L'AUBERGE *** I***
PALAIS D’UTLYA - SECRÉTOIRE
La Régente faisait les cents pas dans le Secrétoire, perdue dans ses pensées. Ses parents, son oncle, le roi Gotbryde et son épouse Calyssia, ses ancêtres avant eux, puis maintenant, Guitry. Toutes ces personnes perdues à tout jamais. Bien sûr, elle ne connaissait pas Guitry, mais elle avait eu l'occasion de parler à quelques reprises avec lui lors des repas ainsi que dans le Piros. Il émanait de cet homme une personnalité rayonnante, souriante et positive. Cela lui fendait le cœur de savoir qu'il était la victime d'une cause qu'il ne portait pas au fond de lui.
Un discret courant d'air la surprit, faisant virevolter une mèche de ses cheveux d'or.
— Slikof... Qui d'autre ? annonça-t-elle sans surprise.
— Que voulez-vous dire, Votre Altesse ?
— Vous êtes comme un chat noir dans la pénombre. Comment faites-vous pour ne pas faire grincer cette satanée porte du Secrétoire ?
Il afficha un sourire en coin, satisfait de sa discrétion.
— C'est un secret bien gardé par les Oiseaux de nuit.
Slikof se permit un clin d'œil complice qui fit sourire Saranthia.
— Il n'en est pas moins vrai que vous avez tout de même senti ma présence, félicita-t-il.
— L'air frais s'est engouffré dans la pièce, comme si un fantôme venait de faire irruption.
— Oui. Je ne peux malheureusement rien contre les éléments, Régente Saranthia.
Ils se rapprochèrent mutuellement l'un de l'autre.
— Alors ? Comment allez-vous ? lança-t-il d'un ton soucieux.
Elle hésita.
— Disons que les choses sont plus mouvementées que prévu. Je ne pensais pas que nous subirions une attaque aussi rapidement après mon couronnement. Cela n'augure rien de bon.
— Ne vous inquiétez pas, je ne permettrais pas qu'il vous arrive quoi que ce soit, répondit-il fermement.
— Vous ne pouvez pas sauver tout le monde, Slikof, interrompit-elle sèchement. Vos oisillons ont leur limite, et vous aussi. La preuve en est... Malgré vos excellents services, la famille d’Ultya s'est dissoute au fil des siècles. Nous ne sommes plus que deux.
Il fronça les sourcils, un peu vexé par ses propos, mais il était aussi touché par le visage résigné qu'affichait la Régente. Toujours aussi proche l'un de l'autre, Slikof lui remit une mèche de cheveux en place derrière l'oreille. Il se surprit lui-même lorsqu'il se rendit compte qu'il venait de toucher la Reine. Pris de panique, Slikof courba l'échine.
— Je suis désolé, Votre Altesse !
Il s'excusa avec une profonde révérence. Ce geste avait été instinctif, ignorant le rang de la Régente. Saranthia s'avança vers lui pour capter son regard.
— Vous n'aviez pas eu d'attention envers moi depuis si longtemps...
— Je n'aurais pas dû. Je regrette.
— Pourquoi nos comportements devraient-ils changer ? C'est votre rang ou le mien le problème ?
De Xylis peina à dissimuler son émotion, lui qui était d'ordinaire si impassible. Bien qu'il refusât de répondre à cette question, une autre le préoccupait depuis longtemps. C'était l'occasion parfaite pour l'exprimer.
— Est-ce à cause de moi que vous êtes partie sur cette planète de glace ?
Saranthia prit un instant de silence avant de répliquer :
— Pourquoi pensez-vous que je suis partie ?
Le reproche transparaît dans le ton qu'elle utilisa, le rendant responsable de son départ.
— Je ne pouvais pas. Nous…
Mais elle interrompit sa tentative d'explication d'un geste de la main, la colère prenant le dessus.
— Oh, donc il y avait un nous après tout ?
La Régente perdit son calme.
— Tu n'as jamais mentionné ce "nous" auparavant !
La conversation devint plus intime et les vieilles rancœurs refirent surface.
— Tu sais bien quels étaient mes engagements, tu les connaissais aussi à l'époque, Saranth.
Les Oiseaux de Nuit formaient une prestigieuse organisation d'espionnage à travers la galaxie d’Ultya, jouissant d'honneurs et d'une vie confortable. Cependant, en prêtant serment au Nid, un Oiseau renonçait à toute vie personnelle, transformant l'amour en un souvenir lointain ou un désir inaccessible. Cette privation faisait des Oiseaux du roi des agents incorruptibles, loyaux et droits. Saranthia, à bout de nerfs, s'avança vers lui avec exaspération, terminant sa course avec sa bouche presque contre la sienne.
