fin.

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Sa routine brisée, il se retrouvait sans boussole. Petit être égaré, écho de sanglots passés. Petit Fantôme marchait dans la rue, avec la conviction que tous les passants le dévisageaient. Eh, regardez-le, il a l’air trop con et paumé ! Petit Fantôme entendait — presque — leur voix. Il accéléra le pas. Mais les regards le pourchassaient. Petit Fantôme se rappela qu’un endroit sans personne, ça n’existe pas. Les gens avaient colonisé le moindre recoin de terre. À chaque intersection de rue, Petit Fantôme pressentait leur présence. Ils étaient prêts à le dévorer des yeux. Ces yeux de grands méchants loups.

Brusquement, Petit Fantôme fut parcouru d’un souvenir de Petit Personnage. Un ancien souvenir d’un regard. Un regard d’ailleurs, de quelqu’un d’autre que lui, mais immobilisé sur lui, comme s’il lui appartenait. Comme si Petit Personnage était cette autre personne. Des yeux qui envahissent chaque fragment de chair. Des yeux qui comprennent. De trop. Car, ainsi toisé, Petit Fantôme s’était volatilisé de lui-même. Il s’était confondu en l’autre, alors lui. Il n’y avait pas assez de place pour lui et un autre. Petit Personnage était de trop. Petit Fantôme, moins consistant, le remplaça. Pour la première fois. A cause d’un coup d'œil inquisiteur. Petit Fantôme sentit ce regard sur lui. En lui. La peur le gagna. Il s’enfuit. Mais rien n’y fait : on ne peut s’écarter bien loin de soi. On se colle à la peau, comme un Bernard l’hermite sur son rocher. Désespérément. On répugne à se perdre. Puis, on dépasse les bornes, nos angoisses nous emportent. Plus aucun retour en arrière possible, on bascule.

Petit Fantôme avait miraculeusement atteint le palier du logement familial sain et sauf. Du moins, son corps n’avait subi aucun dommage. À l’inverse de son mental. À l’intérieur, Petit Fantôme tremblait encore. On l’avait vu. Faible. Démuni. Transi de peur. Humain, trop humain. À ce grand mal, qu’un remède : l’isolement. Il se calfeutra dans sa chambre.

Petit Fantôme avait accordé sa soirée à examiner les fissures du plafond, allongé sur le sol. La dureté du plancher l’obligeait à oublier les épisodes précédents. Amnésique, il était anesthésié. Plus de douleur dans la poitrine. Plus de honte. Et quand elle la sourdait à nouveau, Petit Fantôme roulait sur le sol. Contemplait le mur. Il ne voulait pas se remémorer son humiliation. Or, rien que son déni, cette place vacante dans son esprit, ravivait le feu anxiogène qu’il tâchait d’éteindre totalement. Aujourd’hui, Petit Fantôme avait rangé son passé dans un placard couvert de poussière par le temps. Il n’irait pas le récupérer. Son identité avait été balayée par un désir. Si simplement. Petit Fantôme s’enfonça dans son absence de personnage comme on s’enfonce dans un fauteuil bien moelleux. Personne ne pourrait le ramener à ses origines.

La soirée s’abattit à ses côtés. Petit Fantôme avait affreusement sommeil. Et terriblement faim. Il n’avait pas mangé de la journée, et les signaux de son corps indiquaient une potentielle crise d'hypoglycémie. Il se leva. Son champ de vision se brouilla. Ses jambes, si flageolantes, ne pourraient le porter bien loin. Heureusement, la cuisine n’était séparée que de quelques mètres de sa chambre. Il espéra ne pas être vu durant son parcours. Ne pas être vu. Ne pas être vu. Ne plus être visible. Je suis un fantôme. Rabacher : je suis un fantôme. Je. Suis. Un. Fantôme. Je suis un.

Sa sœur l’avait vu.

Ayant décroché un travail dans l’évènementiel — elle organisait des salons sur le monde japonais dans toute la région et ce chaque mois —, elle rentrait souvent tard. Ce fut le cas d’aujourd’hui. Petit Fantôme n’avait plus le temps de déguerpir jusqu’à son antre. La confrontation approchait, fatidiquement.

Elle était accoudée à la table, les yeux rivés sur une série japonaise, la main entortillant des spaghettis au ketchup, quand elle entendit un léger bruit. Un bruissement, presque. Et, lorsqu’elle aperçut son frère, qui avait totalement disparu de la circulation jusqu’à alors, elle ne put enfourner sa bouchée. Ses yeux s'écarquillèrent de plus en plus. Et, au lieu de savourer son repas en ignorant l’apparition inopinée de son cadet, elle tira la chaise à sa droite et s’exclama :

— PP ! Ça fait si longtemps que l’on n’a pas mangé ensemble, je te sers des pâtes ?

Petit Fantôme s’était évanoui, et Petit Personnage s’était réveillé de son coma existentiel. Il fit quelque chose qu’il ne réussirait jamais de sa vie à intégrer, quelque chose qui le sauva de son aliénation absolue, il dit :

— Avec plaisir.

Et s’assit.

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