La femme que je suis.

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En écrivant cette lettre, je pense à la femme que je suis, issue d'une longue généalogie de femmes que l'on a décrit comme "fortes", qui, à l'époque, furent sans doute, obligées de l'être, après avoir été spoliées, abusées par des frères, des pères. Des femmes qui sont devenues des maîtresses-femmes, dures, intransigeantes, intolérantes, écraseuses d'hommes. Je ne suis pas de celles-là, je fais du nettoyage dans mon arbre, pour ne pas être ainsi. Pour moi, et pour mes filles.

J'ai toujours su que je n'ai jamais voulu être comme le monde me disait d'être. J'étais moi, un peu spéciale, beaucoup différente des enfants de mon âge. Sans pouvoir l'expliquer, sans forcément tout comprendre, mais je sentais que quelque chose couvait en moi. J'ai un peu souffert, les autres n'étaient pas toujours sympas, j'avais l'impression qu'on ne me comprenait pas. Par contre, je n'ai jamais renoncé ni à mes rêves, ni à mes aspirations. Je les ai adaptés, chaque jour, en voyant ce qui se mettait sur mon chemin.

J'ai continué à avancer, je continue d'avancer, je deviens chaque jour un peu plus solide, un peu plus audacieuse, un peu plus confiante. Je me casse la figure quelque fois, mais je me relève et je repars.

J'ai, cependant, fini par réaliser qu'on pouvait "être commandé" par le passé, par un héritage non-désiré. La généalogie, enrobée de psychologie, m'a permis de mettre à jour des mécanismes qui me poussaient vers "ce que l'arbre des générations d'avant voulait que l'on soit". Dans ma famille, les femmes ont écrasé les hommes, les hommes ont été tellement souvent absents, comme des ombres, comme des fantômes. Les femmes ont été dures, elles ont forgé une carapace de force pour faire face, mais elles ont oublié d'être bienveillantes et tendres. Et moi, j'ai vite réagi, je ne voulais pas être comme ça. Forte, j'ai été amenée à l'être, le jour où mon Prince a été arraché à mes bras et que je suis restée, chancelante et fracassée, avec mes trois petits poussins sous mon aile. Je me suis levée et j'ai avancé, en boitant, avec eux. Mais j'ai pris soin d'emmener avec moi la bienveillance et la gentillesse, je n'ai JAMAIS laissé l'amertume me voler mon sourire et ma tendresse. Je ne veux pas de cette dureté, elle ne sert à rien, elle fait mal et je n'ai pas envie de ça.

J'ai réussi à faire la paix avec ce passé compliqué, avec cette généalogie gangrenée. J'ai pris soin des branches, j'ai élagué avec le plus de douceur possible.

J'aime la personne que je suis aujourd'hui, mais je n'ai aucun regret de celle que j'étais avant, on est qui on est, à un instant T, avec les moyens qu'on a à ce moment précis. Je sais aussi que celles et ceux qui étaient là avant, ont essayé de faire au mieux, avec ce qu'ils étaient, avec ce qu'ils étaient, avec ce qu'on leur avait transmis. J'ai juste envie de faire autrement, de proposer une autre partition, avec d'autres accords. J'accepte les silences, mais ils ont juste vocation à prendre une pause, une nouvelle inspiration pour continuer la mélodie. J'ai besoin d'harmonie.

Je suis une femme qui se sent bien, je me sens belle, bien dans mes baskets ou mes escarpins, c'est selon. Je suis issue d'une lignée de femmes qui se sont entendues dire qu'elles étaient moches, qui ont fini par le croire et qui ont transmis cette idée débile. Je suis issue d'une lignée de femmes qui répétaient qu'être blonde et jolie, c'est être une putain, une fille facile. C'est sympa , non ? Sympa pour se construire et transmettre une belle image de soi à ses filles.

