Chapitre 5 (2) - Le Père Noël est déjà passé

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— C’est gentil...mais non merci, je suis venu avec un ami.

Plus qu’embarrassé, Paul détourna le regard et réussit à capter l’attention du serveur. Il en profita pour formuler en toute hâte sa commande. Ce fut finalement Marie qui lui apporta son assiette. Il glissa entre deux verres vides ses pièces de monnaie que la serveuse empocha d’un geste rapide, lui tournant déjà le dos pour aller à l’autre bout du zinc servir un client un peu éméché. Paul lui demanda en criant si l’établissement disposait d’un téléphone dont il pourrait se servir. Lucas, qui secouait un shaker avec agilité lui répondit :

— Ah désolé, le téléphone ici ne fonctionne plus pour le moment. Par contre, sur la place, t’as une cabine juste à droite en sortant du café si tu veux.

Paul le remercia puis revint à la table du fond, où Tom était de dos en pleine conversation avec un homme, la quarantaine passée. Un mètre quatre-vingt, silhouette athlétique malgré un début d'embonpoint que ne pouvait cacher un pull à col roulé. L’homme debout, fit tomber à ses pieds la cendre de sa cigarette d’un geste délicat de la main avant de le toiser de la tête aux pieds de son regard pénétrant. C’était l’homme qui lui avait gentiment tenu la porte d’entrée ouverte à son arrivée. Les traits durs de son visage carré et sa posture inflexible indiquaient qu’il ne bougerait pas d’un centimètre. Ce qui empêchait Paul d’aller s'asseoir.

— Ah mais je vois que le Père Noël est déjà passé pour certains ! dit l’homme avec un air suffisant.

— Mais tais toi Marc, t’es pas drôle tu sais, répliqua Tom d’un ton cinglant, comme piqué à vif.

L’homme perdit son air hautain et baissa les yeux comme si on venait de gronder un enfant. Contrarié, il se décala d’un pas afin que Paul puisse s'asseoir.

— Et bien...bonne soirée, dit-il avec regret. Il dévisagea Paul avant de repartir en direction de sa table.

Paul mal à l’aise, ne fit aucun commentaire. Il déposa l’assiette sur la table. Pour cacher sa gêne, il commença à manger tel un affamé. Tom dont le sourire avait disparu, picorait timidement quelques morceaux de fromage et hocha la tête quand Paul l’avisa qu’il devait appeler ses parents. Ils se turent le temps de leur repas improvisé. Paul regardait tout autour de lui pour se donner une consistance et éviter le regard de Tom qui avait perdu toute assurance. Une fois rassasié, celui-ci retrouva une once de sourire.

— Alors comme ça tu habites chez tes parents et tu as oublié de les prévenir que tu ne rentrais pas pour dîner, dit-il moqueur.

Paul, qui s’était levé pour aller téléphoner, se sentit pris de court et se rassit aussitôt. Il lui expliqua qu’il devait juste les prévenir pour confirmer l’heure d’arrivée de son train du lendemain. Pendant qu’il se justifiait, Paul songea que son appel pouvait bien attendre encore un peu. Il préféra enchaîner la conversation comme si de rien n’était. Il lui avoua qu’il allait retourner chez eux durant les deux prochaines semaines de vacances. Avec l’ennui de les avoir sur le dos, sans compter l'ennui de subir les nombreux repas familiaux avec ses oncles et tantes.

Avec une curiosité non dissimulée, Tom le questionna sur ses projets de Saint Sylvestre. Paul la passerait ici avec ses amis de lycée qui organisaient une fête chez eux en ville. En réalité, il n’avait pas encore pris sa décision. Il hésitait à accepter leur invitation. Cela l'obligeait à écourter son séjour familial et surtout son planning de révisions plutôt serré. Les partiels débutaient la première semaine de janvier et il avait l'impression que jamais il n'aurait le temps de revoir tout ce que leurs professeurs attendaient d'eux. Mais s'il osait donner cette excuse, il savait pertinemment que ses amis ne le lâcheraient pas tant qu'il n'aurait pas cédé. Il avait encore le temps d'y réfléchir. Et contrairement à ce qu’il avait laissé sous-entendre à Tom, il était plutôt content de rester chez ses parents. Se laisser porter par le rythme quotidien et rassurant de sa famille qu’il n’avait pas vue depuis septembre. De profiter aussi de sa sœur qui venait d'entrer au lycée.

