Chapitre 6 (2) - Calme toi, Lulu !

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Deux heures du matin. Lucas avait été obligé de faire sortir les derniers clients encore secoués par ce qui venait de se passer au Petit Marcel. Pour réconforter la clientèle, avec Marie, ils avaient offert un café à ceux qui étaient restés discuter à l’extérieur. Les gens étaient rentrés, frigorifiés, pour apprécier la chaleur d’une boisson réconfortante.

Lucas essuyait frénétiquement les verres.

- Calme-toi Lulu. Tu vas finir par en casser un. On a fait tout ce qu’on a pu. Le coupable finira bien par être démasqué, voulut le rassurer Marie.

- Ah oui, tu y crois toi, tu parles! J’aimerais bien avoir ton optimisme. Mais qui en a quelque chose à foutre de tous ces pédés hein ? Qui ? s’emporta Lucas qui jeta son torchon dans l’évier pour aller chercher le balai.

En quatre ans de service au Petit Marcel, c’était la première fois qu’une telle agression avait lieu. Une fois le jeune homme secouru, plusieurs clients, portés par l’émotion collective, avaient proposé de partir en groupe pour sillonner les rues et retrouver l’agresseur et aller rendre justice eux-mêmes. Soutenu par d’autres clients, Lucas avait rapidement élevé la voix pour étouffer toute tentative d’expédition punitive. Faire retomber la tension et ramener la clientèle au calme était une priorité. Les insultes ou les intimidations dans la rue aux abords du café, les clients s’y étaient malheureusement habitués. Bien souvent, ils répondaient par l’indifférence, leur meilleure arme de défense. Côté excès et agressivité, Lucas était aussi habitué à régler les problèmes et savait se défendre. A maîtriser le client éméché de fin de soirée prêt à en découdre avec le premier venu. Fort heureusement, tout finissait généralement par rentrer dans l’ordre rapidement. Le client se faisait raccompagner chez lui soit par ses amis soit par quelqu’un de compatissant. Il était même arrivé pour certains habitués du café, de revenir le lendemain matin avec des croissants pour se faire pardonner.

Mais, ce soir, c’était différent. Lucas n’avait jamais vu Tom aussi bouleversé. Lui qui était arrivé euphorique, en début de soirée avec ce jeune homme…D’où sortait-il d’ailleurs? Sa curiosité le pousserait sûrement à lui poser la question plus tard. Mais pour le moment, il n’était pas vraimentp d’humeur à plaisanter.

Il serra fermement son balai. Toute cette violence, il ne l’avait jamais supportée et ce soir encore moins. Il avait assez donné avec un père alcoolique. Des soirs comme celui-ci, il se disait qu’il avait bien fait de partir définitivement de chez lui. Il se revoyait en train de faire sa valise en toute hâte pour éviter la colère de son paternel. Il avait 17 ans et demi.

Marie se doutait bien de ce que pensait Lucas à cet instant. C’est elle qui l’avait recueilli la première fois qu’il était entré au Petit Marcel pour demander à tout hasard s’ils n’avaient pas du boulot pour lui. À défaut de répondre favorablement à sa demande (pas tout de suite, mais ça peut changer avait-elle laissé entendre), elle lui avait offert un café qu’il s’était empressé d’accepter. Elle n’oublierait jamais ce jeune homme brun, aux cheveux courts, ses beaux yeux gris, à la fois perdus et déterminés, signes que la vie ne l’avait pas épargné. Il était revenu, quelques mois plus tard, renouveler ses services en tant que serveur, en postulant à l'offre que le café avait fait paraître. Elle l’avait pris à l’essai, mais n’avait pas eu à réfléchir plus longtemps pour savoir qu’il ferait l’affaire. Lucas avait naturellement le sens du contact, doublé d’un sens de l’humour et de la répartie qui en avait surpris plus d’un. Marie la première. Elle avait été rassurée de voir qu’il avait été vite adopté par la clientèle du Petit Marcel. Depuis, ils formaient un duo inséparable. Devenus associés depuis deux ans et surtout des amis.

Seules les lampes, suspendues au bar éclairaient faiblement le café dans son entier. Une atmosphère douce. Le calme après la tempête. Comptoir propre et rangé. Verres étincelants, suspendus. Chaises retournées sur les tables. Après s’être débarrassés de leur tablier, ils récupérèrent leurs manteaux dans la remise et sortirent. Lucas s’assura à deux fois que la porte du bar était bien fermée à double tour. Marie renouvela sa proposition de le raccompagner chez lui en voiture, mais il la rassura en lui disant qu’elle n’avait pas à s’inquiéter pour lui. Marcher lui ferait le plus grand bien. Ils s’enlacèrent un long moment. Ils firent quelques pas ensemble avant que Marie ne retrouve son automobile stationnée dans une rue à deux pas du café. Lucas attendit de la voir disparaître au bout de la rue avant de poursuivre en direction de son appartement. Les deux mains dans les poches, tête baissée, il marchait à vive allure transi par le froid. Derrière lui, le bruit d’un verre cassé. Il se retourna, alerte, mais ne vit personne. Avait-il bien entendu ou était-ce son imagination? Il suspendit son pas pour écouter le silence. La tension de la soirée ne l'avait visiblement pas quittée. Epuisé, il reprit sa route en accélérant sa marche. Psssst, Lucas! Il se retourna de nouveau. Cette fois-ci pas de doute, c’est lui qu’on appelait. Caché dans le renfoncement d’une porte cochère, Lucas aperçut une ombre se découper dans la nuit.

- Bah qu’est ce que tu fais là à cette heure-ci, je te croyais parti du café depuis longtemps ? dit Lucas qui reconnut aussitôt l’homme qui venait à sa rencontre.

- J’ai pas osé parler devant tout le monde tout à l’heure mais je crois savoir qui a agressé le jeune homme. Enfin, j’en suis pas sûr et je ne voudrais pas accuser quelqu’un qui…

- Vas-y parle, qui est-ce ? coupa Lucas, excédé par toute cette soirée.

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