Chapitre 5

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Le meilleur point de nourrissage de la zone de reproduction se situait à l’écart des autres. Visu aimait venir ici, il flânait devant les belles vitrines, entrait dans certains lieux pour observer les produits venant de la surface, … Il y emmenait régulièrement plusieurs réceptacles, mais ce jour-là, il était accompagné par quelqu’un d’autre. S’arrêtant devant une vitrine, il demanda :

- Depuis quand n’as-tu pas changé de garde-robe ?

Never haussa des épaules, peu concerné. Ses vêtements étaient encore en bon état et il ne voyait pas l’intérêt d’en changer tous les quatre matins.

- Je suppose que la tienne pourrait habiller quoi… dix réceptacles ?
- Oh mais mes réceptacles ont au moins autant de vêtements que moi.

L’autre homme soupira et s’éloigna. Les costumes installés sur des présentoirs ne l’intéressaient pas du tout. Il avait accepté de sortir de ses quartiers uniquement pour tester ce point de nourrissage et surtout pour faire plaisir à Visu.

- Et les livres ? On pourrait aller voir les livres ? Tu sais qu’ils ont sorti des ouvrages en vieilles feuilles ?
- Tu m’avais dit qu’on allait manger, juste manger.
- Oui… c’est vrai.

D’un geste de la main, Visu lui indiqua la direction, omettant un léger détour pour passer devant une petite boutique des plus somptueuses qui réalisaient des miniatures d’exceptions. Il adorait y passer, même si ce n’était que pour y jeter un coup d’œil.

En marchant à côté de Never, il se sentait toujours un peu trop petit, pourtant leur différence de taille était relativement minime. S’il ne parvenait pas à mettre le doigt sur la cause exacte de ce phénomène, il remarquait, à chaque fois qu’il arrivait à le traîner hors de ses quartiers, que les gens avaient tendance à l’éviter. Tout le contraire de lui qui attirait facilement les foules.

- Tu es sûr que c’est la bonne route ? J’ai l’impression que tu nous fais tourner en rond.
- Mais oui… ne t’inquiète pas ! Et puis marcher te fera du bien…

Never le regarda légèrement de travers avant de baisser ostensiblement les yeux sur son ventre, légèrement arrondi.

- Tu veux dire que ça te fera du bien, à toi.
- Hum… oui, peut-être. Oh regarde ! Des miniatures !

Et effectivement, il venait d’arriver devant une vitrine splendide présentant des globes de l’ancien monde, renfermant des images toutes droits venues d’un passé révolu. Là, dans une de ces boules, se dressait une scène totalement surréaliste à leurs yeux. Un iceberg. Never resta un instant devant à contempler les détails de la glace, la forme sous l’eau bleuté et cet unique oiseau figé dans le ciel.

- Tu veux la prendre ?
- Hors de question.

Le cœur de Visu loupa un battement devant ce ton si sec. Never se redressa et s’éloigna sans plus attendre son ami qui le suivi un peu plus lentement, déçu. La zone de nourrissage était proche, pourtant il eut l’impression qu’ils mettaient une éternité à l’atteindre dans un silence désagréable.

Le restaurateur, Cassiar, sortit immédiatement en les voyant pour venir les accueillir. C’était un homme bedonnant ayant une quarantaine d’année bien tassée. Visu aimait particulièrement son grand sourire jovial et plus que tout, il appréciait les petites attentions dont il faisait part.

Il les installa dans un coin de verdure, une place particulièrement luxueuse, dans un renfoncement aussi à l’abri des regards que possible. Visu se laissa tomber dans un fauteuil moelleux à souhait sans même y prendre garde. Never tira le fauteuil en arrière et l’observa un instant avant de s’installer en grimaçant.

- Vous faites encore vos beignets de légumes ?
- Oui, tout à fait monsieur, ils sont à la carte.
- Nous en prendrons un plat, commun. Never il faut que tu goutes ça !

D’un geste lent, Never saisit la carte et l’observa brièvement avant de demander le menu du jour. Il ne fallut que quelques minutes après le départ du chef pour que le plat à partager n’arrive. Une recette ancestrale de pates à beignet, ici, il y en avait trois différentes, deux types de sauces l’accompagnaient et de véritables légumes croquant à souhait se cachaient à l’intérieur.

Sans attendre Visu en saisit un, le trempa dans une sauce blanche onctueuse et le porta à ses lèvres avant de gémir de plaisir sans aucune retenu.

- Croquer la vie à pleine dent hein ?

Visu éclata d’un rire joyeux en entendant son ami prononcer ce vieux slogan d’une voix aussi morne.

- Je te dirais bien de t’y mettre toi aussi, mais bon…

Never soupira tout en saisissant l’un des beignets. Il était gras entre ses doigts, mais bon sur sa langue. Il pouvait au moins reconnaitre ça à l’autre homme : il avait bon goût. Il retourna deux fois dans le plat, testant d’autres saveurs.

Plusieurs personnes ralentirent aux abords du point de nourrissage, certains se tournant ostensiblement vers eux. Visu poursuivit sa dégustation comme si de rien n’était.

- Les plats ne vont pas tarder.
- Je déteste ça.
- Si je leur dis de partir, ça va être pire tu sais.

