Chapitre 2 - partie 1

6 minutes de lecture

La chambre qu’occupait Nashran dans l’un des logements pour jeunes était si petite que parfois, il avait la sensation qu’elle allait se refermer sur lui et l’engloutir sans autre forme de procès. Il devait être encore un peu bourré, la soirée de la veille avait fini par s’alcooliser, parce qu’à son réveil, il crut sincèrement que c’était entrain d’arriver. Les murs tambourinaient tout en se réduisant sur lui ! Il paniqua un quart de seconde avant de se rendre compte que le bruit ne venait que de la seule et unique porte présente.

Il soupira, puis grimaça en sentant son haleine et sa bouche pâteuse. Parfait. Il tenta de se redonner une contenance en passant sa main sur son visage. Il aurait aimé boire un peu d’eau et se regarder une seconde dans un miroir avant d’ouvrir, afin de s’assurer au moins que son visage n’était pas couvert de sperme séché, la soirée avait vraiment été très agitée... mais le point d’eau se trouvait trois étages plus bas, dans les zones collectives. Tant pis, se dit-il tout en se redressant péniblement. Un rire lui échappa lorsqu’il comprit que le truc qui peinait à le tenir debout, c’étaient ses propres jambes, flageolantes. Son intimité se rappela à son bon souvenir et il se maudit de toutes ses frasques tout en riant à moitié, un peu incrédule.

Arrivant à la porte, il l’ouvrit tranquillement sans savoir que sa vie était sur le point de basculer. Il mit une bonne dizaine de seconde avant de le comprendre et lorsque ce fut fait, il dégrisa instantanément.

Devant lui se trouvait un homme et une femme à l’apparence très normale. Il était grand et blond, avec des yeux bruns très beaux. Elle était à peine plus petite, un visage rond, des pommettes hautes et un regard particulièrement doux. Les deux arboraient des vêtements d’une qualité rare et surtout, un blason, celui des zones de reproductions.

Il les fixa un instant, de ses yeux vairons, l’un brun si clair qu’il paraissait presque jaune et l’autre d’un bleu irréel, pailleté de noir. Puis la honte le prit et il baissa humblement les paupières. Sa tare génétique était des plus visibles et parfois, elle se rappelait durement à lui.

- Nashran 51713 ?
- Oui, c’est moi.
- Félicitations, vous êtes sélectionné.

Il ferma douloureusement les yeux, son ventre se tordit violement et il eut soudain envie de vomir. Déglutissant malgré l’absence évidente de salive et respirant profondément pour faire passer les réactions physiologiques de son émotion, il tenta de se reprendre.

- Je… Je… Mon dossier a été pré-sélectionné pour un bon poste, en zone électrique.
- Nous sommes prioritaires.
- S’il vous plait… vous allez détruire ma vie. Ne faites pas ça.
- Les crises d’angoisses sont courantes lors de l’annonce. Cela va passer. Vous pouvez refuser l’offre si vous le souhaitez, mais je vous rappelle cela aura pour conséquence de rendre votre dossier noir.

Un dossier noir ne pouvait plus prétendre à la moindre sélection. Il vivrait à jamais dans une chambre similaire à celle-ci avec les services minimaux. Au lieu d’être enchainé à un emploi dont il ne voulait pas, il serait enchaîné à une pauvreté tout aussi douloureuse mais aussi et surtout, à la honte qui ne manquerait pas de l’accompagner. Les autres ne comprendraient pas et le rejetteraient. C’était simplement ainsi. On ne pouvait pas dire « non » à une telle proposition !

Observant brièvement sa chambre, il comprit qu’il n’y avait rien à emporter avec lui. Cela lui fit étrangement mal.

- Sommes-nous prêt à y aller ?
- Je ne peux pas… dire au revoir ?
- Nous n’avons pas de temps à perdre. Votre nouvelle vie vous attend.

Déglutissant péniblement, il acquiesça. Des années auparavant, il avait pu rêver de cette proposition, de ce poste, même s’il avait bien des désavantages… mais aujourd’hui ! Aujourd’hui, il le vivait comme une malédiction.

Il était à moitié hébété, traversant l’immeuble sans trop comprendre ce qui l’entourait. Dany, l’un des garçons du deuxième, les croisa et en un regard comprit. Il lui offrit un immense sourire encourageant, teinté d’une jalousie malvenue. En bas, un de ces cocons aussi rares qu’étranges les attendaient, on le fit monter dedans. Quelle était la sensation de cet engin se mettant en route ? Etait-ce confortable ? C’était la première fois qu’il grimpait dans un moyen de transport et il en garderait un souvenir flou, presque absent et totalement amer.

