnage n’osait jamais occuper un strapontin dans le métro. Même s’il n’avait pu reposer ses jambes de la journée. Même s’il avait fait un marathon. Même s’il était exténué. Sauf que, un soir, après six heures de cours entrecoupées de cinq minutes de pause, Petit Personnage fut soudain pris d’un vertige. Sa vision se troubla. Il dut s’emparer de la seule chance restante d’un autre malheureux, handicapé, tétraplégique, ou d’une femme enceinte. Il posa son fessier sur le dernier strapontin disponible, ravagé par la culpabilité. Et, comme les coïncidences ne tombent jamais seules, une vielle dame grimpa dans le wagon, guetta les sièges encore disponibles, qui étaient au nombre de zéro, dévisagea les passagers qui avaient pris sa place à elle, personne légitimée à disposer d’une assise en ces heures douloureuses de pointe, suspendit son regard mauvais sur — on le sait déjà — Petit Personnage, et grommela dans sa barbe « Ah, les jeunes d’aujourd’hui ! Flemmards et irrespectueux envers les pauvres gens. Vous verrez, quand vous serez vieux et fatigués, ce que ça fait ! Va ! ».

Enfin, dernier exemple mobilisé afin d’illustrer nos propos, Petit Personnage avait, une fois, découvert à ses pieds, sur le bitume, un billet de cinq euros. Miracle ! Il était affamé, mais n’avait, comme à son habitude, pas de liquide sur lui. Il craignait qu’un renard futé ne passe par là et ne s’empare de son précieux dû. Or, la boulangerie au coin de sa rue, faisait partie de ces rares spécimens à ne payer que par espèces. Joie, il pourrait enfin profiter de leurs sucreries sans se faire abuser par un saligot ! Il pourrait acheter une baguette à peine sortie du four dont l’odeur l’alléchait à chaque fois qu’il passait devant la boulangerie. Il se délectait déjà de son goûter. Mais il voulait s’assurer que le véritable propriétaire du billet, détenteur légitime du trésor, ne se trouvait pas dans les environs. Petit Personnage vérifia autour de lui : il n’y avait personne. Alors qu’il s’apprêtait à se pencher pour attraper le billet, il sursauta. Une femme approchait à grands pas. Terrifié qu’on puisse le prendre pour un voleur, Petit Personnage abandonna le billet, et donc l’idée d’un goûter avec. Il patienterait.

Petit Personnage faisait toujours prévaloir les autres à son détriment. Son argumentaire était simple et concis, le voici : à quoi ça sert de prendre soin de soi ? Petit Personnage dissimulait en lui un fin stratège. Tous ses actes étaient au préalable calculés. Dans sa tête un conseil d’opérations à seconder dans la journée délibérait. Alors, ce dossier, il faudrait l’avoir conclu à onze heures moins sept, et Bidule, il faudrait lui envoyer un message à midi vingt-six, faute de quoi notre lien pourrait totalement se dégrader ; aujourd’hui est le jour le plus propice pour exécuter cette tâche. Après, il serait trop tard.

Trop tard. Manquer les occasions, Petit Personnage ne pouvait se le permettre. C’est pourquoi il se levait tous les jours à six heures et quart avec le chant d’un coq pré-enregistré sur son téléphone en guise de réveil — méthode imparable, en l’entendant, on n’a qu’une envie ; qu’il cesse, qu’il cesse, tais-toi, vociféra Petit Personnage au petit matin du douze novembre. Petit Personnage, à six heures et quart, était toujours mal-luné, et plus particulièrement ce jour-là, car il avait un exposé à présenter seul devant sa classe, seul contre tous avec comme unique arme une feuille couverte de mots et de nombres. Petit Personnage quitta son lit précipitamment, éteignit ce fichu réveil, dégusta en cinq minutes son petit-déjeuner, se rendit au cabinet en vitesse, puis, à la salle de bain, se brossa les dents, aspergea son visage d’eau, vérifia l’état de sa crinière hirsute — rien à faire avec —, s’habilla avec la tenue qu’il avait apprêtée la veille comme de coutume pour réduire le temps perdu à se détruire les méninges pour, s’étira ; il était désormais sept heures. Petit Personnage repartit s’allonger sur son matelas.

Il fixa alors le plafond de sa chambre, réitérant les mots qu’il dégurgiterait tout à l’heure devant ses prochains bourreaux. Il cligna des yeux — il avait mal dormi à cause de l’angoisse —. Le temps s’écoula. Les minutes défilèrent avec une lenteur presque léthargique. Petit Personnage restait là, à contempler le mur, captif de sa blancheur. Il regardait et tâchait d’écarter d’un revers d’esprit les potentielles catastrophes qui pourraient survenir lors de son passage. Mais cet oral était un mur, un mur gigantesque en béton armé ; notre protagoniste ne pouvait s’en rescaper. A chaque fois qu’il désarçonnait ses conjectures, le mur réapparaissait. Petit Personnage attendait dans l’angoisse. Petit Personnage avait peur. Il avait peur que son heure ne vienne. Et qu’elle ne vienne pas, à la fois. Il voulait que ce moment soit déjà révolu, mais il était là, étalé sur son lit à observer le plafond. Comme s’il pouvait le secourir d’une fatalité déjà trop bien engrenée.

À huit heures, Petit Personnage émergea définitivement des draps chauds et du matelas douillet de son lit. Il était l’heure de mener son combat.

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