Oui, il savait. Il s’efforça de manger sans y penser, mais devant lui, Visu avait un comportement étrange. Habituellement, il ignorait les inconnus qui s’amoncelaient ainsi. C’était une situation banale pour lui. Au bout de quelques minutes, Never finit par demander :

- Tu attends quelqu’un ?
- Euh… pas vraiment…
- Tu m’expliques ?
- Hum… Tu sais je… Je me suis offert le droit d’intervenir dans les examens d’entrées.

Never se rembrunit, pourquoi fallait-il que tout tourne toujours autour du sexe avec son ami ? Il soupira et prit sur lui.

- Et donc ?
- Y’a un petit moment déjà je suis tombé sur un réceptacle étonnant. Des yeux à tomber par terre…
- Et tu voudrais l’ajouter à ta collection ? Tu en a combien actuellement, 20, 30 peut-être ?
- Seize.
- Plus tout ceux qui passent juste une soirée chez toi…
- Oui, mais… C’est pas de ça qu’il s’agit. Ce réceptacle… Quand je suis rentré, la doctoresse était avec lui.

Never pencha légèrement la tête sur le côté, incertain de comprendre. C’était un examen médical, bien-sûr que la doctoresse était là. Le contraire aurait été des plus étranges.

- Ecoutes, habituellement, elle se tient à l’écart. Elle n’apprécie personne. Là, elle est restée avec lui et pendant l’insémination, elle a participé pour lui donner du plaisir. Ça n’était jamais arrivé avant !
- Et donc tu veux l’ajouter à ta collection. Génial.
- Arrête avec ça. C’est juste que… j’étais curieux et ce mec n’est pas réapparu. Nulle part. J’ai demandé à mes… à ma collection comme tu l’appelles et ils ne l’ont jamais vu. Il n’a jamais rejoint les quartiers des réceptacles, il n’a pas été dans les points de nourrissages ou d’habillements. Il est nulle part !

Le chercher ainsi au hasard de la zone de reproduction n’avait aucun sens, mais il ne pouvait pas s’empêcher de laisser ses yeux trainer, au cas où.

- Et Johan, elle ne peut pas te renseigner ?
- Secret médical à ce qu’il parait.
- Bon, c’est qu’il n’est pas redescendu au moins.

Visu acquiesça tout en faisant un geste pour que certains réceptacles qui s’agglutinaient s’éloignent. Mindy et ses amis acceptèrent immédiatement et ils réussirent même à faire comprendre à d’autres que leurs présences n’étaient pas souhaitées. Comme s’il y avait l’ombre d’un doute sur le fait que Never n’apprécie pas de manger devant un public…

Le plat principal arriva, une douce fumée s’échappant des mets soyeusement alignés. Ils restèrent silencieux le temps que les assiettes soient installées et Never s’offrit le luxe d’humer son plat. Du curry. C’était vraiment parfait. Il brisa néanmoins l’instant en demandant :

- Tu penses à un réceptacle privé ?
- Peut-être.
- Alors fait une réception pour … mmm… Tu as dis quoi déjà ? Des yeux particuliers. Il devait être connu avant. Alors disons pour accueillir les derniers futurs pères arrivés. Pas une de tes orgies bien-entendu, quelque chose de plus classe.
- Et quoi, je leur pose la question ?
- Et tu leur demanderas les modes d’inséminations choisis. Derrière tu pourras éliminer les hétérosexuels, les technosexuels et autres adorateurs de ponctions… Puis il faudra vérifier si ceux qui restent ont fait monter de nouveaux réceptacles et si on les connait. Avec un peu de chance, il nous restera … celui que tu cherches. Ou alors utilise un souhait.

Visu s’étouffa à moitié dans son verre avant de le regarder avec de gros yeux. Contrairement à lui, il n’était pas riche en souhait ! Surtout parce qu’il passait son temps à les dépenser en fioriture.

- Oh aller ne fait pas cette tête. Juste obtenir son dossier ça te demanderait quoi ?
- Un souhait de type 2. Il s’agit d’aller à l’encontre de la volonté du futur père.
- Peut-être… ce n’est même pas sûr.
- Dans tous les cas je n’en suis pas là !

Pas encore, pas tout à fait… non, ce n’était que de la curiosité et il n’était clairement pas assez riche pour ça contrairement à son ami, mais il ne lui demanderait pas un tel service car Never était aussi riche que pauvre dans un certain sens.

- Bon, et bien, je n’ai plus qu’à organiser une fête. Tu es convié bien entendu.
- Visuuu…
- Tu n’es pas curieux ? Au moins un peu ?

Il ne l’était pas vraiment. Visu aimait tous les réceptacles qu’il pouvait croiser. Ce n’était pas surprenant qu’il trouve cette situation frustrante… Néanmoins ils savaient tout les deux qu’il n’avait rien de mieux à faire et aider Visu faisait partie de ses rares occupations.

- Ne me met pas dans l’annonce, d’accord ?
- Ok.

Never soupira tout en jetant un coup d’œil derrière lui. Visu avait chassé les réceptacles de sa connaissance, des gars respectueux et compréhensifs, l’amas de personnes étaient maintenant constitués de futurs pères curieux, de réceptacles en tout genre, hommes comme femmes, qui étaient aussi attirés par Visu que par lui. Comme s’il n’était pas sensible à ce qui les entourait, ce qui était totalement faux, Visu s’exclama :

- Passons au dessert !

Et Never fut rassuré que pour une fois ce soit réellement une pâtisserie.

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