Le lancer de javelot est une discipline très technique et précise. La performance ne dépend pas du poids de l’athlète mais plutôt de la capacité de ce dernier à armer l’engin filiforme avec le bon angle et à le lâcher au bon moment. En bon matheux Lucas avait choisi ce sport peu pratiqué dans son entourage et il y excellait. L’idée lui était venu le jour où il avait regardé le film « 300 » au cinéma avec son père. Les spartiates l’avaient fasciné et l’échec du lancer de leur chef Léonidas contre le roi Xerxès l’avait traumatisé. La scène se répétait dans sa tête comme un disque rayé et le décès de son père, quelques heures plus tard, l’avait gravée définitivement dans son subconscient.

Le jeune lanceur continuait de s’entrainer seul des heures durant après le départ de ses coéquipiers du club. Il avait inventé son propre jeu qu’il avait baptisé « Le Léonidas ». Contrairement à l’objectif classique d’emmener le javelot le plus loin possible, Lucas cherchait à ce que son engin tombe à un endroit précis du terrain. Tout le monde pensait qu’il était fou, et qu’il gaspillait son talent à se faire plaisir plutôt qu’à chercher à gagner des championnats ou à battre des records.

Au fil des mois et des années, son lancer gagnait en précusion et après chaque réussite, il mettait la barre un peu plus haut. Á seize ans, Lucas avait fini par atteindre un tel niveau de maîtrise qu'il était capable de planter sa perche métallique sur n’importe quel trait dessiné aléatoirement par ses amis, du moment que ça ne dépassait pas la distance maximale qu’il pouvait atteindre.

Le jour de l’épreuve finale arriva, enfin. Lucas devait réussir. Il se positionna correctement, se concentra, prit son élan, arma et lança net son javelot dont la pointe avait été subtilement modifiée. Contrairement à Léonidas, il atteignit son Xerxès en plein coeur. Il était enfin à terre, l’homme qui avait battu à mort son père devant ses yeux à la sortie du cinéma.