Le cocon se rendit jusqu’à l’une des stations de transit où il embarqua dans une structure plus grande encore. Depuis l’intérieur, Nashran aurait pu percevoir les vrombissements discrets ou encore les reflets bleutés du courant qui entourait à présent le cocon. Seulement, son esprit était tout entier tourné vers une seule et unique idée : « Ce n’était pas possible ». Il ne pouvait pas, si peu de temps après avoir vu la lumière au bout du tunnel être emmené loin, dans un endroit où il perdait toute chance d’avenir. Ça devait être un mauvais rêve ?

Lorsque la navette qui s’était saisi de leur engin de transport s’arrima à la plateforme aérienne, il en était toujours là. Son corps semblait détaché de lui-même et lorsqu’il fut entrainé à la suite des officiels, l’impression se fit plus rude encore. C’était comme si un autre que lui était en réalité concerné. Il allait rester là, dans ce cocon étrange, attendant que la navette reparte pour retourner dans sa ville, là, il attendrait la sélection finale. Ce serait lui avec un peu de chance et même si ce n’était pas lui, sa vie pourrait reprendre son cours normal. En retrouvant ses amis, il profiterait à nouveau de la douceur de leurs corps, de leurs chaleurs et de leurs baisers. Il se perdrait dans leurs bras et oublierait tout ça.

- Il a consommé quelque chose ?

La voix était sèche, trop forte et trop près de lui. Elle lui déplut immédiatement.

- Pas que nous sachions. Il allait bien quand on l’a emmené.
- Je suppose que vous avez encore une fois été au comble de la délicatesse ?

Nashran ne saisit pas vraiment la suite de la conversation, mais l’odeur de désinfectant de l’infirmerie lui piqua le nez. Les doigts qui se refermèrent sur sa mâchoire achevèrent de le faire redescendre sur terre ou plutôt… revenir à la réalité car la vue directe sur la fenêtre ne dévoilait qu’un joli ciel bleu surplombant une mer de nuage. Il hoqueta et l’infirmière tira un peu plus sèchement sur son menton pour attirer son attention.

- Bonjour Nashran. Je sais que vous êtes ému, c’est tout à fait normal.
- Emu ?
- Vous pourrez rejoindre votre nouvelle vie dans quelques minutes. Je comprends que vous devez avoir hâte, mais je dois faire quelques examens. Rassurez-vous, vous ne risquez rien. Peu importe les résultats vous resterez un réceptacle.

Un nouvel hoquet le saisit, alors qu’il faisait vaguement « non » du visage. Si seulement l’infirmière pouvait le renvoyer !

- Alors il n’y a rien à faire… murmura-t-il.

Elle s’arrêta un instant pour le considérer une nouvelle fois. L’air hagard face à une si bonne nouvelle qu’elle laissait totalement ahuri, c’était habituel. Les joues rougies par l’émotion tout en ayant le teint blanchi. C’était tout aussi normal… Les agents ne se rendaient pas compte de la joie immense qu’ils pouvaient provoquer et souvent, ils n’offraient aucun temps de répit avant l’arrivée. Seulement les yeux à moitié débordant de larmes du jeune homme n’étaient pas tout à fait comme ceux qu’elle voyait habituellement. A ce tableau s’ajouta une voix nouée lorsque Nashran demanda :

- … qui est-ce ?

A peine posa-t-il la question que la réponse lui sauta aux yeux. C’était l’évidence même.

- C’est Ogma ? C’est lui qui a osé me faire ça ?
- Oui, vous faites partie de sa sélection. Je m’excuse, je pensais que vous étiez sous le choc d’un émerveillement trop grand… ça arrive régulièrement.
- Je… j’avais été présélectionné.
- Beaucoup de présélection, peu d’heureux élus. Lui répondit-elle sur un ton docte.
- J’étais bien placé pour ce poste… J’avais une chance de devenir gardien de zones électriques.

Un éclair de compréhension passa dans le regard de l’infirmière qui se radoucit tout à fait. Les présélections de gardiens étaient rares et même ceux qui échouaient avaient tendances à trouver d’autres postes tôt ou tard. C’était une sélection réservée à des profils très particuliers.

Elle eut envie de lui dire sincèrement « toutes mes condoléances » parce que cette vie potentielle venait de périr. A la place, elle lui tendit la main respectueusement avant de se présenter :

- Docteur Johan.

Il l’a pris doucement, observant le contact qui se voulait amical sans comprendre.

- Je ferais de mon mieux pour vous aider.
- Merci.
- Est-ce que vous comprenez ce qu’il se passe ici ?

Il acquiesça sans dire un mot de plus. Tous les enfants apprenaient ça. Sagement, il récita :

- Je vais servir de réceptacle. Je recevrais la semence d’Ogma.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hendysen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0