— Tes engagements... Ils étaient bien loin lorsque tu t'aventurais dans mon lit !
Quelqu'un entra alors avec fracas dans le Secrétoire, mettant fin à la querelle. Kylburt reprit rapidement son souffle pour leur annoncer la nouvelle.
— La princesse n'est plus dans le palais !
PALAIS DE ZOLDELLO - BIBLIOTHÈQUE
Fyguie était impressionné par le nombre d'ouvrages qu'elle recelait. Tous les thèmes étaient traités, et il y avait même des revues scientifiques. Au détour d'un rayon, il croisa Sylice, la demoiselle D'Argon. Il s'en approcha doucement, lorgnant par-dessus son épaule.
— Qu'est-ce que vous lisez ?
Elle referma hâtivement le livre en se tournant dans sa direction.
— Cela vous intéresse-t-il vraiment ? Où est-ce une manière d'entamer une conversation ?
Fyguie sourit, amusé par sa réaction.
— Vous posez toujours autant de questions ?
— Je ne suis pas scientifique pour rien. Je me demande si vous êtes vraiment intéressé par le titre du livre ou si vous vouliez en savoir plus sur sa lectrice ?
— Alors disons que les deux m'intéressent, rougit Fyguie avec un sourire benêt.
— L'intitulé du livre et me parler ?
— Voilà ! Tout juste ! confirma-t-il en levant l'index comme pourrait le faire Zorth.
— Eh bien, il s'agit d'un bouquin sur les différents articles de vulgarisation sur la matière noire. Et maintenant que la conversation est engagée, je vous écoute. Que vouliez-vous me demander ?
— Je n'avais pas vraiment de sujet précis, s'étonna le jeune homme.
— Donc vous voulez dire que vous avez interrompu ma lecture dans le seul but d'être au centre de l'attention ?
Fyguie rit volontiers. Il ne savait pas vraiment comment réagir et se gratta l'arrière de la tête, un peu embarrassé.
— Est-ce si terrible de vouloir discuter ?
— Discuter de quoi ?
Sylice venait de lui poser la question tout en plaquant son livre sur sa poitrine et en s'approchant.
— De tout et de rien, bégaya-t-il.
— Vous êtes tellement imprécis pour un scientifique.
Fyguie était adossé à l'un des meubles du rayon. La jeune femme venait de faire basculer son bouquin dans son dos et se penchait en avant pour accrocher le regard fuyant de Fyguie.
— Êtes-vous aussi évasif pour cacher vos réelles intentions, Monsieur Flokart ?
Pris au dépourvu, Fyguie se redressa instinctivement, mais ses joues rouges trahirent son embarras. Heureusement, une personne entra dans la bibliothèque, interrompant ce moment gênant. C'était l'Adhara, Binny Ristoc, qui entra avec énergie lancer l'alerte.
— Kybop n'est plus au palais !
PALAIS DE ZOLDELLO - DANS LA SALLE DU TRÔNE
Tout le monde se retrouva en urgence dans la salle du Trône.
— Kybop et la princesse ont disparu ! proclama Kylburt.
— Vos Oiseaux ne savent rien ? s'affola Zorth.
— Si. Quelqu'un aurait vu deux jeunes femmes poser des questions étranges dans le bas du village dans la soirée.
— Qu'est-ce qu'elles faisaient là ? demanda Saranthia, déconcertée.
— Étaient-elles seules ? renchérit Binny.
— Apparemment. Elles auraient pris la direction de l'ouest, en direction de Gyskon. Un petit village malfamé, non loin de Zoldello, précisa Slikof.
Saranthia se leva pour prendre la parole, épouvantée par l'éventualité que sa cousine soit en danger.
— Retrouvez Lilas ! Elle ne doit pas rester hors du palais !
— Oui, Régente. Nous allons nous en occuper, assura Kylburt d'un ton ferme.
Slikof fit signe à Kylburt qu'il était temps de partir.
— Attendez ! Je viens avec vous ! s'empressa d'ajouter Binny.
— Moi aussi ! cria Fyguie en les poursuivant.
Ils partirent alors tous les quatre en direction des jardins. Avant de sortir de la pièce, Slikof attrapa Milo par le bras pour lui glisser un mot.
— Veillez sur Saranthia pendant notre absence. Vous et la commissaire. Ne me décevez pas.