Je pense à ces artistes qui ont écrit de si jolis textes pour honorer la femme : "femmes, je vous aime" de Julien Clerc. "Une femme parle avec son cœur" de Roch Voisine. "Et un jour une femme" de Florent Pagny. De si belles chansons, qui parlent au cœur, qui touchent le sens profond de l'humain. Une femme, une mère, si souvent insultées par cette phrase réduite à trois lettres, gravées sur les murs. L'insulte suprême que j'entends dans la bouche des enfants dans la cour de l'école. Je vois rouge et je sors de mes gonds, ces mots heurtent mes oreilles et font saigner mon cœur. Avec fermeté et bienveillance, je viens rappeler le respect qu'il est important de manifester aux mamans. Oui, on a le droit d'être en colère, mais il est INTERDIT d'insulter les mamans. Les mots sont de vrais glaives, les mots peuvent faire mal.

Je pense aussi à ce saligaud, joueur d'accordéon qui a osé poser les mains sur moi. Je n'avais que 14 ans. Je n'ai pas osé dire NON, alors c'est un mot que j'enseigne aujourd'hui : message "je" et dire "NON". Le corps d'u femme n'est pas un papier sur lequel on vient gribouiller sa bêtise.

Je pense aussi aux paroles de l'ancienne génération "oh, c'est pas possible, tu as inventé, tu l'as cherché". Mais bien sûr, à 14 ans. Quelle infamie, quelle ignominie. Chez moi, c'est alerte maximale et discours de prévention à mes filles. Personne ne touchera leur corps, à moins qu'elles ne soient d'accord pour connaître de doux et tendres orgasmes, comme ceux que leur père m'a fait connaître.

Je pense à ces discours sur le manque de galanterie. Un manque ? Ce qui me semble évident, c'est qu'on est face à un manque "d'humanité". Je suis une femme qui apprécie qu'on me tienne la porte et je suis cette femme qui peut tenir la porte à un homme qui arrive derrière. Ah? Je suis sensée lui lâcher la porte dans la tronche ? C'est de l'humain et du respect.

Je pense à mon métier, essentiellement féminin, déserté par les hommes. Nous avons besoin de vous, messieurs, dans les cours de récréation. Nos élèves sont en manque de cadres, en manque de repères, ils ont besoin des deux figures.

Je suis une femme avec de jolis yeux bleus que j'ai reçus de mon papa, et je sais que mes jolis yeux bleus peuvent devenir noirs vraiment très foncés, quand je suis confrontée à de l'insolence ou à de l'irrespect. Je hausse le ton et je braille à l'autre bout de la cour, quand il s'agit de me faire entendre.

Je pense que ce n'est pas affaire seulement de masculin ou de féminin, ou alors, si, parce que nous avons tous et toutes une part de masculin et de féminin en nous, et on essaie de l'équilibrer du mieux qu'on peut, et on essaie de vivre avec ce que l'on est, ce que l'on ressent, ce qui nous a été transmis.

Enfin je pense à celui qui m'a fait me sentir femme. Il était mon prince, mon mari, mon meilleur ami, le père de mes enfants. Je revois tous ces instants où son beau sourire se posait sur moi, il me trouvait belle; j'étais si bien dans ses bras. J'ai appris à m'épanouir entre ses bras. Il m'emportait, nous étions deux danseurs et nous étions dans notre bulle, les pieds au-dessus du sol.

Lorsqu'il est mort, on m'a dit "Oh, et puis tu es restée belle!". Purée, j'ignorais que le veuvage ça rendait moche, en plus. Évidemment que je suis restée belle, j'étais belle avec lui, il n'a pas emporté cela avec lui. Il m'a laissé la force de son amour et je suis restée sur le chemin avec mon sourire, mon sourire teinté du sien. Cela me donne du courage. Oh, parfois je suis cette femme brisée qui pleure celui qui ne reviendra plus. Et quand mes larmes s'arrêtent, je repars sur mon chemin avec mes trois enfants à mes côtés; mon charmant garçon et mes deux belles jeunes filles.

J'ai la chance d'être entourée par des femmes formidables, qui savent m'entourer, qui savent nous réconforter, qui savent écouter. A mon tour, j'essaie d'être une femme qui aide; qui se sert des mots pour aider à soigner les maux.
Je suis cette femme qui fait ce qu'elle peut, fière du chemin parcouru, fière d'avoir cassé la ligne de la méchanceté et de la violence des maîtresses-femmes, pour être une femme, tout simplement : remplie d'amour sur le chemin de la sagesse.

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