Paul lui demanda à son tour ses projets de fin d’année. Parmi plusieurs propositions, Tom n’avait pas encore fait son choix définitif. Puis il se reprit avec un empressement confus, il confirma que si, il était bien décidé à aller à la soirée que le Petit Marcel organisait. Il était le bienvenu d'ailleurs. Etonné de cette invitation, Paul lui promit d’y réfléchir. Il pourrait faire un saut en début ou en fin de soirée. Mais à regarder la tête de Tom, il réalisa qu’il avait dû le vexer. Il se mordit les lèvres, regrettant déjà ses paroles peu convaincantes. Autant il hésitait à revenir plutôt pour ses amis, autant la proposition de Tom le séduit sans qu'il n'ait à se questionner. L’occasion de découvrir cet étudiant qui commençait, plus la soirée avançait, à lui paraître véritablement sympathique. Alors pourquoi cette réponse passe partout ? Ils se sourirent, ne sachant quoi rajouter. Paul se sentait étrangement bien en sa présence. Ses épaules contractées en début de soirée s’étaient relâchées. Pour se rattraper, il lui parla de ses amis de lycée avec qui il était venu étudier.

Marianne et Tristan formait un couple inséparable depuis deux ans déjà. Après son baccalauréat, Paul avait prévu de quitter sa petite ville de campagne pour goûter à la vie estudiantine d’une grande ville. Ses parents, malgré leurs premières réticences à ce que leur aîné quitte le foyer, avaient vite été rassurés de le savoir proche de ses amis en qui ils avaient toute confiance. Dès le début du mois d’octobre, le couple était déjà peu assidu à leurs cours de lettres classiques. Contrairement à lui, Marianne et Tristan s’étaient laissés porter par les joies d’une liberté nouvelle qui s’offrait à eux. Il n’était pas rare qu’ils passent à l’improviste chez lui, maltraitant la sonnette de l’interphone pour s’assurer qu’il réponde. Ils exigeaient alors qu’il les accompagne dans les nombreux bars de la ville pour profiter de sa vraie vie d’étudiant. Mais bien souvent, un exposé de dernière minute ou une fatigue passagère lui servaient d’excuse pour ne pas les suivre. Le couple repartait après l’avoir taquiné gentiment, à le voir aussi sérieux et assidu dans ses études.

Tom l’avait écouté attentivement.

— Alors j’ai bien fait de te proposer de sortir ce soir, non ? dit-il les yeux pétillants.

Paul se trouva une nouvelle fois étonné de la moquerie familière de ce jeune homme qui se comportait comme s’ils se connaissaient déjà bien. Un silence s’installa. Paul chercha comment le dissiper. Son regard se porta sur une jeune fille aux longs cheveux blonds, drapée dans une grande cape noire brodée, qui venait de franchir la porte d’entrée.

— Regarde près de l’entrée, ne serait-ce pas la jeune fille de la lucarne ? plaisanta-t-il ravi de changer de sujet.

Tom se leva mais n’eut pas le temps de la voir. Elle avait déjà disparu parmi les clients qui cachaient à présent le comptoir tout entier. Tom se grandit sur la pointe des pieds pour tenter de l’apercevoir mais sans succès. Paul en profita pour se lever. Il était temps de passer son coup de fil. Il attrapa son manteau, se faufila parmi les tables, et passa devant l’homme à la cigarette sans lui adresser le moindre regard avant de sortir du café.

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