Chapitre 49 (1) - On s'en fout, vas-y fonce!

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- A l’aide Tristan ! Je suis mort de fatigue. Je crois que cette fois-ci, j’arriverais pas à me relever tout seul... cria Paul, allongé dans la neige.

Tristan glissa à ski jusqu’au pied d’une grande descente. Il faillit tomber sur lui.

- Je crois que tu es irrécupérable à ski, sans déconner. Pour te punir, je vais te laisser là jusqu’à demain.

- Oh arrête, t’es con, j’ai fait des progrès depuis le début de la semaine non ?

- Mais oui, crétin! Allez, encore un petit effort! dit-il, en l'aidant à se relever. Après quatre jours intensifs de ski, je te propose la randonnée en raquettes demain, comme promis.

- Très bonne idée, allez hop direction le téléphérique, annonça Paul qui retrouvait un peu d’énergie.

Retour à l’hôtel. Tristan prit sa douche en premier. Sa peau avait retrouvé de belles couleurs, grâce au soleil qui avait tant brillé depuis qu’ils étaient arrivés. Hormis le contour clair de ses yeux, dû à ses lunettes de ski. Le contraste était flagrant et curieux mais cela faisait ressortir la touche verte de ses yeux bruns. A cet instant, devant le miroir, il se trouva beau. Un jeune homme neuf, revigoré, détendu. Une serviette autour de la taille, il ne trouva personne dans la chambre. Il s’habilla et rangea quelques affaires dans sa valise. On frappa discrètement à la porte et Paul entra.

- Ah cool, tu as fini, je vais aller me doucher tout de suite, je sens le fauve.

- Je confirme, dit Tristan en se pinçant le nez avec un grand sourire.

- Je suis allé poster nos cartes postales et j'en ai profité pour téléphoner à Tom. Il te passe le bonjour. Il m’a dit qu’il bossait à fond à la bibliothèque universitaire. J’ai l’impression qu’il a attendu quelques jours pour me le dire mais devine qui il a croisé là bas ? annonça Paul alors quI commençait à retirer sa combinaison de ski.

Tristan le regarda intrigué.

- Marianne figure-toi ! Il l’a trouvé esympathique. Mais je n’en sais pas plus, on a été coupés. Je n’avais pas assez de monnaie, précisa Paul.

- Marianne, à la bibliothèque ? Grande nouvelle ! J’espère seulement qu’elle ne prépare un de ses coups tordus. S’il te plaît Paul, ne me regarde pas comme ça. Non je ne lui téléphonerai pas du séjour, ça lui fera les pieds. dit Tristan, déterminé.

Sous la douche, Paul profita de la chaleur apaisante de l’eau sur son corps. Une vague d’inquiétude paralysante se glissa en lui. A présent, il connaissait bien cette sensation qui le suivait depuis des semaines. Il ne savait pas comment il allait vivre sa relation avec Tom, en dehors de leurs appartements ou du Petit Marcel. Affronter le regard des autres. De tous ses proches pour commencer. C’était un sentiment qu’il n’avait évidemment pas connu lorsqu’il sortait avec Sarah, sa première petite amie. Son aventure avec Tom avait ce goût d’interdit, à la fois délicieux, excitant mais tout aussi dangereux, comme un fruit défendu. Une peur lancinante se répandait en lui. Surtout quand il songeait à ses parents. Il était impensable de leur dire. Ils les savaient tolérants mais le seraient-ils avec leur propre fils? Et puis, il n’oserait pas les regarder en face, pétri de honte. Leur présenter Tom comme un ami proche, au même titre que Tristan? Il y avait pensé dès que Tom était parti de chez lui le premier janvier. Et si ses parents l’apprenaient à son insu? Autant de doutes et de peurs qui ne cessaient de le submerger. Lors d’une soirée, il en avait longuement discuté avec Tom. Celui-ci s’était voulu réaliste, ne prenant pas la peine de l’épargner. Un de ses premiers petits amis avait été mis à la porte de chez lui lorsque ses parents avaient appris qu’il était homosexuel. Beaucoup se taisaient. D’autres avaient honte de ce qu’ils étaient. Il fallait être prudent et savoir rester discret. Ne pas éveiller les soupçons. S’inventer une petite amie, avec la complicité d’une copine qui veuille bien jouer la comédie. Paul ne s'imaginait pourtant pas mentir à ses parents. Paradoxalement, il se sentait prêt à le faire par obligation. Une question de survie en quelque sorte. D’autres histoires plus optimistes l’avaient rassuré. Tom, lui, mesurait la chance d’avoir un père qui acceptait son fils tel qu’il était.

