Chapitre 36 (3) - Sois fort mon fils

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Une heure plus tard, ils comptèrent avec difficulté le nombre de bières alignées devant eux. Ils éclatèrent de rire en choeur.

- Tristan, crois-moi. A quinze ans, mon instinct m’a dit de fermer ma gueule et d’enfouir ce que j’avais ici, tout au fond dit-il en montrant du doigt le cœur de Tristan. Ce n’est qu’en découvrant Le Petit Marcel que j’ai su définitivement qui j’étais. Sans le Petit Marcel, je ne sais pas comment j’aurais fait. Le Petit Marcel, c’est mon QG. Un repère où j’ai réalisé que je n’étais pas le seul pédé sur terre. Que je n’étais pas un malade mental, qu’il fallait enfermer, comme mon père me l’a laissé croire toute ma vie. Combien de fois il m’a répété que ce n’était pas pour rien qu’il m’avait appelé “Rickie”, trop fier que je porte comme héritage le prénom germanique de mon arrière-grand-père. Il se faisait appeler “Le roi” par sa famille. Un héritage de cinglé, moi j’dis! “Soit fort mon fils, fait pas ta fiotte”. Voilà ce que j’ai entendu toute mon enfance. Et je te passe les détails. Le Petit Marcel, c’est ma forteresse. J’ai pu vider mon sac sans honte. Je suis devenu plus solide mais pas comme mon père l’aurait voulu. Avec l’aide et le soutien de mes amis. Car tout seul, tu ne peux pas t’en sortir. Tu peux compter sur Paul, moi j’ai Barbara. Et ça tu vois, ça n’a pas de prix.

Il s’arrêta de parler, surpris par un hoquet. Il regarda le mur aux couleurs passées, comme s’il admirait un tableau, d’un air contemplatif. Sa tête partait en vrille. Non, sa vie. Sa vie tout entière. Tristan regarda dans la même direction, avec un hoquet lui aussi. Il n’aurait jamais dû boire autant. Sa tête commençait à tanguer.

- Je sais pas toi, mais moi je crois bien que j’en tiens une bonne” dit Rickie, en riant tout seul, désespéré. Je serais toi, j’éviterai de me regarder dans une glace et j’attendrais un peu avant de retourner voir ma copine.

Fatigué et enivré comme il l’était, Tristan savait exactement à quoi il ressemblait. Un visage maigre, une peau d’une extrême blancheur qui contrastait avec la monture épaisse de ses lunettes. Et ses grands yeux vitreux. Il éclata de rire de nouveau, mollement.

- Ouais t’as raison, je crois que j’ai besoin d’aller marcher un peu.

Rickie se leva péniblement et alla payer les consommations directement au bar. Ils sortirent du café. La pluie avait cessé et le soleil commençait à poindre prudemment à travers les nuages. Tristan regarda sa montre. L’heure du déjeuner était largement passée, Marianne allait être dans tous ses états. Ils se serrèrent la main avant de se séparer. Tristan décida de faire un détour par la gare. Arrivé sur place, il se mélangea à la foule qui sortait des nombreuses rames de trains, marchant à contre-courant des voyageurs, plongeant dans leurs yeux absorbés par leur destination ou les visages familiers qui les attendaient. Il se fit bousculer par un gros sac en toile d'un homme pressé. Une jeune femme perdue lui demanda la sortie la plus proche. Son cerveau ne réagit pas tout de suite, comme encore engourdi par l'alcool. À peine avait-il ouvert la bouche pour formuler sa réponse que la fille avait tourné les talons. Il resta sur place quelques secondes sans réagir. Il finit par emprunter de vieux escaliers de fer qui menaient à un grand pont, au-dessus des quais. Il regarda, hypnotisé, les trains qui arrivaient en ralentissant. D’autres filaient à toute vitesse, dans un bruit assourdissant. Au bout d'un long moment qui semblait s'éterniser, il finit par sortir de sa léthargie. Lentement, il redescendit les marches les unes après les autres, laissant derrière lui l’écho métallique de ses pas. Il se résigna à rentrer chez lui.

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