Les Ailes de Narra Final : Jusqu'au prochain ballet...

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Son hurlement déchire le silence des eaux sur plusieurs kilomètres. Il dure d’interminables secondes et l’écho fait encore vibrer les îles alors qu’il bondit et déploie ses ailes pour fondre sur les berges de coquilles.
Narra se plaque contre le plumage et sent le vent fouetter ses oreilles, alors que le Volant est désormais en train de longer le sol, passant juste au-dessus des Rame-Libres qui perdent leurs coiffes, prises dans la bourrasque du passage du Volant.
Alibi depuis la plateforme, voit l’oiseau gigantesque intimider ses agresseurs. Son visage s’illumine lorsqu’il voit, entre les longues plumes qui claquent au vent, Narra accrochée au cou de la créature.
La jeune monteuse, ne sachant quoi faire, tape sur le côté droit du cou du Volant, espérant qu’il comprenne qu’elle veut qu’il aille vers la droite.
Bien évidemment, il se tourne vers la gauche et décrit un arc jusqu’à atterrir sur les berges. Ses serres griffent et brisent la coquille sous lui dans un crissement déchirant. Il jette un regard aux Rame-libres qui fuient en hurlant et pousse un cri encore plus puissant pour accélérer leur fuite.
Narra fait un signe à Alibi, qui, depuis la plate-forme, contemple l’avènement de la monteuse avec admiration et envie.
Bien sûr, à cette distance, la jeune femme ne peut le voir. Le traqueur, trempé et blessé, comprend que l’oiseau reste immobile parce qu’il l’attend et il finit par accourir dans sa direction.
Lorsqu’il n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres de la créature, il ralentit sa course et se met à marcher prudemment, sa main se pressant contre son torse.
Mais le Volant ne montre pas de signe d’agressivité. Il faut que Narra acquiesce à l’adresse des regards inquiets de son compagnon, pour qu’enfin, il trouve le courage de s’approcher. Il passe à côté de la tête du Volant, à plusieurs mètres, vérifiant nerveusement que ce dernier ne bouge pas.
Lorsqu’enfin il voit la main de la jeune femme se tendre vers lui, il la saisit.
Et il grimpe sur le cou de l’oiseau.
Lorsqu’il se trouve assis derrière Narra, elle entend un long soupir sur son cou. Les épaules d’Alibi s’effondrent, alors que son corps est parcouru de spasmes. La jeune femme passe sa main derrière elle, pour la poser sur l’épaule du jeune homme, accompagnant des pleurs nerveux. Elle compatit à sa peine, sans pouvoir en saisir toute la violence.
L’oiseau attend que l’homme se soit calmé, pour enfin battre des ailes et s’élever dans les cieux. Il suit la direction que Narra indique, en tapotant son encolure.

Pour la première fois, pris dans les seuls vents du monde de Mer, Narra et Alibi s’abaissent pour supporter la pression. Zéphyr, pour son envol inaugural avec sa monteuse, gagne de l’altitude et dépasse les premiers entrelacements d’ambre dans les cieux. Entre les bras de pierres irradiant de lumière et de chaleur, il plie ses ailes pour vriller entre les branches, puis les redéployer pour les battre plus fort encore en multipliant les manœuvres d’acrobaties aériennes. Narra, bouche bée et mains serrées sur l’encolure de la créature, se démène pour garder son assise stable. Mais derrière la sidération de son corps, le sang pulse dans ses veines et le flot d’adrénaline qui la traverse la rend immédiatement accro au ballet céleste.
Jamais ils n’auront vu le monde si petit et la lumière si vibrante et éblouissante. Derrière eux, l’éclat des mille veines d’ambre qui éclaire Mer, auréole leurs corps d’une couronne divine.
Lorsqu’enfin Zéphyr cesse de baptiser la monteuse et son compagnon par ses prouesses, il sent la main de Narra qui le caresse, sous la masse de plumes de sa collerette. Il jappe avec joie et poursuit sa route en direction de la lointaine Cité des Grandes Volières.
La monteuse finit par se tourner vers son compagnon. Alibi, malgré le vol extatique, demeure muré dans son silence honteux. Elle comprend qu’il ne peut profiter de l’instant comme il se doit et lui dit :
« On rentre à deux et tu ne seras pas seul face à lui. »
Le regard perdu dans l’horizon courbe de la mer sphérique, Alibi demeure silencieux.
Il lève les yeux vers le cœur de lumière. L’amertume dans son regard et ses lèvres pincées. Mais lorsqu’enfin, il regarde Narra, son visage s’illumine et il déclare :
« Ce ne sera pas cette fois, mais je trouverai le Volant qui me permettra de trouver l’Outre-Mer. »
Narra, s’inquiète de la lueur dans ses yeux. Son visage aux traits tirés trahit sa rage, son sourire ment et ses tremblements disent à la jeune femme tout ce qu’elle a à savoir sur son état réel.
Mais il lui a sauvé la vie et il accepte sa réussite à son détriment.
Alors elle sourit.

Et le Grand-Volant, parcourt les kilomètres qui les séparent encore de la Cité des Volières.
Et lorsqu’ils y parviennent enfin, l’éclat de l’ambre pâlit à nouveau.

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