Paul chassa de son esprit ses appréhensions. Etre avec Tom était l’une des plus belles choses qui lui étaient jamais arrivées. Pour ce garçon, il était prêt à déplacer des montagnes. Il lui faudrait du temps pour accepter ce qu’il avait découvert en lui, au plus profond. Et avoir le courage de l’annoncer sans honte. Etre soi-même plutôt qu’un autre. L’appel téléphonique de Tom lui avait fait du bien. Le simple fait d’entendre la voix de son ami lui redonnait la force nécessaire. Il valait mieux suivre ses conseils. Profiter de la neige et de son meilleur ami, sans trop se poser de questions.

Ils dînèrent tôt. De retour dans leur chambre, Paul reprit sa lecture de Sur la route. Il approchait de la fin. Sal Paradise et Dean Moriarty arrivaient à Mexico. Pendant ce temps, Tristan pestait dans son coin, adossé au mur dans son lit.

- Je n’arriverai jamais à écrire cette fichue lettre. Ça ne rime à rien de lui expliquer ce que je ressens.

Paul posa son roman.

- Ne me regarde pas comme ça. Ok, je m’y met. T’as sûrement raison. Il y’a tellement de choses à lui dire, ça risque de ne pas forcément lui plaire.

- On s'en fout, vas-y fonce ! répondit Paul pour l’encourager.

Tristan reprit une nouvelle feuille et commença à mordre le bouchon de son stylo. Moanin’ dans la tête. Les premières notes de piano de Tommy Timmons, celles du saxophone de Benny Golson, la trompette enivrante de Lee Morgan, la basse chaloupée de Jymie Merritt et le swing inimitable de la batterie du grand Art Blakey. Il était devenu accro de son groupe The Jazz messengers. Il reprit son stylo ainsi qu’un crayon à papier et frappa l’air de ses baguettes improvisées, en tournant la tête de gauche à droite au rythme de sa musique intérieure. Lorsqu’elle l’envahissait, cette musique ne le quittait plus. Il ressentait chaque note, une pulsation indispensable au bon fonctionnement de son être. Le Jazz n’était pas seulement un univers dans lequel se réfugier, c’était une drogue magique, essentielle à sa vie. Elle lui permettait de s’évader lorsque le réel était était trop difficile à supporter. Marianne. Faire le point. Être honnête avec elle. Et avant tout, avec lui-même.

Une heure plus tard, absorbé par ce qu’il écrivait, il ne s’aperçut pas tout de suite que Paul s’était endormi, son livre sur le ventre. Il ne mit un point final à sa lettre que tard dans la nuit. Avant d’éteindre, il prit le livre de son ami qu’il posa sur la table de chevet. Il remonta les couvertures pour qu’il n’ait pas froid. Il le regarda quelques minutes et contempla son visage apaisé. Lui qui pensait bien le connaître… Il souria pour lui-même. N’était-ce pas ça l’amitié, se laisser surprendre par l’autre, s’accepter tel qu’ils étaient, sans jugement? Il retira ses lunettes, se frotta l’arrête du nez par automatisme, se mit sur le côté, éteignit la lumière et s’endormit.

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