L'Officier prit apparemment la directive à cœur.
— Vous pouvez compter sur nous.
GYSKON - DANS L'AUBERGE
Kybop sentit tous les regards rivés sur elle, comme un morceau de chair fraîche dans l'antre d'un ogre affamé. En scrutant les individus présents, son attention se fixa sur trois silhouettes retranchées dans un coin, portant des capes ridicules. Si leur intention était de rester discrets, c'était un échec retentissant.
Elle réalisa qu'elle allait devoir les aborder, peu importe la manière. Plusieurs options s'offraient à elle, mais pourquoi faire preuve de subtilité ? Tout le monde l'avait repérée. Son instinct lui disait qu'ils étaient ceux qu'elle cherchait, et elle n'avait pas de temps à perdre. Elle s'approcha d'eux, et à sa grande surprise, ils levèrent tous les trois les yeux vers elle en même temps.
— Salut ma belle, grogna Bogz.
Elle lui lança un regard empreint de rage et de dégoût. Ces personnes étaient très certainement les régicides ainsi que les meurtriers de Guitry, et cette pensée fit vriller son esprit.
— Salut les étrangers, finit-elle par lancer, la voix tremblante de haine.
Ils rirent en cœur, faisant semblant de ne pas comprendre sa présence ici.
— Étranger ? Qu'est-ce qu'il te fait dire ça ? nargua Fiora.
— Seuls trois abrutis d'étrangers pourraient penser qu'une simple cape noire ridicule les rend invisibles.
GYSKON - À L'EXTÉRIEUR DE L'AUBERGE
Lilas triturait nerveusement ses doigts. Elle était à l'affût du moindre mouvement venant de l'auberge ainsi qu'à ses alentours.
Je devrais peut-être y aller... Non. Ce n'est pas prudent... Et si elle a besoin de moi ? Pfff... Qu'est-ce que je pourrais faire de toute façon ?
Alors qu’elle se torturait l’esprit, quelqu’un l’attrapa soudainement par la manche, la tirant brusquement hors du flot de ses pensées. Lilas reconnut aussitôt son assaillante : c’était Binny.
L’Adhara, ne l’ayant pas reconnue, avait plaqué la princesse contre la calèche, un couteau pressé contre sa gorge. Trop choquée pour réagir, Lilas resta figée un instant.
Lorsque Binny réalisa enfin l’identité de sa captive, elle relâcha immédiatement sa prise et abaissa la lame.
— Princesse ! Mais qu'est-ce que vous faites ici ?
— Tout le monde vous cherche ! Où est Kybop ? râla-t-elle sur la princesse.
Elle s'emparra de son visiocommunication et averti le reste du groupe Slikof, Kylburt et Fyguie firent leur apparition très rapidement.
— Princesse ! Loué, sois le Nid ! expira Slikof, rassuré de la voir saine et sauve.
Kylburt, son ami de toujours, n'en revenait pas. Lilas n'était pas du genre à prendre ce genre de décisions dangereuses.
— Qu'est-ce qu'il t’a pris ?
Kylburt ne décolérait pas. Lilas se redressa, fatiguée par tant de reproches.
— Auriez-vous oublié à qui vous vous adressez ? Vous me parlez mal, me menaçant d'un couteau sous la gorge ! Je suis la princesse D’Ultya !
Slikof plaqua sa main contre sa bouche pour la faire taire.
— Pitié, Lilas. Soyez plus discrète.
Elle lui retira sa main avec violence.
— Où est Kybop, princesse ? interrogea Ristoc en la fusillant des yeux.
Vexée, elle tourna simplement la tête en direction de l'auberge. Tout le monde suivit le mouvement.
À l'instant précis où leur attention se porta sur la maisonnette, un coup de feu retentit. Kylburt attrapa Slikof par l'épaule.
— On fait quoi ?
— La princesse en priorité. Ramenez-la au palais.
— Non, je n'irai à nulle part !
— Je ne vous demande pas votre avis ! Ordre de la Régente ! Kylburt, ramenez-la, auprès de Saranthia.
Binny et Fyguie s'approchèrent du maître espion.
— On vous suit.
Il les remercia d'un hochement de tête. Alors qu'ils s'avançaient en direction de l'auberge, La princesse tenta de se débattre. Mais la force herculéenne de Kylburt ne lui laissa aucune chance.
— Calme-toi, Lilas.
— Je ne veux pas partir ! Lâche-moi, Kylburt !
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